La politique portuaire vietnamienne: eaux profondes ou eaux troubles?

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Le Vietnam a beau être un champion à l’export et attirer de nombreux investissements, son système portuaire reste englué dans des dysfonctionnements majeurs.

Cai Mep, à l’embouchure du Mékong, tout au sud du pays. Le joyau des ports vietnamiens. Un joyau coûteux, 2 Md$ au total, mais ses sept terminaux en eaux profondes, dont le lancement s’est étalé entre 2009 et 2013, offraient enfin une escale « confortable » au Vietnam aux plus gros porte-conteneurs du moment, sur des routes directes vers l’Europe ou les États-Unis: le CMA-CGM-Colomba, 11 500 EVP, a été le premier, en 2011, à s’amarrer au terminal CMIT de Cai Mep, co-exploité par APM. Avec, enfin, une capacité globale de 9 MEVP, Cai Mep avait aussi de quoi répondre aux prévisions de croissance du trafic maritime du pays, qui avoisinait les 10-12 % par an à l’époque du lancement du projet. Oui mais Cai Mep aujourd’hui vit au ralenti. CMIT ne tourne qu’à 30 % de ses capacités. Quatre autres terminaux n’ont encore reçu aucun porte-conteneurs et ne survivent que grâce aux vracs et aux croisières. Le ralentissement économique du pays – et en conséquence celui du fret maritime – évoqué par le ministère vietnamien des Transports comme raison principale des revers de Cai Mep n’explique pas tout. D’abord parce qu’il reste relatif: les exportations vietnamiennes ont continué à progresser de 15,4 % en valeur en 2013. Aussi le vieux port de Cat Lai, à Hochiminh-Ville, croule sous un trafic toujours intense: 80 % du fret provenant ou à destination de la zone du delta du Mékong continuent de passer par lui. « Les autorités avaient promis sa fermeture progressive, au fur et à mesure du développement de Cai Mep, explique David Wignall, patron de David Wignall Associates, consultant portuaire basé à Singapour. La promesse n’a pas été tenue. » Cai Mep a aussi contre lui la lenteur du développement des voies de communication terrestres, qui permettraient de relier aisément ses terminaux à Hochiminh-Ville, et le dragage insuffisant de nombre de ses chenaux. « Obtenir du gouvernement central une licence portuaire pour un projet d’envergure nationale est une chose, convaincre ensuite les administrations compétentes de construire les routes qui y mèneront en est une autre », clame David Wignall. Nombre d’entreprises évitent Cai Mep et recourent aux ports de Singapour et Hong Kong pour importer ou exporter leurs marchandises, procédant d’abord ou ensuite par transbordement sur des ports vietnamiens de moindre importance. Confrontés à ces difficultés, les ports vietnamiens ont cherché une issue dans l’augmentation de leurs droits, les ports congestionnés pour se donner les outils propres à accélérer leurs procédures, ceux en surcapacité pour augmenter leurs marges. Plusieurs associations industrielles (textile, produits de la mer, cuir et chaussures) et les compagnies maritimes ont, fin août, tiré la sonnette d’alarme sur ces pratiques, qui grèveraient les exportations vietnamiennes d’un surcoût logistique de 110 M$ à 150 M$ par an. Certains ports, dont Cat Lai, ont commencé à faire machine arrière.

Préoccupation

Autre sujet de préoccupation: le schéma perdant de Cai Mep-Hochiminh Ville ne risque-t-il pas de se reproduire dans le nord du pays? Le projet de port en eau profonde de Lach Huyen est censé soulager Hai­phong, congestionné, vétuste et incapable de recevoir des navires de plus de 40 000 tpl. Il devrait ouvrir en 2016. Les besoins en fret conteneurisé du nord du Vietnam étant évalués à 59 Mt en 2020 pour des capacités ne dépassant pas aujourd’hui les 40 Mt, David Wignal voit dans Lach Huyen « un projet économiquement utile, qui risque toutefois de souffrir commercialement si les infrastructures terrestres de logistique et de communication ne suivent pas ». Les autorités semblent avoir entendu le message: un pont reliera Lach Huyen à la zone industrielle de Din Vuh-Cat Hai (DVIZ) au nord de Haiphong. Dans la même veine, le gouvernement vietnamien, dans un plan récent sur le développement des transports dans le pays à l’horizon 2020, y souligne la nécessité de doter ses grands ports, Lac Huyan et Cai Mep en tête, de meilleurs accès, y compris par le rail. Ce plan n’en comporte pas moins des orientations plus discutables, comme la relance du projet de Van Phong, grand port de transbordement situé près de Nhatrang, sur la côte Sud du pays. Initialement porté par Vinalines, la compagnie maritime nationale en voie de restructuration, ce projet a été suspendu. Le reprendre constituerait, d’après David Wignall, une erreur stratégique: « C’est au milieu de nulle part, avec un hinterland étroit, difficile à aménager. Qui voudra aller se perdre là-bas? » Le plan ambitionne enfin la construction de nouveaux ports en eau profonde. Le pays en a-t-il réellement besoin? La croissance semble certes repartir: + 5,9 % annoncés pour 2014. Les négociations d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne, et du TPP (Trans Pacific Partnership) avec les États-Unis, sans compter l’approfondissement de l’intégration économique de l’Asean, devraient la doper dans les années à venir. Mais « la planification portuaire menée jusqu’à présent a entretenu l’illusion que les nouveaux ports, type Van Phong, pourraient créer des marchés autour d’eux, alors qu’en réalité les ports devraient suivre les marchés. Le plan 2020 ne semble pas corriger le tir », analyse David Wignall. Se pose en outre la question de son financement: 32 Md$ dans son ensemble, dont un gros tiers pour les ports. Le gouvernement en appelle aux PPP et à l’aide internationale et étrangère. Le Japon a déjà co-financé plusieurs projets, dont Lach Huyen et Thi Vai à Cai Mep. La France, pour sa part, a soutenu le port de Cai Lan, non loin de Hanoi, via Proparco, la filiale investissements privés de l’Agence française de développement. Mais les résultats mitigés des ports vietnamiens n’auront-ils pas échaudé de nouveaux prêteurs?

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