La Colombie est en plein développement économique. Les ports ont été modernisés au cours des vingt dernières années, mais pas les autres voies de circulation. Un vaste chantier est en route pour relier les centres de production au littoral.
Jusqu’en 1991, tous les ports colombiens appartenaient à l’État. « Mais ils étaient peu efficaces », souligne Juan David Barahona, directeur de l’infrastructure au ministère du Transport. Il énumère différents problèmes: corruption, mainmise des fonctionnaires, conflits syndicaux… En 1991, la Loi première donne aux ports du pays un nouveau statut et donne l’accès au secteur privé. « Nous sommes alors passés d’un État paternaliste à un État qui fait confiance au secteur privé pour le développement de ses ports. L’État n’est plus là pour générer de nouveaux ports, mais plutôt pour faciliter les nouvelles initiatives. »
Ainsi sont apparues les concessions portuaires privées toujours en place aujourd’hui. En contrepartie de l’usage qu’elles ont du littoral, des ports et de l’hinterland, elles paient à l’État une compensation. « Ça a été un succès, commente aujourd’hui Juan David Barahona. Les ports sont maintenant beaucoup plus efficaces. Le privé va plus vite que l’État pour identifier les besoins. Ils investissent dans des équipements, modernisent les infrastructures, embauchent des personnes beaucoup plus compétentes que les fonctionnaires qui étaient là auparavant. » La Banque mondiale reconnaît ce progrès, se réjouit de la fin du monopole des entreprises d’État qui gérait les ports et salue même la baisse des tarifs et les gains de productivité qui en ont découlé. Aujourd’hui, les investissements qui sont réalisés dans les ports viennent majoritairement du secteur privé. Mais les compensations versées à l’État vont abonder un fonds de ressources destiné précisément aux aménagements nécessaires pour accéder aux terminaux.
Le retour des étrangers
Les ports colombiens vivent actuellement un plein boom, du fait de la loi de 1991 qui a permis d’associer le secteur privé à leur devenir, et aussi grâce à l’apaisement que retrouve le pays. Après près de cinquante années de conflits armés mêlant guérilla, narcotrafiquants, armée colombienne puis, plus récemment, paramilitaires, le pays retrouve le calme.
Entre trêves, négociations et désarmements, l’économie se remet à bouillonner. La Colombie est le premier pays d’Amérique latine par son taux de croissance, parmi les trois premiers avec le Mexique et le Brésil en ce qui concerne le PIB par habitant. Il investit à nouveau dans ses propres outils de production. Les étrangers, qui avaient fui un pays à feu et à sang, sont réapparus et se font eux aussi de plus en plus présents, notamment dans les ports et leurs abords.
Les ports sont en effet des éléments clés pour accompagner la croissance. Le gouvernement en est conscient, qui dit et redit sa volonté d’assurer leur développement. Il a multiplié les nouveaux accords commerciaux ces deux dernières années, avec l’Union européenne, la Corée, Israël, etc. Il en négocie d’autres avec la Turquie et le Japon. L’État accompagne les investissements réalisés dans les ports. Les quatre principaux, Buenaventura sur le Pacifique, Carthagène des Indes, Barranquilla et Santa Marta sur l’Atlantique ont fait un formidable bond en avant depuis l’arrivée du secteur privé dans leurs enceintes. Tout autour d’eux, les ports privés se multiplient. Sur la côte Nord, celle des Caraïbes, on trouve désormais un port tous les 30 à 50 kilomètres.
Toutes ces concessions sont administrées par l’Agence nationale d’infrastructure (ANI). C’est à elle que se présentent les investisseurs, les candidats à une concession ou encore les sociétés qui souhaitent aménager un nouveau port. Et ils sont nombreux par les temps qui courent: l’agence étudie actuellement pas moins de 25 demandes de création de nouveaux ports par des entreprises privées. Une consigne cependant est faite à l’ANI: elle doit donner la priorité aux entreprises privées qui travaillent sur les ports publics.
Routes, fleuve et rail
Cependant, les deux principaux centres industriels et de consommation du pays se situent à Bogota, la capitale, et Medellin, deuxième ville du pays par la taille et l’activité. Mais ces deux villes sont à l’intérieur du pays, perchées dans les montagnes des Andes, à respectivement 1 000 km et 600 km de la côte Caraïbe au nord du pays, principal débouché pour leur production, et à 500 km chacune de Buenaventura, sur le Pacifique. Ceci par des routes de montagne souvent en piteux état où la moyenne horaire atteint difficilement les 50 km/h.
