Antoine Berbain, directeur général délégué d’Haropa, a rappelé que « l’année [était] déterminante pour la multimodalité, placée au cœur de nos enjeux de développement ». Les connexions terrestres en 2015 sont en augmentation, mais « la part de marché sur le ferroviaire reste insuffisante, alors qu’au-delà de 500 km, le mode ferroviaire est le plus adapté », souligne pourtant Antoine Berbain.
Les liaisons assurées par les différents opérateurs ferroviaires permettent de toucher 15 villes en direct (dont Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Toulouse) avec 61 liaisons régulières aller/retour hebdomadaires. Et depuis le 24 juin 2015, Haropa est relié à la nouvelle plate-forme de distribution mise en place à Vierzon par l’opérateur ferroviaire Ferovergne, permettant l’acheminement de deux trains hebdomadaires (import-export).
Pour la desserte fluviale, depuis l’ouverture du terminal de Longueuil Sainte-Marie sur l’Oise ce sont maintenant 10 terminaux intérieurs sur l’ensemble du bassin fluvial qui sont desservis avec notamment 38 lignes régulières hebdomadaires.
Un développement crucial
Le développement de l’offre de transport combiné est crucial pour le port de Rouen, qui a renforcé en 2015 « sa position de principal hub céréalier d’Europe de l’Ouest » (le trafic céréalier a progressé de 12,6 % à 8,17 Mt). Un tiers de la campagne céréalière a été pré et post-acheminée au port de Rouen par voies massifiées (fer et fleuve). Nicolas Occis, directeur du port de Rouen, attribue notamment cette progression à l’augmentation des cadences de déchargement rendue possible grâce aux investissements réalisés dans les installations des silos portuaires. Nicolas Occis souligne également que la mise en place de la navette ferroviaire Nord-Seine par Sénalia, Ecorail, Fret SNCF et trois coopératives d’Ile-de-France et de Champagne à l’été 2014 a permis la relance du transport de céréales par voie ferrée (l’objectif initial de 160 000 t/an a été dépassé en 2015). Le port de Rouen a engagé en 2008, avec une concertation publique, un vaste programme d’amélioration des accès maritimes, dont les travaux ont débuté en 2012, pour un achèvement prévu en 2018. Dans ce cadre, cette année, sera notifié un marché de dragages d’approfondissement portant sur des matériaux valorisables dans le BTP dragués entre le secteur de Courval et Duclair sur le chenal. Le multimodal est également essentiel pour relever le défi du Grand Paris. Haropa a signé dès 2013 une convention de partenariat avec la Société du Grand Paris (SGP), pour promouvoir l’utilisation de la voie d’eau au cœur de l’agglomération parisienne. Une des actions engagées vise par exemple l’évacuation des déblais du chantier de prolongement de la ligne 14 du métro, grâce à l’utilisation consentie par la RATP et EDF d’un quai à Saint-Ouen pour réaliser les déchargements. Il s’agit aussi de proposer au secteur de la grande distribution des solutions logistiques intégrant la multimodalité pour les livraisons urbaines.
À la conquête de l’hinterland
Dans son projet stratégique 2014-2019, le port du Havre détaillait déjà ses actions en faveur de la massification des trafics ainsi que les moyens mis en œuvre pour intensifier l’usage des modes ferroviaire et fluvial sur l’axe Seine, avec une perspective ambitieuse de 25 % de part de marché cumulée pour ces deux modes à l’horizon 2020 (soit pour le fluvial un doublement du trafic actuel, et un triplement pour le ferroviaire). Le terminal multimodal est dans ce contexte un « atout pour la compétitivité du port du Havre », rappelle son directeur Hervé Martel, mais il a connu un faux départ en juin avec l’arrêt de l’exploitation après une semaine. Le tribunal de commerce du Havre a prolongé le 20 décembre la période d’observation jusqu’au 19 février, délai qui doit permettre à LHTE (Le Havre Terminal Exploitation) d’atteindre l’objectif affiché de 114 000 conteneurs la première année, dont 48 000 en fluvial (900 hebdomadaires) et 66 000 en ferroviaire (1 200 hebdomadaires). Le terminal multimodal du Havre est désormais en « phase de rodage pour les conteneurs fluviaux », la cour ferroviaire sera opérationnelle au printemps 2016, assure Hervé Martel.
Des difficultés à résoudre
À l’échelle des trois ports, des difficultés sont cependant à résoudre pour augmenter les dessertes de transport combiné. Notamment pour le ferroviaire se pose le problème des travaux de rénovation des voies, réalisés la nuit par SNCF Réseau, ce qui réduit l’offre de sillons pour le transport de marchandises. Par ailleurs, la réhabilitation de la ligne Serqueux-Gisors visant à augmenter la fréquence des trains est bloquée par des associations de riverains dans le Val-d’Oise.
Nicolas Occis rappelle encore que le développement de l’offre de transport combiné est indispensable à Haropa pour être compétitif face au range nord-européen, et rester « le plus petit de la cour des grands » en conservant sa 5e place.
Si Anvers affiche une « progression insolente » de 10 % en 2015, c’est aux dépens de Zeebrugge qui a perdu 500 000 boîtes. Haropa, avec 3 % de progression sur les conteneurs, confirme ainsi sa bonne position en Europe. Il s’agit aussi, selon Antoine Berbain, d’élargir la desserte hinterland vers le sud de l’Allemagne et d’offrir une alternative compétitive au transport par le Rhin.
La compétitivité des modes fluvial et ferroviaire par rapport à la route repose aussi sur des questions de coûts pour les opérateurs. La politique d’incitation au report modal menée par le gouvernement dans le cadre de la loi sur la transition énergétique doit donc aussi « se donner les moyens ». Dans ce cadre, Ségolène Royal a rappelé le 18 janvier qu’un « complément exceptionnel de 10 M€ » serait attribué aux opérateurs de transport combiné retenus après un appel à manifestation d’intérêt européen (voir p.7). Dans le cadre de cette politique volontariste, la Commission européenne avait déjà lancé en 2014 une consultation à l’intention des « parties prenantes ayant un intérêt dans l’amélioration de l’efficacité et la durabilité des services de transport de marchandises dans l’Union », et qui doit aboutir à une révision et une simplification de la directive n° 92/106 sur le transport combiné.
Ces opérations « coups de pouce » laissent cependant des questions en suspens. Les opérateurs disent notamment leur inquiétude par rapport à l’augmentation de leurs coûts d’exploitation: les coûts de passage par les terminaux, les coûts de « ramassage portuaire » des conteneurs par navette ferroviaire, les coûts de transbordement et de main-d’œuvre avec l’obligation de recours aux dockers. Dans ce contexte, l’incertitude sur le renouvellement par Bruxelles en 2017 de l’aide à la pince n’est pas pour rassurer.