Journal de la marine marchande (JMM): le comité des armateurs fluviaux est-il satisfait des travaux qui se sont déroulés cette année et des objectifs prioritaires retenus à l’issue de la conférence: compétitivité, innovation, sécurité, d’une part, et développement commercial d’autre part?
Didier Léandri (D.L.): Un tel exercice d’analyse des forces et faiblesses du transport fluvial était le bienvenu. La profession, qu’on dit souvent tournée sur elle-même, isolée, sans ambition et manquant de cohésion, a trouvé dans cet exercice le moyen de se rassembler sur un constat commun et des actions partagées. Nous avons participé activement aux travaux depuis un an avec des propositions qui ont concerné tous les champs de contraintes: accès au financement, concurrence routière, accessibilité fluviale aux ports maritimes, intégration aux chaînes logistiques, attractivité vis-à-vis des chargeurs, levée des barrières administratives.
Le point d’étape effectué par le secrétaire d’État lui-même, je tiens à le souligner, avec un engagement fort de l’administration et des établissements publics (ports, VNF), montre que le transport fluvial est bel et bien sur une trajectoire de croissance que la crise affecte diversement selon les marchés. Des leviers importants de compétitivité ont été identifiés et objectivés, qui forment l’ossature d’une vraie feuille de route qui reste encore à préciser plus finement dans les travaux à venir.
L’administration a également travaillé en temps masqué dans plusieurs domaines. Entre autres, l’expérimentation de la THC unique au Grand port maritime de Dunkerque lancée au 1er septembre et l’engagement du secrétaire d’État d’étendre cette initiative aux autres ports maritimes français. Également, l’instauration d’un nouveau cadre de régulation des relations contractuelles chargeurs/transporteurs et des pratiques de cabotage avec la loi Macron, ou bien encore la nouvelle réglementation sur l’accès fluvial à Port 2000, nouvelles modalités d’organisation et de gouvernance des ports avec la loi « Notre » (Nouvelle organisation territoriale de la République). Beaucoup reste à faire, avec un point de vigilance important sur le marché du transport combiné. Il s’agit aussi de ne pas relâcher l’effort dans un exercice qui, avec le temps, risquerait d’épuiser les énergies.
JMM: vous souligniez dans votre communiqué du 7 avril les baisses subies dans le cadre du plan d’aide à la modernisation de la flotte. Quels sont aujourd’hui les points d’insatisfaction ou de préoccupation, par exemple sur les moyens mis en œuvre, les politiques de soutien, notamment les mesures d’un prochain plan d’aides VNF?
D.L.:Vous avez raison de souligner que les motifs d’inquiétude sont encore nombreux: dans l’immédiat, la situation d’impasse que connaît la desserte fluviale au Havre affecte dangereusement les trafics. L’annonce de la fin des aides à la pince à moyen terme interroge sur le modèle économique des opérateurs. L’insuffisante disponibilité des fonds de soutien à la modernisation rend difficile l’industrialisation de la filière. La Conférence nationale sur le fret fluvial ne résoudra pas tout, je suis le premier à le dire. Elle a été conçue dans un cadre bien précis: adresser la compétitivité des entreprises et des marchés, avec une donnée fondamentale que chacun connaît: l’État n’a plus d’argent. C’est pourquoi, au-delà du plan d’action opérationnel qui en sera tiré, des mesures d’accompagnement qui seront mises en œuvre et qui ont commencé à l’être, la profession attend de l’État qu’il aille plus loin en tant que régulateur.
À cet égard, le sujet de l’infrastructure est primordial. Il s’agit de passer à la vitesse supérieure car l’état du réseau existant pose question, comme vient de le démontrer la panne survenue à l’écluse de Méricourt qui a bloqué le trafic fluvial sur la Seine pendant 48 heures. Le développement du réseau est aussi un point de passage obligé si nous voulons changer véritablement d’échelle, développement que chacun connaît: Seine-Escaut, Bray Nogent, Magéo, canal du Rhône à Sète, accès fluvial direct à Fos et à Port 2000 et, à plus long terme, Saône-Moselle/Saône-Rhin.
Une autre condition de ce développement réside dans le rétablissement d’une concurrence équitable entre les modes de transport par le biais d’une prise en compte des externalités positives et négatives, après l’abandon regrettable de l’écotaxe. Mais ce à quoi nous croyons par-dessus tout, c’est que les ports, qu’ils soient maritimes ou fluviaux, sont les pivots de ce développement.
Je retiens aujourd’hui la dynamique engagée dans le cadre de cette conférence avec une volonté que je crois sincère des acteurs de tirer vers le haut le secteur, mais il faut aller plus loin et plus fort.
Le point de vue de Michel Dourlent, coprésident de TFF et président de la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA)
Dans un communiqué du 21 octobre, intitulé Conférence nationale sur le fret fluvial: du concret pour les entreprises et une ambition fluviale retrouvée, TFF salue « l’engagement des pouvoirs publics aux côtés de la profession et appelle à mettre en œuvre concrètement les décisions prises et les textes promulgués ». Pour Michel Dourlent, coprésident de TFF et président de la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA), « la revitalisation et la modernisation du réseau navigable national doivent être au cœur des efforts menés par la puissance publique afin d’assurer l’attractivité du mode fluvial auprès des chargeurs/clients ». Il ajoute qu’« une politique de long terme centrée sur l’efficacité et la fiabilité des infrastructures favorisera l’installation de nouveaux entrepreneurs ». Il rappelle enfin, qu’« à l’heure de l’ouverture des marchés, la concurrence fiscale et sociale exercée par les pavillons européens se fait toujours plus forte. La défense du pavillon fluvial français est plus que jamais une nécessité ».