À 22 h 42 locales, le 11 février 2015, libéré de ses remorqueurs, le porte-conteneurs britannique Ever-Smart (2005, 300 m de long, chargé de 48 564 t conteneurisées) se dirige vers le chenal principal de Djebel Ali pour rejoindre le golfe Persique. Six minutes plus tôt le commandant de l’Alexandra-1 (1997, 270 m), chargé de presque 114 000 t de condensats (sorte d’essence très légère et très inflammable), annonce qu’il vient de quitter son mouillage d’attente et se dirige à vitesse lente vers la première bouée qui marque l’entrée du chenal. Il s’apprête à embarquer le pilote qui doit quitter le porte-conteneurs. Les feux des deux navires sont correctement allumés, le feu rouge clignotant sur le mât de l’Alexandra-1 indiquant la nature dangereuse de sa cargaison. Il est autorisé à entrer dans le chenal dès lors que l’Ever-Smart aura lui-même passé cette première bouée, la dernière en sortant du chenal. Une minute après que le porte-conteneurs est sorti du chenal, le commandant du transporteur de raffinés note que l’Ever-Smart conserve son cap. Il tente une dernière manœuvre « en arrière toute ». Le capitaine de l’Ever-Smart « découvre » la présence de l’Alexandra-1 par des appels de la VHF. Le pilote le surveillait au radar sans, selon la MAIB, donner l’impression qu’il avait pris conscience de sa trajectoire, ni de sa proximité. Le pilote avait débarqué avant la collision.
Les étraves des navires se heurtent violemment, le porte-conteneurs filant à 12 nœuds. Le pire n’étant jamais sûr, les cloisons d’abordage résistent et les cuves de l’Alexandra-1 restent intactes. Même après la collision, les officiers du porte-conteneurs, capitaine compris, ignoraient le nom du transporteur de raffinés. Aucune entrée d’eau. Temps clair, bonne visibilité, vent de 6 nœuds soufflant du 68°, houle faible, courant de marée inférieure à un nœud.
Surprise
La MAIB estime que la collision a pour origine une différence de perceptions de la part des capitaines de la façon dont les deux navires allaient se croiser. Celui du pétrolier pensait que le porte-conteneurs allait virer sur bâbord et lui passer sur l’arrière. Son homologue du porte-conteneurs pensait que l’Alexandra-1 était immobile et qu’il passerait sur son bâbord.
Deux facteurs ont contribué à ce cas d’école: le commandant de l’Alexandra-1 ne prenait en compte que les rares communications VHF, celui du porte-conteneurs ne surveillait pas correctement le plan d’eau et surtout pas la trajectoire du pétrolier.
Outre les comportements perfectibles des commandants, la MAIB met en cause les actions et/ou l’absence d’actions de la part du pilote et de l’officier de quart du service de régulation du trafic (VTS). Il est notamment souligné que le pétrolier n’avait pas de raison de se trouver si près de la première bouée alors que le porte-conteneurs approchait, position qui n’avait pas été contestée par le VTS.
Il est également noté que l’AIS du pétrolier n’était pas allumé, sans justification et sans remarque de la part du VTS. Cet outil est pourtant le plus sûr moyen de suivre la progression d’un navire en zone portuaire, souligne la MAIB. Elle note également que l’absence de signal AIS a facilité la non prise en compte de la présence du navire par le porte-conteneurs.
Les armateurs des deux navires ont « spontanément » mis en place un programme renforcé en matière de gestion des ressources humaines pont et machine, en formation initiale et/ou continue. Chez Evergreen, les membres d’équipage disposent d’un système de reporting par courriel pour toutes les questions de sécurité
La MAIB recommande cependant au VTS de reprendre ses procédures de gestion du trafic, d’améliorer les communications avec le pilote, d’évaluer « avec soin » les besoins de formation de ses officiers, d’organiser régulièrement des exercices de mise en situation d’urgence et d’être plus rigoureux sur l’usage de l’AIS dans les eaux portuaires. Le port est exploité par DP World. Il est le plus grand du Moyen-Orient avec près de 20 000 mouvements par an et représente la vitrine de DP Word. Le commandant de l’Ever-Smart avait 57 ans et était commandant depuis trois ans et demi. Il était à bord depuis quatre mois et demi. Celui de l’Alexandra-1 avait 44 ans et était commandant depuis trois ans. Il avait fait escale à Djebel Ali 19 fois avec ce même navire. Il avait suivi une formation de gestion des ressources en passerelle en 2011.
*Ce dispositif existe également dans au moins une compagnie française. Des conversations privées laissent comprendre que pour avoir la « paix » avec le service Armement, destinataire des rapports, il est préférable de ne pas soulever des problèmes significatifs. Idéalement, ces rapports devraient être envoyés directement à la direction générale. Mais au-delà d’une trentaine de navires, cela devient difficilement gérable.