L’organisation du groupe bolloré, et notamment ses activités logistiques et transport, ont connu des changements en fin d’année. Peut-on parler d’un nouveau visage du groupe bolloré aujourd’hui?
Philippe Labonne (P.L.): Le groupe Bolloré demeure ce qu’il a été avec ses activités. Celles-ci se répartissent autour de trois pôles: le transport et la logistique, d’une part, la communication d’autre part et les solutions de stockage d’électricité enfin. L’idée du changement a été de regrouper dans une seule structure tous les métiers liés au transport et à la logistique. La présidence de ce pôle est revenue à Cyrille Bolloré. L’objectif de cette nouvelle organisation est de créer un groupe transport et logistique qui puisse se hisser dans les cinq premiers groupes mondiaux au cours des dix prochaines années. Bolloré Transport & Logistics compte 36 000 salariés dans 105 pays et dispose d’une capacité d’investissement de 600 M€ par an. Cela donne plus de sens à notre groupe.
Ce pôle se décline ensuite par métier. Nous avons Bolloré Ports, qui regroupe nos activités portuaires de manutention et de shipping; Bolloré Logistics, avec les opérations de commission en transport; Bolloré Energy, impliqué dans la distribution d’énergie; et enfin Bolloré Railways, qui traite l’activité ferroviaire. Derrière cette nouvelle organisation, nous avons surtout voulu proposer à nos clients des solutions de bout en bout sur tous les métiers liés au transport et à la logistique. Avec notre expérience du continent africain, nous voulons offrir des solutions pour connecter l’Afrique au reste du monde.
Cela signifie qu’au sein de bolloré transport & logistics, vous créez des ponts entre les différentes filiales pour vous adapter et être au plus près des évolutions de vos clients?
P.L. : Nous devons nous adapter. Nous constatons de nombreuses mutations dans le secteur maritime. Les routes maritimes traditionnelles vont demeurer, mais de nouvelles liaisons pourraient prendre de l’ampleur dans les prochaines années. Il faut anticiper les exigences des clients. Il suffit de regarder les dernières actualités: le doublement du canal de Suez, l’ouverture du nouveau jeu d’écluses du canal de Panama mais aussi la surcapacité endémique des navires, le gigantisme et le développement des liaisons vers les pays émergents ne peuvent nous laisser sans réaction. Il faut que nous soyons plus forts. Quand nous investissons dans un pays émergent, nous le faisons pour accompagner le gouvernement, être un partenaire du développement en proposant une palette large d’activités liées au transport et à la logistique.
Je prendrai un exemple récent. Lorsque nous avons signé avec le gouvernement du Timor oriental la concession du port de Dili, c’était une suite logique dans notre coopération avec le gouvernement. En effet, le Timor oriental est un pays nouveau. Dès son indépendance en 1999, nous avons été présents localement avec une de nos filiales spécialisées en commission de transport, SDV. Quand le gouvernement a décidé de lancer un appel d’offres pour le terminal à conteneurs de son port, nous avons choisi de postuler pour proposer une solution globale de développement aux instances politiques et économiques du pays.
C’est au travers de cette pluridisciplinarité des métiers que nous pouvons devenir plus forts et ainsi atteindre notre objectif d’être parmi les cinq premiers groupes mondiaux.
Derrière bolloré Ports se déclinent plusieurs marques. Quelles sont celles qui demeurent et comment s’est déroulée cette réorganisation du point de vue social?
P.L. : Bolloré Ports regroupe les activités portuaires de tout le groupe. Nous avons réuni sous la même bannière les ports français mais aussi ceux que nous exploitons en Afrique et sur d’autres continents. Ainsi Bolloré Logistique Portuaire (BLP, qui regroupait nos activités portuaires en France) et les agences maritimes en France sont intégrées dans cette nouvelle structure.
Par ailleurs, dans Bolloré Ports, nous avons intégré nos structures d’agences maritimes. Afritramp, dont l’activité se déroule principalement sur le continent africain, et Isamar, notre réseau d’agences en Europe. Les deux marques demeurent. Enfin, Bolloré Africa Logistics, filiale qui était présente sur le portuaire et la logistique en Afrique, disparaît au profit de Bolloré Transport & Logistics. Bolloré Ports dispose dans son escarcelle de seize concessions portuaires en Afrique, trois en France (Rouen, Nantes Saint-Nazaire et La Réunion) et deux en Asie, spécialisées dans la conteneurisation. Nous disposons aussi de concessions portuaires sur le roulier au Sénégal, à Abidjan et à Lomé, et un terminal conventionnel à Lomé et deux en France, à La Rochelle et à Dunkerque.
Nous faisons une distinction entre notre activité de concession portuaire et celle de service portuaire. La concession portuaire est un contrat qui nous lie à l’autorité publique pour la gestion foncière du périmètre pour opérer le port. Le service portuaire est la délivrance d’une licence pour réaliser des opérations de manutention.
