En introduction du colloque organisé le 8 octobre par la CCNR sur « la stratégie GNL en navigation intérieure et dans les ports », Peter Colon, de Buck Consultants International, a présenté des scénarios d’évolution de la consommation de GNL comme carburant. En 2020, la part de marché du GNL sur le Rhin devrait se situer à 2,5 %, progresser à 10 % en 2035 puis à 15 % en 2050. « Le transport routier et l’industrie vont ainsi demeurer les principaux consommateurs de GNL et les carburants traditionnels rester prédominants comme le diesel avec 59 % de part de marché en 2030 diminuant à 36 % en 2050 », a souligné Peter Colon. Après cette réalité d’évolution plutôt modeste des chiffres de la consommation de GNL en navigation intérieure, les qualités environnementales de ce carburant alternatif ont été rappelées notamment par les représentants des ports. Ceux d’Anvers et de Rotterdam ont indiqué que « la réglementation concernant la réduction des émissions polluantes des activités portuaires et industrielles néfastes pour la santé des citoyens devient de plus en plus stricte toute comme celle concernant la protection de l’environnement ». Dans ce contexte, l’utilisation des carburants alternatifs comme le GNL constitue une solution. Même si, pour l’instant, cette énergie est assez peu concurrentielle compte tenu de la baisse des cours du baril de Brent. Pour mettre en place une infrastructure d’avitaillement en GNL dans un port, plusieurs conditions doivent être remplies. Comme disposer de GNL à proximité, grâce à un terminal méthanier, des camions ou des bateaux avitailleurs, ou comme créer une zone de stockage. Il faut définir des règles techniques et de sécurité pour l’installation du GNL, pour l’avitaillement. Sur ces normes, certains des participants ont indiqué la nécessité d’une harmonisation sans tarder, d’autres ont relevé que la standardisation des procédures pouvait attendre encore un peu. La CCNR a déclaré être en train de finaliser une liste de contrôle harmonisée pour l’avitaillement en GNL, de bateau à bateau ou de bateau à terre, qui devrait être publiée d’ici la fin de l’année. Cette liste a été construite en partenariat avec la professsion. D’autre part, après un premier paquet réglementaire adopté en juin, l’ensemble de la réglementation s’appliquant aux bateaux utilisant du GNL comme combustible sera adopté d’ici la fin de l’année par la CCNR, garantissant des normes de sécurité élevées, et offrant par la même occasion la sécurité juridique nécessaire aux investisseurs. Pour la CCNR, « il faut comprendre que le GNL carburant est une technologie neuve et que toute la réglementation mise en place constitue un début susceptible d’évoluer avec le temps et les retours d’expérience ».
L’avitaillement en GNL à petite échelle
Michael Dietrich, chef du département technique du port intérieur de Mannheim, a montré le succès de la mise en place d’un avitaillement en GNL à petite échelle (small scale) par camions. Des mesures ont été prises en partenariat avec la police fluviale et les services d’extinction des incendies qui sont prêts à intervenir en cinq minutes si besoin. Tous les services sont prévenus au moins 24 heures à l’avance de la réalisation d’un avitaillement. Une zone de sécurité de 25 m autour de l’avitaillement est systématiquement mise en place. Lors de l’avitaillement, les autres bateaux ne doivent pas s’approcher du quai tandis que le trafic ferroviaire est interrompu. « Il n’y a pas de problème actuellement car le nombre d’avitaillements est très faible, a indiqué Michael Dietrich. Le GNL est désormais considéré à Mannheim comme un carburant sûr et dont l’exploitation est sûre. » La prochaine étape pour le port de Mannheim est la création d’une chaîne de livraison voire d’un réseau d’avitaillement pour fournir du GNL aux utilisations des modes de transport autres que le fluvial, les industriels et mêmes les ménages. Au port de Rotterdam, en 2016, une installation de chargement de GNL sur navires et barges fluviales devrait compléter la station de chargement de camions-citernes déjà en activité. Au port d’Anvers, un projet de station d’avitaillement progresse également.
L’influence des prix du pétrole
Les armateurs ont eux aussi fait part de leur retour d’expérience avec les bateaux de navigation intérieure fonctionnant au GNL/ diesel mis en service depuis 2013. Gunther Jaegers, p.-d.g. de l’armement Jaegers, DTSG et Chemgas, et Ben Maelissa, p.-d.g. de Danser Group, ont tous les deux indiqué que leurs projets de bateaux respectifs avec une propulsion GNL/diesel ont pu voir le jour grâce au contexte des prix très élevés du pétrole. La situation actuelle de forte baisse de ces prix rend difficile de nouveaux projets. Toutefois, la surproduction mondiale de GNL à moyen et long terme pourrait être de bon augure pour la compétitivité future de ce carburant. Pour l’armement Jaegers, deux autres motivations expliquent la réalisation des projets de bateaux Sirocco et Sérafina: développer une expérience avec le GNL, comme carburant puis comme marchandise transportée, et réduire l’empreinte environnementale. Les deux p.-d.g. ont admis avoir connu « des difficultés techniques, surmontées grâce à leurs partenaires et au fait d’appartenir à des groupes dotés d’une capacité d’intervention rapide ». Ils ont précisé que les investissements sur leurs projets de bateau GNL ont été élaborés sans faire appel à des subventions. Les informations sur l’existence de celles-ci « sont venues plus tard », notamment dans le cadre de la CCNR ou de LNG Masterplan. Que ce soit pour les Sirocco et Sérafina de Jaegers ou l’Eiger-Nordwand de Danser, aucun des deux armements n’a encore enregistré de retour sur investissement. Gunther Jaegers a expliqué qu’un bateau de navigation au GNL/diesel représente un surcoût de 2 M€ par rapport au diesel seul. Il a noté que « les avitaillements en zone ARA fonctionnent mieux que ce qui avait été évalué avant le lancement des bateaux ». Des progrès dans le développement de la chaîne d’approvisionnement du GNL carburant pourraient accélérer son introduction en navigation intérieure.
Des normes d’émissions inadaptées
Pour Bram Kruyt, directeur inland waterways de Wärtsilä, « des bateaux-pilotes ont montré leur valeur. Un point particulièrement positif est qu’ils sont de type très différents: vraquiers, porte-conteneurs. La standardisation apparaît possible, notamment pour les citernes, ce qui permet d’envisager des économies d’environ 30 % en termes d’investissement ». Pour les armements fluviaux, le principal frein actuel au lancement de nouveaux projets de bateaux au GNL est la réglementation de l’Union européenne avec les discussions en cours sur le nouveau règlement sur les émissions des engins mobiles non routiers. Ben Maelissa, p.-d.g. de Danser Group, a déclaré: « Nous voyons aujourd’hui que nous sommes punis alors que nous avons été innovants. Il y a une volonté de l’Union européenne d’appliquer à la navigation intérieure des normes très inadéquates en matière de réduction des émissions. » Aussi, tous les participants ont appelé à davantage de cohérence dans le soutien apporté par l’Union européenne au développement du GNL et, en particulier, à un renforcement de la sécurité juridique dans le cadre du nouveau règlement sur les émissions des engins mobiles non routiers. En effet, les limites d’émissions ambitieuses ainsi que des cycles d’essai davantage fidèles aux conditions d’exploitation réelles doivent accompagner le développement du GNL, sans pour autant exiger des investissements supplémentaires avec des systèmes de post-traitement. Des limites d’émissions trop exigeantes pourraient stopper les investissements et l’innovation dans le domaine de la navigation intérieure pour l’utilisation du GNL carburant.