Assurer un transit commercial en Arctique nécessite de bien connaître les risques encourus

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« Les transits ayant déjà eu lieu en Arctique par la route maritime Nord (NSR) ou le passage du Nord-Ouest (NWP) ont été ponctuels, considérés comme des aventures, largement soutenus, parrainés et assurés par les gouvernements », explique Marsh USA, spécialiste en courtage d’assurance et en gestion des risques, dans un rapport sur « Les risques et opportunités de la navigation en Arctique » publié le 19 août. Avec la croissance prévue de l’exploitation des ressources d’hydrocarbures en Arctique sur un rythme sans cesse croissant, une utilisation commerciale plus régulières de ces routes apparaît vraisemblable dans les années à venir. D’autre part, le changement climatique mondial, en particulier la fonte de la glace de mer, présente des opportunités pour les réseaux internationaux de transport maritime dans l’Arctique, au moins pendant les mois d’été. Il ne faut pas oublier non plus que les routes maritimes arctiques permettent aux navires de se déplacer entre les océans Atlantique et Pacifique en réduisant la distance entre l’Asie de l’Est et Europe de l’Ouest. Certains de ces itinéraires offrent des alternatives aux canaux de Panama et de Suez. Pour les armateurs, cela signifie de possibles économies substantielles de frais de péage et de soute en plus du gain de temps de parcours. Aussi, l’industrie du transport maritime international apparaît désireuse de tirer le maximum des possibilités offertes par la navigation dans l’Arctique. « Dans ces conditions, les assureurs doivent commencer à réfléchir à une approche ciblée et cohérente pour pouvoir relever les défis posés par la navigation en Arctique du point de vue des couvertures des risques particuliers à cette région », conseille Marsh USA dans son rapport. Les compagnies d’assurance, aussi bien celles spécialisées dans les couvertures corps, facultés, responsabilité civile que les P&I disposent de données précises sur les risques traditionnels du transport maritime. Il n’en va pas de même pour les risques spécifiques liés à une navigation en Arctique, un environnement particulièrement hostile. Ceux-ci doivent être identifiés et mesurés. Sans de telles informations, il est impossible d’établir des taux de cotisation ou de développer des évaluations complètes des risques par les assureurs.

Le gel peut causer des pannes diverses

Malgré l’existence de spécifications pour les navires naviguant en zone polaire (Polar Ice Class for Vessel) et les efforts en cours de l’Organisation maritime internationale (OMI) pour finaliser un « code polaire », les assurances corps vont devoir être adaptées, précise Marsh USA. La navigation en Arctique présente en effet « des défis considérables pour les coques des navires ». Le rapport de Marsh USA en liste un certain nombre. Il rappelle que « le froid extrême peut causer des problèmes au niveau des moteurs ». Par exemple, les liquides présents dans les tuyaux ou les pompes peuvent geler, entraînant alors une déformation d’équipements apparemment robustes et les rendant inutilisables. Une explosion de ces équipements sous l’effet du gel est aussi possible. La couverture de l’Arctique par les aides à la navigation comme le GPS est réduite et disponible de manière aléatoire. Les cartes modernes et les relevés hydrographiques peuvent être inexacts. Ils sont aussi limités à certaines zones. Les compas magnétiques ne sont pas fiables à ces hautes latitudes. La visibilité est réduite à cause d’un épais brouillard, fréquent dans la région. Les rapports météorologiques apparaissent souvent inadéquats avec des orages ou tempêtes violents et imprévus pouvant se produire à tout moment. La glace flottante, pas toujours très visible, peut entraîner des dangers importants même pendant les mois d’été. « Tous ces risques, caractéristiques d’une navigation en Arctique, augmentent le risque d’échouements et d’échouages, de pannes de machines, de dégâts liés à la glace, d’avaries par gros temps, et même d’incendie avec des machines hors d’état de fonctionner ou explosant, et/ou des pompes en panne », continue le rapport de Marsh USA.

