Journal de la marine marchande (JMM): comment appréhendez-vous le monde portuaire africain dans les prochaines années, tant du point de vue global que de celui de votre société?
Sultan Ahmed Bin Sulayem (S.A.B.S.): L’Afrique demeure un continent important pour notre société et dans le cadre de notre stratégie de se développer sur les marchés émergents. Nous avons des plans sur l’ensemble de l’Afrique où nous opérons des terminaux au Sénégal, en Égypte, au Mozambique, à Djibouti et en Algérie. Sur l’ensemble de ces terminaux, nous employons 4 000 personnes. Nous avons aussi négocié un accord pour développer une zone franche dans le port de Dakar, au Sénégal, et un centre logistique à Kigali, au Rwanda. Au cours des trois à cinq dernières années, nous avons investi 1,3 Md$ et ajouté 2,27 MEVP de capacité en Afrique aux terminaux de notre groupe pour porter notre capacité annuelle à 6,2 MEVP. Nous disposons de projets nouveaux en Égypte, au Mozambique, en Algérie et au Sénégal pour accroître encore notre capacité sur ce continent.
JMM: de nombreux projets sont en cours en afrique et notamment des terminaux à construire ex nihilo. Pensez-vous que l’Afrique devra faire face à une surcapacité des terminaux à conteneurs dans les prochaines années?
(S.A.B.S.): L’Afrique a un grand potentiel et a enregistré une croissance importante au cours des dernières années. Elle continue d’afficher le taux de croissance de PIB le plus élevé de la planète, même si les chiffres de référence sont faibles. Cette croissance apporte de nouveaux défis. L’évidence montre que le continent africain évolue à un rythme tel que les infrastructures ne suffiront pas. Des capacités nouvelles seront nécessaires pour permettre au commerce africain de progresser et pour améliorer la prospérité du continent. Le développement des ports est bienvenu mais les schémas multimodaux de transport sont aussi importants pour le développement économique.
Nos terminaux sur le continent démontrent de la croissance économique locale sur les dix dernières années. Ils ont permis d’accroître les revenus pour les États, ils participent à la réduction de la pauvreté et sont une étape vers la diversification économique. Néanmoins, tous ces développements pèsent sur les efforts croissants à réaliser sur les infrastructures terrestres et maritimes. Si les pays africains et les régions étaient mieux connectés, la taille des marchés augmenterait et encouragerait des investissements étrangers.
Nous avons commandé une étude en association avec Economist Intelligent Unit, sous le titre « Africa at the crossroads: bridging the infrastructure gap » (l’Afrique à la croisée des chemins: franchir le fossé des infrastructures). Cette étude a conclu sur le besoin de fondations solides en infrastructures des pays africains pour bâtir les nouveaux paradigmes économiques du continent.
Les coûts de transport en Afrique de l’Est sont en moyenne toujours supérieurs de 60 % à ceux en Europe ou aux États-Unis, (selon Trademark East Africa, novembre 2015). En 2010, il fallait encore compter entre 18 et 20 jours pour acheminer un conteneur par la route depuis le port de Mombasa, au Kenya, jusqu’à Kampala en Ouganda. Aujourd’hui, le temps de transport est de 8 à 10 jours. Nous avons vu une révolution silencieuse s’opérer sur la logistique.
Les coûts élevés du commerce retiennent les économies, alors les initiatives qui améliorent l’accès au marché participent au développement de l’environnement commercial et améliorent la compétitivité des affaires. Nous constatons que la communauté des États de l’Afrique de l’Est est un moteur dans l’intégration régionale. Si ces conditions se maintiennent voire s’accélèrent, cela pourrait aider le continent à combler ses déficits et permettre les transformations économiques qu’il faut entreprendre.
JMM: dp world est, avec le groupe bolloré et apm terminals, un des premiers opérateurs de terminaux conteneurisés sur le continent africain. Estimez-vous important d’être présents dans le multimodal?
(S.A.B.S.): Certainement. L’Afrique est un continent vaste. Son potentiel de croissance est important et il faut trouver trouver des solutions sur toutes les filières. Dans le cadre de notre développement, nous avons créé un centre logistique à Kigali, au Rwanda. Il est destiné à apporter une aide à la logistique pour le développement de l’exportation de produits destinés aux marchés régionaux et internationaux. Il sera conçu autour du concept de guichet unique pour offrir aux négociants tout ce dont ils ont besoin en installations, liaison avec les institutions gouvernementales, et cela sur des standards internationaux. Ce centre logistique rwandais permettra aux négociants de se concentrer sur leur métier, l’achat et la vente.
La connectivité des infrastructures est nécessaire en Afrique, où les ports font partie intégrante du système multimodal, pour que les marchandises soient acheminées rapidement au-delà du port. Tous les développements multimodaux créent un environnement favorable pour les sociétés et le commerce de toutes les filières.
JMM: DP world a récemment remporté la concession du port de berbera, au somaliland. Les chargeurs éthiopiens et du somaliland plaident depuis longtemps pour avoir deux débouchés et le choix entre djibouti et un autre port. Alors que vous opérerez les deux ports, comment pensez-vous offrir une concurrence entre eux deux?
(S.A.B.S.): L’accord
JMM: le Somaliland n’est pas reconnu par les organisations internationales. Cela peut-il poser des problèmes pour trouver des financements ou voir des compagnies maritimes accepter de faire escale dans le port?
(S.A.B.S.): Le Memorandum of Understanding, qui a été signé entre le Somaliland et les Émirats arabes unis, prévoit tous les points de litige qui peuvent survenir. Le rôle de DP World est de créer une co-entreprise avec le gouvernement du Somaliland pour investir et gérer le port de Berbera. Nous souhaitons faire ensemble de ce port un hub logistique régional. Les investissements ne seront pas uniquement concentrés sur l’aspect portuaire, mais aussi sur la création d’une zone franche et des corridors logistiques qui sont en passe de voir le jour.
*Dans sa réponse, le président de DP World explique le terme employé: « term sheet agreement ». Derrière cette expression, il souligne qu’il s’agit d’un accord qui n’est pas un contrat de concession. Il précise les termes et les conditions dans lesquelles les investissements seront réalisés. Ce document est utilisé comme un template pour développer des documents plus juridiques. Dès lors que les parties ont trouvé un accord sur les détails de ce document, un contrat est rédigé reprenant tous les aspects de la transaction et des négociations.