La compagnie pétrolière brésilienne est au centre d’un retentissant scandale de corruption touchant une quarantaine de hautes personnalités politiques. De nombreuses entreprises brésiliennes du BTP ont également été mises en cause: ces dernières auraient versé des pots-de-vin à des responsables de Petrobras pour obtenir des contrats. Les principaux fournisseurs du géant pétrolier, comme Odebrecht, OAS ou Camargo Corrêa, exclus des marchés publics, sont dans le collimateur de la justice. Des soupçons de corruption s’étendent aussi à plusieurs multinationales étrangères, comme Mærsk, Rolls-Royce, les constructeurs de chantiers navals de Singapour Keppel Corporation et Sembcorp Marine, le Coréen Samsung Heavy Industries… L’ampleur de ces transferts illégaux d’argent pourrait atteindre les 4 Md$ au moins, selon les estimations officielles.
Pour l’heure, la coalition gouvernementale est déstabilisée. Près d’un million et demi de Brésiliens ont manifesté, le 15 mars, dans les principales villes du pays pour réclamer le départ de la présidente Dilma Rousseff. Cette dernière est depuis des semaines la cible d’une grogne montante en raison de ce scandale de corruption, d’autant qu’elle était membre du conseil d’administration de Petrobras au moment des faits.
Les conséquences économiques de la polémique se font également sentir. La compagnie pétrolière brésilienne a annoncé fin janvier une série de mesures pour redresser sa situation financière. Au programme: la vente d’actifs pour 3 Md$ cette année, un plan d’investissement 2015-2019 « plus sélectif », la maîtrise de l’endettement et probablement le report du paiement de son dividende. Petrobras serait désormais la plus endettée et la moins rentable des grandes majors du pétrole. Faute d’états financiers chiffrant précisément les retombées de ce scandale, le groupe brésilien ne pourrait plus lever de fonds sur les marchés internationaux des capitaux.
Par ricochet, plusieurs investissements ont été annulés ou suspendus, et des faillites ne sont pas à exclure. Ainsi, Petrobras, dépourvu de visibilité, n’a pas renouvelé les contrats d’affrètement de sondes d’exploration pétrolière passés avec les entreprises Seadrill, Pacific Drilling et Diamond Offshore. Selon le président de Pacific Drilling, Chris Beckett, Petrobras devrait néanmoins conclure de nouveaux contrats d’ici 12 à 18 mois, après s’être restructuré en interne.
L’industrie navale dans la tourmente
Par ailleurs, l’industrie navale est touchée de plein fouet, notamment les cinq chantiers navals qui travaillent avec la Sete Brasil: Rio Grande, à Rio Grande (État de Rio Grande do Sul), BrasFels, à Angra dos Reis (État de Rio de Janeiro), Jurong, à Aracruz (Espirito Santo), Enseada Paraguaçu à Maragojipe (Bahia), et Atlântico Sul, à Ipojuca (Pernambouc). Pour rappel, la Sete Brasil, créée en 2010, était censée fournir 29 sondes de perforation à Petrobras, soit un projet représentant 25 Md$. Aujourd’hui en difficulté financière, la Sete connaît des retards de paiement. Affecté par cette crise et un manque de liquidité, le chantier Enseada do Paraguaçu a suspendu ses activités fin février pour une durée indéterminée. De son côté, le chantier Atlântico Sul a rompu son contrat avec la Sete Brasil pour la construction de sept sondes. Au Brésil, l’explosion du scandale Petrobras aurait provoqué plus de 20 000 licenciements dans les chantiers navals, selon les syndicats de travailleurs. Ces derniers se montrent très préoccupés face au ralentissement des investissements, même si la Sete Brasil a déclaré qu’elle travaillait actuellement pour l’obtention de nouvelles lignes de financement à court terme.
Certains experts comme Segen Estefen, professeur spécialisé dans les structures océaniques à l’université Coppe/UFRJ, estiment que la situation actuelle pourrait provoquer un écroulement de l’industrie navale brésilienne. Après un âge d’or dans les années 1970, les chantiers navals du pays ont en effet connu une traversée du désert jusqu’aux années 2000. Les commandes de Petrobras et de Transpetro, sa filiale pour les activités de transport, ainsi que les financements garantis par le Fonds de la marine marchande (ministère du Transport), ont permis de doper la filière qui compte désormais une grosse vingtaine de chantiers navals. Grâce au Plan de modernisation et de rénovation de la flotte (Promef) de Transpetro, initié en 2005, le secteur serait ainsi passé de 12 600 employés à 82 500 l’an dernier. Aujourd’hui, les deux principaux défauts des chantiers navals sont pointés du doigt: le manque de compétitivité et la très (trop?) forte dépendance aux commandes de Petrobras. Sans le « plan de sauvetage » urgent dirigé par le gouvernement, le scandale Petrobras pourrait bien provoquer la ruine de cette industrie, juge Segen Estefen. « Pour cela, il faut mettre fin au blocage des investissements et restructurer les plans de négoce des chantiers, grâce à l’aide du gouvernement », conclut-il. Mais d’autres experts se montrent plus dubitatifs: le gouvernement brésilien est-il à même de sauver ce secteur alors que l’économie brésilienne est au bord de la récession? Selon un analyste de Moody’s Investors Service, Petrobras pourrait coûter au Brésil l’équivalent de cinq points de croissance si le gouvernement était obligé de renflouer la compagnie pétrolière mise à mal par ce scandale.