L’État va doper les investissements pour faciliter les échanges: amener les productions des deux centres industriels vers les ports pour les exporter, ramener de ces mêmes ports les marchandises importées. Pour 2015 et les trois à quatre années suivantes, un ensemble de projets, appelés « la quatrième génération », sont d’ores et déjà programmés. Onze mille kilomètres des principaux axes routiers entre la côte et les gros centres de production vont être refaits, avec doublement des voies et élimination des courbes. Le chantier devrait s’achever en 2019. « La circulation sera alors complètement fluide », assure Juan David Barahona.
L’autre grand projet concerne le fleuve Magdalena qui traverse la moitié de la Colombie du sud au nord, de Bogota jusqu’à la mer et plus précisément au port de Barranquilla. Dans un premier temps, c’est la route qui le longe qui est concernée. Ses voies vont être doublées pour fluidifier le trafic. Quant au fleuve lui-même, 420 M€ vont être investis pour lui rendre sa navigabilité. Actuellement utilisable sur sa moitié aval, et encore, avec des tirants d’eau variables, il le sera, à terme, jusqu’à Bogota. L’objectif est de donner au fleuve une profondeur de sept pieds tout au long de son parcours, « chaque jour de l’année et chaque heure du jour ». Le chantier devrait prendre cinq ans. L’État va s’associer au privé pour réaliser le projet. Déjà, une société hollandaise est candidate pour les travaux sur le fleuve et une autre, suisse cette fois, pour l’aménagement de ports fluviaux qu’elle exploitera ensuite.
10 Md$ investis autour des ports
L’étape suivante concernera la ligne de chemin de fer qui, elle aussi, suit le fleuve. Pour le rail comme pour la route ou le fleuve, l’État prévoit là encore de faire appel aux investisseurs privé pour ensuite leur donner le statut d’opérateur des voies ferrées réalisées. Là, c’est une compagnie britannique qui est sur les rangs. Ailleurs dans le pays, quelques voies de chemin de fer sont bien utilisées, mais ne sont pas connectées entre elles. Sur la côte atlantique, Santa Marta et les ports charbonniers du nord du pays sont reliés à des centres de production de charbon, la Colombie en étant un gros exportateur.
Les ports constituent aujourd’hui la partie la plus avancée de l’énorme effort de modernisation de ces infrastructures que réalise la Colombie. L’amélioration des routes est donc la prochaine étape. Puis viendra le fluvial et enfin le rail. « Nous avions cinquante ans de retard en matière d’infrastructure », regrette Juan David Barahona. « Mais avec les aménagements prévus, nous aurons même dix ans d’avance par rapport aux autres pays d’Amérique latine. »
L’autre phénomène est le déplacement de l’économie colombienne vers le littoral caraïbe. Puisque les marchandises importées ont du mal à arriver jusqu’à elles, ce sont les entreprises, colombiennes comme étrangères, qui vont vers les ports. Sur les trois dernières années, les investissements réalisés par ces entreprises pour s’agrandir ou s’installer à proximité des trois grands ports du Nord sont estimés à 10 Md$. Et le même mouvement devrait encore s’amplifier dans les prochaines années.
Le glas des syndicats
Dans la Loi première, qui a ouvert les ports de Colombie au secteur privé, un paragraphe de son article 1 précise: « Il ne sera exigé de personne d’être membre d’associations, de corporations ou de syndicats, ni d’avoir un permis d’une quelconque autorité pour travailler dans une société portuaire. Nul n’obligera une société portuaire ou un usager des ports à employer plus de personnes que ce qu’il considère nécessaire. » La puissance des syndicats a ainsi été réduite à néant.
Quelques chiffres
La Colombie abrite 80 ports répartis entre neuf zones portuaires, avec une capacité totale de 165 Mt par an. Vingt-cinq nouvelles demandes de concessions sont actuellement examinées par l’ANI, l’Agence nationale d’infrastructure. Elles représentent une capacité supplémentaire de 50 Mt.
La « guerre du centime » entre les ports de la Caraïbe
Des quatre principaux ports de Colombie, trois se situent sur la côte atlantique, à une centaine de kilomètres de distance. S’ils appartiennent toujours à l’État, ils sont aujourd’hui gérés par de multiples concessions publiques et privées et font jouer entre eux une concurrence forcenée. Carthagène est désormais le principal port conteneurs du pays et même l’un des tout premiers des Caraïbes, en phase de devenir l’un des principaux hubs au débouché du canal de Panama. Mais Barranquilla et Santa Marta n’ont pas dit leur dernier mot pour autant. Et ne lâchent rien pour les autres trafics. « Les clients sont très attentifs à cette concurrence, souligne-t-on à Santa Marta, à ce qu’on appelle aujourd’hui “la guerre du centime”. »