En véritables flibustiers des temps modernes, les entrepreneurs corses ont pris la liberté de repeindre en rouge le Jean-Nicoli aux couleurs de Corsica Linea, nom commercial de la compagnie maritime attribuée par la justice à Patrick Rocca. Au terme d’une année de procédure, il a tenu la barre de sa compagnie MCM trois mois seulement. Prise à la gorge financièrement, sa compagnie a fait les frais des assauts des concurrents évincés. Le prêt de 15 M€ promis par la Caisse d’épargne (Cepac) s’étant transformé en une ligne Dailly de trois fois 4 M€. Pourquoi les modalités de financement ont-elles changé? La banque compte parmi ses nombreux clients des dirigeants de PME corses. S’est-elle retrouvée face à un dilemme? Toujours est-il que Patrick Rocca aurait perdu entre 3 M€ et 4 M€ dans la transaction au terme de laquelle il serait devenu un actionnaire parmi d’autres membres du consortium, dont le chef de file est François Padrona. Le patron des hypers E-Leclerc en Corse est en effet le président de Corsica Maritima. Cette holding fédère quinze actionnaires et administrateurs d’entreprises corses (Big Mat, Gedimat, Europcar, Lafarge, Steb, Brasseries Pietra, Leclerc…) qui sont désormais les vrais patrons de MCM, anciennement SNCM.
« CM Holding, qui détient 100 % de MCM, compte 15 actionnaires possédant 95 % du capital de l’entreprise. Cent vingt PME corses se répartissent les 5 % restants. Corsica Linea est la marque commerciale de MCM », explique Pierre-Antoine Villanova, nouveau directeur général. Or, MCM a pour nom commercial Maritima Ferries et non Corsica Linea, comme déclaré par la nouvelle direction. C’est ce que précise le Kbis de l’entreprise daté du 12 mai. Le document officiel révèle également que le siège social se situe dans un immeuble du Prado. Or, Pierre-Antoine Villanova a insisté sur le fait que le siège social de la compagnie resterait rue de Ruffi. Dans le cadre des procédures collectives, le repreneur désigne son siège social dans l’entreprise qu’il reprend. Dans ce cas, la compagnie maritime est domiciliée dans un centre d’affaires. Un Kbis riche d’enseignements puisqu’on découvre également l’existence d’un établissement secondaire à Ajaccio (avec une immatriculation hors ressort). Est-ce pour se soustraire à la justice marseillaise?
Une gestion pour le moins surprenante
Qu’elle soit dénommée Corsica Linea ou Corsica Maritima, la gestion de l’ex-SNCM depuis un mois apparaît pour le moins surprenante. Dans leur projet de reprise présenté au tribunal de commerce de Marseille fin 2015, les entrepreneurs corses ont pris la peine d’indiquer que la future entreprise serait « détenue par la Corsica Maritima Holding (C.M Holding) et non par les actionnaires directement ». Si, sur le papier, c’est le cas, de nouvelles pratiques ont vu le jour. Court-circuitant toute la hiérarchie, les actionnaires donneraient des ordres directement aux cadres et salariés. Au sein du consortium, sept sociétés sont dirigées par une seule famille corse dont le dirigeant ne se prive pas de donner des instructions. Les amitiés de Noël Torti, gérant d’Atout Pub (société corse spécialisée dans les enseignes et panneaux publicitaires), avec François Padrona et Pierre Anchetti, lui auraient également ouvert les portes d’un nouveau marché, celui des panneaux signalétiques sur le terminal portuaire d’Ajaccio. Si Noël Torti gagne ainsi un nouveau client, son frère Ange Torti, à la tête d’Octadera, société qui commercialise des logiciels informatiques, aurait réalisé un audit de la compagnie pour y placer ses produits. Par ailleurs, il n’a suffi que de quelques semaines pour que les plats cuisinés de Corse centrale de restauration se retrouvent à la carte sur les ferries. L’entreprise convoitait ce juteux marché depuis plusieurs années déjà, selon nos sources.
Il se dit également que la compagnie aux nouvelles couleurs ne regarderait pas à la dépense. Certaines notes seraient plus salées que d’autres. Simplement pour porter les nouvelles couleurs, le Pascal-Paoli va s’arrêter de naviguer début juin pour être repeint. Coût de l’opération 330 000 €!
Une aventure risquée
Les entrepreneurs corses qui ont lancé une ligne maritime fret pour faire échouer le projet de Patrick Rocca auraient perdu dans la bataille non pas 670 000 € mais plus d’un million, selon nos sources. S’il n’est pas question d’imputer ces pertes sur les comptes de MCM, elles le seront au niveau de la holding, impliquant, pour les principaux actionnaires qui ont investi 500 000 € chacun, de recapitaliser l’entreprise une nouvelle fois. Ces patrons de PME pourraient regretter à terme de s’être lancés dans une aventure bien trop risquée du point de vue capitalistique. Des inimitiés commenceraient à poindre. Dans son jugement du 20 novembre, le tribunal de commerce de Marseille a pointé du doigt la fragilité issue de cette gouvernance plurielle. « Cela augure mal de la cohésion nécessaire à la définition et à la tenue d’une stratégie d’entreprise pérenne, dans la mesure où cette entreprise réunit comme actionnaires certains acteurs économiques (chargeurs et transporteurs) dont les intérêts ne sont pas forcément liés, même si l’objectif affiché est une meilleure maîtrise des transports ».