Le constat réalisé par Fitch Ratings est quelque peu déroutant. Depuis sa création dans les années 1950 jusqu’à sa croissance à deux chiffres pendant la première décennie du siècle, en passant par une phase de lancement progressive, la conteneurisation a atteint son seuil de maturité.
Dans ce rapport, Fitch Ratings explique l’origine de cette croissance de la conteneurisation. L’entrée dans l’Organisation mondiale du commerce de la Chine a poussé les industriels à délocaliser de plus en plus leurs sources de production vers l’Asie. Avec un taux de fret relativement faible, le coût du transport dans une marchandise ne s’élève pas à plus de 5 % du prix final. « La conteneurisation a nourri et s’est nourrie de la globalisation de l’économie », souligne le rapport de Fitch Ratings. Ainsi, au cours des dernières décennies, la croissance du trafic conteneurisé dans les ports européens a dépassé celle du PIB.
La belle époque est désormais révolue, selon Fitch Ratings. Les ports européens sont arrivés à maturité. Pour les consultants, plusieurs éléments expliquent cette nouvelle donne dans la conteneurisation portuaire européenne. En premier lieu, la Chine et les autres pays composant le groupe des Brics construisent leur marché local et, par voie de conséquence, leurs productions seront moins orientées vers l’exportation. De plus, l’écart des coûts salariaux entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est se réduit. En Europe, note Fitch Ratings, les salaires se stabilisent quand ils enregistrent une forte croissance en Asie. Pour les consultants, il existera toujours des pays moins disant en matière sociale, mais la « grande marée » chinoise est passée. Troisième élément militant en faveur d’une maturité de la conteneurisation sur le Vieux Continent, certaines productions font l’objet d’une relocalisation en Europe, ce qui réduirait considérablement la demande en transport. Ensuite, des dirigeants politiques militent pour des mesures protectionnistes. Enfin, de nouvelles formes de consommation et de production, notamment avec les imprimantes en 3D pourraient modifier les besoins en logistique. Outre ces différents paramètres, Fitch Ratings souligne que le mouvement de la conteneurisation à outrance de tous les produits, y compris des vracs, arrive aussi à maturité.
Un tiers du trafic conteneurisé nord-européen dans trois ports
En Europe, 65 % du trafic conteneurisé est concentré dans une quinzaine de ports. En Europe du Nord, trois ports concentrent un tiers du trafic conteneurisé: Rotterdam, Hambourg et Anvers. Une position que ces ports ont su bâtir sur leur réseau terrestre, et notamment fluvial, avec les grands centres industriels et de consommation en Europe. En misant leur croissance sur le trafic conteneurisé, ces ports se sont aussi mis en danger. Ainsi, souligne le consultant, lorsqu’en 2009 les trafics ont enregistré des baisses de trafic, leurs revenus se sont aussi affaissés. Avec la crise de 2008, les compagnies maritimes mais aussi les sociétés de logistique ont souffert financièrement. Pour rester dans la course, elles doivent réaliser des économies dont les effets pourront se faire sentir sur le trafic portuaire. Pour Fitch Ratings, la première source d’économie pourrait survenir avec la création d’un nouveau réseau de lignes. Les armements doivent optimiser leur consommation de carburant, et pour ce faire ils feront le choix soit de desservir directement les ports soit d’utiliser des ports de transbordement. Parce que la productivité reste le maître-mot dans ces périodes de crise, les armements privilégieront les ports les plus efficaces et les mieux placés. Les ports qui demandent un détour ou souffrent de congestion pourraient être les perdants dans un futur proche. Second poste d’économie, les alliances entre les armateurs permettront de réaliser des réductions de coûts en alignant des navires plus grands qui ne sont pas opérationnels dans tous les ports. L’impossibilité de recevoir des navires de type ULCS de 10 000 EVP sera un critère qui déterminera l’avenir du port dans la conteneurisation. Le troisième paquet d’économie sera réalisé sur les services des terminaux. Un paramètre qui mettra en concurrence les ports voisins.
La maturité des ports conteneurisés européens tient aussi aux stratégies mises en place par les armateurs. En alignant des navires de plus en plus grands, les ports doivent s’adapter. Ces navires plus grands ne sont pas tellement plus longs, ils sont dessinés pour être plus larges et avec un tirant d’eau plus profond. Dans les ports, « il ne faut pas utiliser plus de portiques mais en conserver le même nombre avec une plus grande productivité pour rester dans la course », souligne Fitch Ratings. Des investissements deviennent nécessaires sur l’aspect terrestre des ports et notamment sur la superficie des terminaux et les modalités de desserte terrestre.
« Ma seule crainte réside dans la surcapacité portuaire »
En 2011, cite le rapport, le président de l’Organisation des ports maritimes de Bahrain a déclaré: « Je suis optimiste pour le futur (…). Ma seule crainte réside dans la surcapacité portuaire. » Des ports ont largement investi, à l’image du Havre qui a créé Port 2000, de Rotterdam avec la Maasvlakte 2, de Bremerhaven avec le CT4 ou de Liverpool avec Liverpool 2. Des terminaux qui n’entrent pas directement en concurrence frontale. Si le risque pour ces ports est d’abord sur l’aspect financier, il s’étend aussi sur les ports de taille plus modeste. Comment ces derniers pourront entrer en concurrence avec leurs voisins devenus des géants? Pour Fitch Ratings, les ports qui peuvent opérer des navires de 5 000 EVP vont souffrir. « Les navires de 5 000 EVP vont vite devenir inadaptés », souligne le rapport de Fitch Ratings. Pour les consultants, ce sont les ports de second rang ainsi que les grands hubs de transbordement qui ne disposent pas d’un hinterland qui pourraient souffrir le plus. Les trafics de ces établissements vont devenir plus volatils.
Et pour finalement enfoncer le clou, Fitch Ratings s’attend à voir de nouvelles modifications dans les routes maritimes. L’ouverture sur une plus longue période de la route arctique, qui permet de réduire de 45 à 35 jours le temps de transport entre l’Europe du Nord et la Chine, mettrait en péril certains ports du sud du Vieux Continent. De plus, les investissements réalisés par la Deutsche Bahn sur la réactivation du Transsibérien pourraient prendre une part des marchés. Il reste que les grands ports conteneurisés européens devraient conserver leur position. Ce sont les ports de moindre importance qui pourraient subir les conséquences de cette réorganisation du conteneur dans les ports.
Le rapport traite le sujet sous l’angle uniquement des trafics est-ouest en omettant toute la dimension actuelle et le développement attendu des trafics nord-sud. La maturité des ports conteneurisés européens est dans les tuyaux, sauf à considérer que demain, le Sud sera une nouvelle source de trafic. Les progressions de trafic conteneurisés avec les pays de l’hémisphère Sud sont en croissance. Hier, le transatlantique dominait le monde maritime. Aujourd’hui, c’est au tour des lignes Europe-Asie de jouer dans la cour des grands. Demain, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est pourront bien devenir les centres de production et de consommation détrônant l’Europe et les États-Unis. Un déplacement des routes maritimes qui redessinera aussi les tailles des navires pour s’adapter aux conditions nautiques des ports de ces nouveaux centres industriels.