Dans quelques semaines, les lettres « SN » s’effaceront à tout jamais de la coque des six navires de la SNCM. Un « M » en lettres capitales sera peint à la suite de « CM » en guise d’acronyme de Compagnie maritime Méditerranée, que s’est offert Patrick Rocca pour 3,7 M€ (auxquels s’ajoutent 4,47 M€ de congés payés assumés). Qui aurait cru que cette noble maison fondée en 1976 (sous la houlette de la CGMF) tomberait dans l’escarcelle d’un transporteur routier de Baléone? Dans le Landernau « marseillo-corse », les professionnels n’en reviennent toujours pas.
Aucun armateur de premier rang, tels que Grimaldi, SNAV ou DFDS, n’a daigné se pencher sur le sauvetage de la SNCM, à leurs yeux bien trop explosif socialement et politiquement. Sur les dix dernières années, les trafics en tout genre, les détournements de fonds, les grèves à répétition, les coups d’éclats de la CGT et la puissance des nationalistes (tout le monde garde en mémoire la prise du Pascal-Paoli) ont contribué à ternir l’image de cette société dont la part de marché sur la Corse a été diluée de 55,4 % à 23 % entre 2002 et 2014. Contre toute attente, au terme d’un an de procédure collective, de quatre dates limite de dépôt des candidatures et quatre renvois, l’offre Rocca a retenu les faveurs du tribunal de commerce de Marseille, le 20 novembre, laissant sur le bas-côté deux autres candidats de la première heure, Christian Garin et Daniel Berrebi.
Toutes corses
Arrivé en milieu d’année dans la course, le consortium de PME corses, Corsica Maritima, vit mal la défaite. Les anciens clients de Patrick Rocca l’attendent au tournant. Ces derniers ont commencé à boycotter les remorques blanches et bleues (E.Leclerc, Gedimat) et seraient prêts à se détourner des navires de l’ex-SNCM. Un plan de sauvegarde de l’emploi est en cours, financé à hauteur de 85 M€ par les anciens actionnaires de la SNCM, à savoir l’État (25 %) et Transdev (66 %), destiné aux 583 futurs licenciés. Les modalités de ce PSE ont été négociées aux forceps par la CGT. Son arme fatale pour discuter, 14 jours de grève et le blocage de deux navires de La Méridionale.
Captain Diehl
Finalement, 873 salariés restent à bord et navigueront vers une nouvelle destinée aux côtés du « Captain » Olivier Diehl. Le président du directoire et sa garde rapprochée restent à la passerelle, l’actuelle gouvernance de la SNCM étant désormais actionnaire à hauteur de 25 % de la CMM.
Le transporteur routier prendra définitivement possession de l’entreprise le 5 janvier. Dix jours après, l’Office des transports de la Corse publiera, avec trois mois de retard, le cahier des charges organisant la future desserte maritime de la Corse à partir du 1er octobre 2016 au terme d’une consultation publique. Simples obligations de service public ou scénario mixte combinant OSP et DSP? Toutes les options sont possibles. Toujours est-il qu’une fiducie sûreté a été prévue sur deux navires par Rocca au cas où un nouveau PSE s’abattrait sur la jeune CMM.
En octobre prochain s’achèvera ainsi une période transitoire, l’actuelle délégation de service public (2014-2023) ayant été résiliée le 7 avril dernier par le tribunal administratif de Bastia à la demande de Corsica Ferries. Dans son offre de reprise et pour se conformer aux critères de discontinuité économique de la SNCM exigés par Bruxelles, Patrick Rocca a renoncé à l’actuelle DSP et aux 57 M€ d’enveloppe annuelle (60,7 % des recettes de la SNCM) versée par la Corse pour assurer cette mission.
Renforcer la DSP mais accepter la subdélégation
En vertu de l’article 43 du cahier des charges qui prévoit la défaillance d’un des codélégataires, La Méridionale assume pleinement les obligations relatives à l’exécution de cette DSP et, au terme de discussions intervenues le 4 décembre à Ajaccio avec Patrick Rocca, un contrat de subdélégation de service public sera conclu entre les deux compagnies maritimes. À charge pour La Méridionale de reverser les 5,2 M€ de compensation financière mensuelle à la CMM durant les dix prochains mois.
