La SNCM attend que son avenir se décide entre les tribunaux français et européens. Les repreneurs affûtent leurs offres de reprise en intégrant une dimension économique et sociale. Face à ces joutes économiques et judiciaires, le STC Marins (Syndicat des travailleurs corses) a peaufiné un projet original qu’il a présenté lors de la fête de la Confédération nationale du travail à Paris le 8 mai. Il propose de créer une Compagnie publique locale qui s’inscrive dans la pérennité du système.
Dans son rapport de 40 pages, le STC examine la situation de la SNCM avec le détail d’experts confrontés à la réalité quotidienne de l’armement. Le projet de Compagnie publique locale repose avant tout sur un constat alarmant pour « le peuple corse », souligne le rapport. L’essence de ce projet se base sur la volonté du syndicat d’éviter que « la Corse souffre de ses transports maritimes ». Le STC s’indigne de la situation des transports maritimes avec la Corse. « Jamais au grand jamais la Corse n’a été placée au cœur du dispositif de continuité territoriale, en termes de développement économique, industriel et social. Au fil du temps, nous avons dû subir des choix étrangers à nos intérêts collectifs, qui pourtant demeurent ceux d’usagers réels, de par notre nature d’insulaires. L’histoire nous enseigne que de par le fait accompli, l’État alors gestionnaire nous a imposé le “gigantisme” d’une flotte démesurée, inappropriée, trop coûteuse et très souvent pensée en dépit du bon sens, car totalement inadaptée à nos besoins », souligne Alain Mosconi. Et s’attaquant aux opérateurs privés, il les juge tout aussi responsables de la situation de la SNCM. En ayant mené « une gestion chaotique, ils manœuvrent pour quitter le navire SNCM à moindres frais. Ils auront eu pour seule volonté de vampiriser la compagnie qu’ils se sont accaparée avec la bénédiction de l’État. Ils auront jusqu’au dernier jour, en vendant les actifs stratégiques (siège social, actionnariat à la CMN, navires…), appauvri la structure jusqu’à son paroxysme. Aujourd’hui, la trésorerie de la SNCM est exsangue ». Un constat alarmant que le secrétaire national du STC veut mettre en défaut en proposant une solution alternative aux offres de reprise faites par Baja Ferries, Christian Garin et les transports Rocca.
Le projet repose sur la création d’une CPL qui serait détenue par la Collectivité territoriale corse. Aujourd’hui, la SNCM repose sur deux piliers: l’un agissant au nom de la continuité territoriale avec le continent, l’autre sur les relations entre la France et le Maghreb. Deux structures étroitement liées actuellement par une holding unique. Dans ce projet, Alain Mosconi souhaiterait que ces deux pôles soient liés entre eux par un lien conventionnel plus que juridique.
Éviter la procédure d’appel d’offres
Toute l’argumentation du STC repose sur une réalité juridique: le concédant peut être aussi le concessionnaire. Et, sous certaines conditions, il peut également s’attribuer tout ou partie de la desserte publique en dehors de toutes contraintes réglementaires européennes. Trois alternatives s’imposent: la création d’une société d’économie mixte d’investissement, la création d’une société d’économie mixte industrielle et la Compagnie publique locale. Les deux premières solutions ont le mérite d’apporter à la Collectivité territoriale de Corse la capacité d’être propriétaire de la flotte et donc d’agir en faveur des usagers de l’armement. Seule ombre au tableau, et de taille pour Alain Mosconi, ces solutions ne garantissent pas une pérennité de l’opérateur. L’avantage de la CPL permet d’attribuer la flotte à la CTC tout en assurant une gestion sur le long terme à un opérateur sans passer par la procédure de l’appel d’offres européen.
Outre l’aspect technique et juridique, le rapport du STC va plus loin en proposant une vision à long terme sur la flotte. Aujourd’hui, sept navires assurent les liaisons au titre de la DSP entre Corse et continent. La SNCM dispose de quatre navires et la CMN en aligne trois autres. Pour le secrétaire national du STC Marins, l’outil naval doit revenir à la CTC. « La Corse, au sein de sa Collectivité territoriale, a exprimé le souhait de voir le matériel naval en charge du service public être versé au titre de son patrimoine public, ce qui serait la moindre des choses, dans la mesure où l’Assemblée de Corse, au travers du financement de dotation de continuité territoriale, a financé les navires. » Il ajoute: « Nous sommes de ceux qui pensent que le matériel naval dédié à la DSP doit revenir à la puissance publique, et ne pas être une fois de plus bradé à des intérêts prédateurs privés. » Outre le retour de l’outil à la CTC, le rapporteur du STC envisage le renouvellement de la flotte. Celui-ci doit intervenir dans un terme de dix ans. Le financement doit se faire par le biais de la CTC, en accord avec la compagnie et faire appel à des outils de financement comme la Banque publique d’investissement, la Caisse des dépôts voire l’appel à un actionnariat par l’épargne populaire Corse.
Pour le choix des navires, le rapport du STC préconise l’achat de navires ropax du même type que le Pascal-Paoli, soit 2 300 m linéaires pour le fret et 1 500 passagers. Des navires que le secrétaire du STC Marins veut technologiquement avancés pour réduire l’impact environnemental et limiter les coûts opérationnels de la CPL. Le renouvellement de cette flotte devra se faire selon un système de sister-ships afin de réduire les coûts à l’achat des navires. Quant à la maintenance des unités, le STC propose une solution industrielle avec les Chemins de fer corses. L’utilisation de leurs locaux à Casamozza dans le cadre d’un contrat permettra de rationaliser toute la maintenance des navires. De par ce système, les CFC disposeraient d’une manne financière sur le long terme et la CPL minimisera ses coûts logistiques de maintenance.
Coopération entre la CPL et les Chemins de fer Corses
Outre l’aspect technique, le projet du STC aborde la question sociale. Il revendique le « droit inaliénable des travailleurs à la grève mais dans un cadre extraordinaire ». Refusant le service minimum, il propose une solution à deux niveaux. Le premier consiste à créer dans la nouvelle compagnie un dialogue social en amont entre syndicats, concédant, directions et usagers. En cas d’échec de cette négociation, il propose la mise en place d’un « service social et solidaire ».
Enfin, ce rapport envisage aussi la création d’un service public dans l’arc méditerranéen et notamment pour les liaisons entre la Corse et la Sardaigne, voire vers la Catalogne par le port de Barcelone. Il préconise la mise en place d’un GECT (Groupement européen de coopération technique). Prévu par la réglementation européenne, ce GECT regrouperait les collectivités territoriales concernées, les États membres et les collectivités locales. Outre l’aspect de développement de la Corse et des autres régions concernées, ce groupement pourrait mettre en place des autoroutes de la mer entre les différentes régions afin de développer les relations entre les États membres. Le STC Marins souhaite que ce projet soit pris en compte par les différents intervenants pour « construire des transports vers la Corse autrement ».