L’absence de toute installation humaine

En Arctique, il ne faut pas non plus oublier les risques liés au facteur humain qui sont susceptibles d’atteindre un niveau élevé dans une zone où l’expérience de navigation est limitée et exige de l’équipage une vigilance accrue pendant de longues périodes dans des conditions de navigation particulièrement difficiles et très différentes de celles des autres océans. Pour Marsh USA, il faut aussi « tenir compte du fait que l’erreur humaine fait souvent partie de la cause immédiate des accidents maritimes ». Si un incident se produit à bord d’un navire en Arctique, il se pose de sérieuses préoccupations quant à la distance à laquelle se trouvent les services de sauvetage ou les installations de réparation, en particulier dans la partie orientale de la NSR. Un incident qui pourrait paraître mineur dans les autres zones de navigation peut rapidement dégénérer en Arctique si l’aide adéquate n’est pas disponible ou se situe à des milliers de kilomètres du lieu de détresse; « même le long de la NSR où les brise-glace russes à propulsion nucléaire sont déployés, car il faut se rappeler qu’ils ne sont pas conçus pour effectuer des opérations de sauvetage », indique Marsh USA. Tout incident en Arctique doit être mesuré en fonction du retour implacable de conditions hivernales, créant potentiellement des conséquences encore plus catastrophiques pour un navire en détresse qui ne peut être secouru rapidement. « Et même si des sauveteurs et du matériel de sauvetage peuvent arriver sur le lieu de l’incident, encore faut-il pouvoir utiliser les équipements et effectuer des travaux dans les conditions souvent inhospitalières de la région », poursuit le rapport. Par exemple, mener des études sous-marines pour évaluer les dommages est plus compliqué et dangereux en Arctique qu’ailleurs avec notamment la présence de glace flottante et la basse température des eaux. Les pompes et autres équipements de plongée peuvent ne pas fonctionner dans de telles conditions ou doivent être adaptés. Le processus de transfert de la cargaison d’un navire à un autre (allégement) sera une option difficilement réalisable. Les installations de réparation temporaires sont inexistantes. Les contraintes de temps pour la réalisation des opérations de secours ou de dépannage seront plus importantes et sensibles que dans d’autres océans.

Une gestion compliquée des pollutions

« Pour les P&I, les risques de la navigation en Arctique sont similaires avec toutefois des préoccupations légèrement différentes, estime Marsh USA, étant donné que leurs couvertures sont étendues pour inclure l’enlèvement des épaves, la lutte contre la pollution, le sauvetage, les blessures et l’hospitalisation de l’équipage, entre autres. » Concernant la gestion des épaves, l’entrée en vigueur de la Convention de Nairobi en avril 2015 crée une obligation d’enlèvement pour les exploitants de navires. Une disposition que la Fédération de Russie est susceptible de vouloir faire respecter dans la NSR. Or, avec le manque de matériel de sauvetage adéquat, des capacités de recherche et de sauvetage insuffisantes, des contraintes météorologiques extrêmes, toute opération d’enlèvement de navire pourrait s’avérer extrêmement coûteuse en Arctique. Le risque de pollution constitue une autre préoccupation majeure des P&I. Sachant que le pétrole réagit différemment à des températures froides. Il est moins sensible aux dispersants chimiques, « encore faut-il que ces derniers soient autorisés à être utilisés dans cette région », alerte le rapport. Le pétrole est susceptible de se retrouver piégé sous ou dans la glace, ce qui le rend extrêmement difficile à localiser et/ou à manipuler. Et ce d’autant plus que pendant de nombreux mois de l’année, la région de l’Arctique est plongée dans la nuit ou la pénombre, ce qui rend difficile le repérage des zones polluées, même par avion. Enfin, en cas de blessure ou de maladie d’un ou plusieurs membres de l’équipage, toute hospitalisation constitue un défi majeur en raison de l’éloignement de toute installation humaine. « Toute navigation dans cet océan crée donc des risques liés au climat extrême, complique les opérations de récupération, de soutien de réparation, crée des coûts supplémentaires aussi bien pour les couvertures corps, facultés, responsabilité civile, et pour les P&I », résume Marsh USA. Aussi, « face à une demande pour assurer un transit par les routes maritimes de l’Arctique, la première réponse d’un assureur prudent doit être de s’interroger sur la faisabilité du voyage et de se renseigner sur sa planification », conseille le spécialiste américain en courtage d’assurance et en gestion des risques. En l’absence d’informations sur ces premiers éléments, il est très compliqué, voire impossible pour l’assureur de proposer un tarif ou même d’accepter de couvrir le voyage. « Vu le nombre élevé de dommages enregistrés sur les coques, les assureurs corps devraient demander des études sur les spécifications nécessaires pour les navires naviguant en zone polaire avant d’autoriser tout transit. » Des franchises élevées devraient être appliquées pour les dommages liés à la glace. Les assureurs pourraient aussi ajouter une condition portant sur la nécessité d’avoir à bord un grand nombre de pièces de rechange, notamment des pompes, tuyaux et autres équipements susceptibles de tomber en panne à cause du gel. Enfin, pour Marsh USA, un équipage bien formé constitue l’un des éléments fondamentaux d’une navigation plus sûre en Arctique. Les assureurs devraient alors envisager d’ajouter une condition sur le niveau de compétence et d’expérience de l’équipage opérant dans ces eaux dans tout contrat concernant un voyage par les routes maritimes de la région arctique.