Quant à l’aspect social, nous avons évité d’avoir des doublons dans ces nouvelles structures. Comme nous avons créé une organisation logique basée sur les métiers, il s’est agi davantage de redéploiement de postes que de suppressions. Cette pluridisciplinarité nous permet d’être plus forts et de proposer des solutions agiles à nos clients.
Cette organisation se retrouve-t-elle dans les autres pôles de bolloré transport & logistics?
P.L. : En effet, nous avons mis dans la division logistique les deux marques que nous exploitions auparavant, à savoir Saga et SDV. Elles disparaissent au profit de Bolloré Logistics. Bolloré Railways regroupe nos trois exploitations de chemin de fer: en Côte d’Ivoire, Sitarail, au Cameroun, Camrail, et au Bénin, Benirail. Quant à la distribution d’énergie, Bolloré Energy se déploie sur la Suisse, l’Allemagne et la France.
L’Afrique a constitué un terrain sur lequel votre groupe s’est déployé et a connu une croissance importante. Bolloré ports dispose-t-il encore de potentiels de développement sur ce continent?
P.L. : L’Afrique dispose d’un potentiel important de développement. Le legs maritime a connu des mutations au cours des années précédentes et devrait encore se modifier dans les mois à venir, notamment avec le développement économique et industriel du continent. Nous sommes persuadés que le commerce entre l’Afrique et le reste du monde va augmenter au cours des années qui viennent. Le commerce intra-africain va suivre. La Côte d’Ivoire, le Ghana et le Kenya sont aujourd’hui des pays qui enregistrent des taux de croissance importants. Pour satisfaire et accompagner ce développement, ces pays auront besoin d’infrastructures.
Ainsi, au Ghana, le port de Tema a besoin de nouveaux postes à quai. Nous étudions avec l’autorité portuaire la possibilité d’accroître la capacité du terminal en investissant 1,5 Md€ dans ce port en échange d’une extension de la concession. Le début des travaux est prévu dans les six mois. Nous envisageons l’avenir sous l’angle de l’amélioration de la productivité. L’amélioration de l’infrastructure peut se faire par de nouveaux moyens portuaires. Au Nigeria, nous prévoyons d’investir dans des nouveaux portiques plus productifs, mais aussi en créant un port sec pour améliorer la fluidité du trafic. Nous avons le même raisonnement sur le Mozambique. Les ports de Beira, Maputo et Nacala doivent être améliorés pour une plus grande productivité. En Tanzanie, les ports sont aussi des nœuds modaux pour les pays enclavés de la sous-région. Disposer d’un tirant d’eau de 11,50 m n’est plus suffisant. Tout cela doit être réfléchi avec les autorités portuaires et les gouvernements.
Enfin, en Afrique, de nombreux États jouent un rôle majeur dans la gestion de l’infrastructure portuaire. Ils peuvent vouloir se désengager. Au final, nous avons donc trois axes de développement qui sont de développer nos infrastructures existantes, de travailler sur de nouvelles infrastructures et d’accompagner la privatisation d’organismes agissant pour le compte de l’État.
Si Bolloré Ports est aujourd’hui un acteur portuaire mondial, il reste avant tout cantonné dans son activité?
P.L. : Nous ne sommes pas uniquement un acteur portuaire. Nous sommes un acteur logistique. Le port est un outil de la logistique. Nous avons une expertise dans de nombreux métiers au sein de Bolloré Transport & Logistics qui vont de la commission de transport au portuaire en passant par le ferroviaire et la distribution d’énergie. Nous proposons à nos clients une offre « agile » pour s’adapter et anticiper leurs besoins.
Il faut que nous regardions tous les maillons de la chaîne. Nous sommes présents dans 46 pays africains et nous devons envisager l’ensemble des secteurs. Les ports secs, par exemple, sont un exemple de notre politique de développement. Pour imaginer la création d’un port sec, il faut avant tout une volonté politique d’aménagement du territoire. L’autorité publique locale doit s’investir pour développer ces ports secs. L’investissement est onéreux et ces ports ont besoin de volumes pour être amortis et efficaces.
En Afrique, la notion de surcapacité des terminaux à conteneurs commence à se faire jour. Pensez-vous qu’elle soit déjà devenue une réalité?
P.L. : Dès lors que nous construisons une infrastructure, elle crée une surcapacité. Le trafic suit. Il ne faut pas envisager les terminaux à conteneurs sous cet angle, selon nous. Il faut voir les choses sous un angle plus général. L’Afrique est un continent de 52 pays dont chacun a sa spécificité. La surcapacité peut exister mais elle fait aussi partie du plan de développement industriel du continent. La démographie africaine est en pleine expansion et le marché africain est en mutation, notamment depuis la baisse récente des prix des matières premières. Les infrastructures portuaires doivent continuer à se développer par paliers stratégiques, créant parfois une surcapacité à court terme mais répondant à la croissance démographique et économique à long terme.