La discontinuité économique exigée par Bruxelles, reconnue à deux reprises par des lettres de confort de la Commission européenne, le 24 septembre et le 27 novembre, évite ainsi à Patrick Rocca toute poursuite en remboursement de 440 M€ d’aides d’État perçues par la SNCM dans le cadre de deux décisions de mai et novembre 2013.
Prolongation de la période d’observation, Stef TFE entre dans le dossier
Fin juin, La Méridionale s’est également invitée au dossier de rachat de la SNCM via Stef, sa maison-mère. Après plusieurs mois de silence sur ce dossier, le transporteur et logisticien spécialiste du froid entre en scène, le tribunal de commerce de Marseille ayant rejeté le 10 juin les offres améliorées de Rocca, Berrebi et Garin après les avoir déclarées irrecevables au mois de mai.
Le deuxième acte du naufrage de la SNCM se joue lorsque le tribunal prolonge le 28 mai la période d’observation de six mois. Les grandes manœuvres des juges visent à éviter à tout prix une liquidation pure et simple de la compagnie. Une drôle d’association naît alors dans la torpeur de l’été entre le capitaine d’industrie breton Francis Lemor et le Tunisien Daniel Berrebi dans le cadre d’une offre conjointe déposée le 2 septembre et destinée à se partager le réseau Corse et Maghreb.
L’offre ne franchit pas l’étape bruxelloise. Pour les services européens de la concurrence, les critères économiques de discontinuité ne sont pas réunis. Daniel Berrebi fera cavalier seul le 25 septembre, comme il l’avait fait en février.
Peu connu jusque-là, le président de la compagnie mexicaine Baja Ferries a présenté une offre auprès des administrateurs judiciaires de la SNCM, tout comme Rocca et Garin. Pas convaincu, le tribunal a conclu le 22 avril au rejet de ces offres. Ces trois candidats faisaient partie des douze marques d’intérêts formulées en tout début d’année lors du lancement du premier appel d’offres. C’était aux premiers jours de janvier.
Drôle de trêve des confiseurs pour les salariés de la SNCM, encore hébétés par la décision de l’actionnaire Transdev qui ouvre une voie d’eau en rendant exigible de manière anticipée une créance de 117 M€ auprès de la SNCM.
Le 3 novembre 2014, Olivier Diehl se rend alors au greffe pour déclarer la SNCM en cessation de paiement. La compagnie disposait pourtant de 35 M€ de liquidités (outre les 60 M€ d’indemnités d’assurance du Napoléon-Bonaparte) et avait déployé un plan stratégique de redressement baptisé Poséidon. Il fallait quitter le navire à tout prix.
SNCM aujourd’hui
• 2 100 salariés dont 1 428 CDI
• Sept navires
• 182,6 M€ de CA (prévisionnel 2015)
• 220 M€ d’actifs
CMM demain
• 873 salariés en CDI (embauche de 45 salariés ETP durant l’été)
• Six navires sous pavillon français
• 184,04 M€ de CA (prévisionnel 2016)
• 220 M€ d’actifs
• Reprise des accords sociaux
Une année judiciaire
2014
• 3 novembre: cessation des paiements
• 28 novembre: redressement judiciaire
2015
• 4 février: poursuite de l’activité au vu des liquidités
• 18 mars: examen des offres de Garin, Rocca et Berrebi
• 7 avril: résiliation de la délégation de la DSP par le tribunal administratif de Bastia
• 22 avril: rejet des offres de Garin, Rocca et Berrebi
• 11 mai: rejet des offres et nouveau délai au 20 mai pour les améliorer
• 27 mai: examen des offres
• 28 mai: fin de la première période d’observation
• 10 juin: rejet des offres, nouvel appel d’offres
• 11 juin: Francis Lemor annonce la candidature de Stef au rachat de la SNCM
• 3 juillet: huit marins de la SNCM inculpés dans un trafic d’armes, de stupéfiants et d’associations de malfaiteurs sont condamnés par le tribunal correctionnel de Marseille
• 2 septembre: quatre candidats se font connaître (Rocca, Garin, Corsica Maritima et Stef/Berrebi)
• 25 septembre: audience renvoyée
• 9 octobre: Stef ne soutient plus son offre
• 14 octobre: report du dossier pour améliorer les offres
• 28 octobre: nouveau report en raison de la grève des avocats
• 4 novembre: examen des trois offres
• 20 novembre: attribution de la SNCM à Patrick Rocca, début de 14 jours de grève
• 28 novembre: fin de la deuxième période d’observation