Durant le congrès sur le gigantisme des porte-conteneurs, organisé à la veille des fêtes de fin d’année par Federagenti, la fédération italienne des agents maritimes, plusieurs questions économiques importantes ont été abordées. D’abord, les ports seront-ils prêts à investir en équipements afin de pouvoir accueillir les géants des mers sans avoir aucune certitude sur les éventuelles retombées économiques d’une telle opération? Ensuite, quel sera l’impact de ces navires sur le système logistique, le volume de marchandises embarquées et débarquées étant inhabituel pour les ports italiens? Enfin, comment affronter les questions d’assurances, ces navires pouvant provoquer, en cas d’accident, des dommages importants dont le coût pourrait dépasser le milliard d’euros? Sans parler du problème de la bulle financière, soulevé par certains experts maritimes. Autant de questions qui concernent le marché maritime international, mais plus particulièrement la dimension italienne. Le constat dressé par les participants durant ce congrès a été particulièrement amer, les ports italiens manquant, de l’avis de tous, de séduction pour les armateurs engagés dans la course au gigantisme.
Peu de capacités d’accueil
Les experts maritimes qui ont brossé un bilan du système italien ont en effet expliqué que peu de sites transalpins peuvent actuellement accueillir des navires d’une capacité supérieure à 16 000 EVP. Et pas seulement, a détaillé Federagenti, « parce que les infrastructures portuaires et les dimensions des ports interdisent l’accès aux navires mesurant l’équivalent de quatre terrains de football comme celui de San Siro (Milan) et 60 m de large, soit le profil des colosses de 21 000 EVP ». Selon la fédération, deux aspects économiques pénalisent plus particulièrement les ports transalpins en ce qui concerne le gigantisme. En premier lieu, a constaté Federagenti, un marché italien capable d’alimenter les nouveaux géants des mers est actuellement inexistant. Autre handicap important, l’absence de politiques cohérentes en Italie qui a poussé les armateurs engagés dans la course au gigantisme à rayer de leur carte les escales en mer Méditerranée à l’exception de Malte. « Les navires géants en provenance d’Extrême-Orient jetteront l’ancre seulement en Europe du Nord », a estimé la fédération en dénonçant ce qu’elle appelle l’extrême fragilité du système portuaire italien. Pour sa part, le président de la fédération, Michele Pappalardo, a déclaré que le report constant « d’interventions législatives, de régulation et de remises en ordre des infrastructures du secteur pénalise la péninsule et l’empêche de jouer un rôle important dans des questions essentielles d’un point de vue économique comme le transport des conteneurs ».
Certains experts maritimes ont aussi évoqué la question de la bulle financière avec la course effrénée au gigantisme. « Cette course, qui caractérise les stratégies adoptées par certains groupes contrôlant le transport des marchandises conteneurisées, donc les principaux biens de consommation, a débouché sur la création d’un cercle vicieux qui démontre la fragilité sans précédent du marché maritime », ont estimé quelques spécialistes. L’économiste Sergio Bologna a pour sa part affirmé « qu’avec la financiarisation du transport maritime, les navires ne sont plus un instrument du commerce mondial mais un actif financier, les banques ayant élargi des crédits pour la construction de navires de dimensions importantes lorsque le climat était au beau fixe, en prenant les navires en nantissement ». Avec la crise et l’effondrement de la demande, le scénario a tourné à la bulle financière comme pour l’immobilier et les subprimes. « Au niveau des conteneurs, une surcapacité des navires par rapport au nombre de conteneurs disponibles sur le marché a été enregistrée, les armateurs ayant construit des navires en tablant sur une croissance hypothétique », a estimé Michele Alciato, professeur d’économie à l’université de Hambourg, qui a ajouté que cette situation a débouché sur un effondrement de l’affrètement et la mise en place d’un système d’alliances stratégiques qui ont créé une situation d’oligopoles.
Alors que faire pour briser le cercle vicieux et permettre aux ports italiens d’affronter la question du gigantisme? « Améliorer la qualité des réseaux portuaires italiens, relancer les services et les infrastructures, se concentrer sur la réforme », préconise Michele Alciato. Un vaste programme que les autorités italiennes pour le moment n’ont pas été capables de mettre en place.