La prise en compte de chaque pays signifie que vous devez adapter votre stratégie en fonction de vos activités. Comment comptez-vous gérer vos concessions au Cameroun entre le port de Kribi, que vous avez remporté récemment, et la concession du terminal de Douala?
P.L. : Cela est un exemple intéressant. Quand nous examinons la situation du Cameroun avec Douala, nous voyons que le port a dû faire face à des problèmes de congestion. Le terminal de Kribi sera un second poumon pour l’économie du pays. Il ne va pas s’agir d’avoir une concurrence entre les deux ports, mais plutôt une complémentarité et une meilleure attractivité du pays. Kribi peut jouer un rôle de hub dans la région et de desserte de l’hinterland avec ses connexions ferroviaires et routières. Cela permettra de désengorger Douala et donc d’optimiser les deux terminaux.
Vous avez développé votre activité sur le continent africain depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, nous constatons une extension de votre réseau sur l’Asie, avec notamment la concession des terminaux de Dili et de Tuticorin en Inde. Est-ce le point de départ vers de nouveaux horizons pour bolloré ports?
P.L. : Cela s’intègre dans notre volonté d’accompagner les pays émergents dans leur développement. Lorsque le Timor oriental a vu le jour, nous avons créé une agence de SDV dans ce pays. Quand le gouvernement a souhaité développer son port, nous avons travaillé sur un partenariat entre public et privé sur 30 ans pour cofinancer ce projet. Ce pays vit aujourd’hui de ses ressources naturelles que sont le gaz et le pétrole, mais il a décidé de préparer son avenir autour de l’après-pétrole. Il a créé un fonds souverain doté de 15 Md$ pour diversifier son économie. Notre rôle est d’être un acteur logistique sur tous les maillons de la chaîne. Le port est un outil pour développer le commerce de ce pays dans les prochaines années. Il ne s’agit pas de faire un hub de plus dans la région, mais surtout de travailler sur les capacités du port à œuvrer en faveur du marché domestique. La volatilité des trafics de transbordement rendent le succès de ces hubs aléatoire et non nécessairement pérenne.
Le développement que nous avons entamé au Timor oriental peut se décliner dans d’autres pays.
Le Timor oriental, l’Inde, demain peut-être l’Iran. Jusqu’où pensez-vous que cette stratégie de développement peut s’étendre?
P.L. : Difficile de le dire. Nous regardons les pays où l’ensemble des activités du groupe peut se développer. Il ne s’agit pas uniquement des concessions portuaires ou des services portuaires, mais de tous les métiers du groupe. L’Iran dispose d’un marché domestique que nous examinons avec attention, sur lequel nous pourrions développer nos activités portuaires et de commission en transport.
Nous avons un œil attentif aussi de l’autre côté de l’Atlantique et notamment après l’ouverture du nouveau jeu d’écluses du canal de Panama. Nous ne voulons pas créer de hub de transbordement mais plutôt des ports qui permettent à l’économie domestique de se développer. D’autant plus que le marché sud-américain présente des perspectives de croissance importantes de commerce avec l’Afrique. Notre objectif est avant tout de renforcer notre développement sur nos métiers et notre savoir-faire pour être dans les cinq premiers mondiaux d’ici à dix ans. Chaque investissement que nous réalisons pour un métier doit bénéficier à terme aux autres métiers. Investir dans un port nous permet d’implanter aussi Bolloré Logistics et inversement. Quand Bolloré Logistics a développé une activité logistique dans un pays, nous sommes plus à même de proposer des solutions dans le portuaire ou les agences maritimes. Voilà les principes qui guident notre stratégie de développement.
En voulant devenir un grand groupe de transport et de logistique, ne craignez-vous pas de tomber dans les travers des grands groupes internationaux?
P.L. : L’effet de taille dans le monde portuaire est discutable. Notre souhait est d’être un grand groupe de transport et de logistique, globalement. Dans l’activité portuaire, notre approche est de prendre les dossiers les uns après les autres. Nous nous devons de négocier âprement avec nos partenaires. L’important dans ces négociations est de favoriser l’expérience pour le groupe. Quand nous prenons un terminal conventionnel ou roulier, il faut que cela apporte un plus à notre division commission de transport. Quand nous envisagions de prendre un port en Inde, nous avons d’abord examiné les conditions dans lesquelles cela devait se faire. Les exigences en Inde ne sont pas identiques à celles en Afrique. Chaque dossier est un cas unique qu’il faut étudier de A à Z. En Inde, la partie logistique est difficile en raison de l’état des infrastructures, et l’administratif est parfois lourd. Le marché de Tuticorin est différent de ce qu’il peut être dans d’autres ports, c’est pourquoi nous avons postulé pour ce terminal. En Asie du Sud-Est, nous regardons aussi les nouveaux terminaux et ce qu’ils peuvent apporter globalement à notre groupe. Notre stratégie de développement est donc sélective et sur mesure, et c’est ce qui différencie Bolloré des grands groupes internationaux.