En 2013, 71 navires ont emprunté la route maritime Nord (NSR)

« La route maritime Nord (NSR) longe la côte de l’Arctique russe, rappelle le rapport de Marsh USA, et est utilisée depuis des décennies mais pas à une échelle commerciale ou internationale. » Les changements politiques et économiques depuis les années 1990, la formation de la Fédération de Russie, le développement des grandes découvertes d’hydrocarbures dans la région, l’expansion de la flotte russe de brise-glace à propulsion nucléaire de Rosatomflot ont ouvert de nouvelles opportunités pour les opérateurs internationaux. D’autre part, au cours des dernières années, sous l’effet du changement climatique, les conditions de glace ont permis à certains navires de naviguer par la NSR de juillet à décembre. L’aide de brise-glace est toutefois indispensable même pendant cette période alors que la glace se brise plus aisément et permet aux navires de se déplacer avec plus de facilité. À certains moments, la glace peut même devenir inexistante. En 2013, 71 navires ont été escortés avec succès à travers la NSR par des brise-glace Rosatomflot avec l’accord de la Northern Sea Route Administration (NSRA). En 2012, 45 navires ont transité, soit nettement moins en raison d’un été assez froid qui n’a pas permis à la glace de reculer suffisamment pour autoriser davantage de navigation. « Cela montre que les conséquences du changement climatique ne peuvent pas être systématiquement invoquées pour améliorer la navigation chaque année, souligne Marsh USA. Il y aura sans doute toujours des années avec beaucoup de passages de navires et d’autres moins. » Le rapport précise aussi que « l’escorte par brise-glace est actuellement une exigence de la NSRA pour tout navire souhaitant faire le transit, tout comme l’obtention de son approbation concernant l’aptitude des navires à faire le voyage ».

En 2013, un premier transit commercial réussi par le passage du Nord-Ouest (NWP)

« Passant à proximité de l’Amérique du Nord, le passage du Nord-Ouest (NWP) a la réputation d’être plus difficile que la NSR. Il est généralement admis que le transit commercial restera un défi considérable, même en été et malgré le changement climatique mondial », note le rapport de Marsh USA. Ce n’est qu’en octobre 2013 qu’un vraquier, le Nordic-Orion, a réussi le premier transit commercial par la NWP avec une cargaison de charbon transportée de Vancouver à la Finlande. Le voyage du Nordic-Orion a pris environ une semaine de moins qu’un transit via le canal de Panama, faisant économiser à l’exploitant les frais de péage variant entre 50 000 $ et 250 000 $ pour un navire chargé ainsi que 80 000 $ en coûts de carburant. Transiter par la NWP plutôt que par le canal de Panama permet à l’armateur de réaliser une économie de 40 % sur ses frais. Toutefois, emprunter la NWP en crée de nouveaux, notamment l’accompagnement des navires par brise-glace ou des frais d’assurance plus élevés, notamment des couvertures corps, étant donné les risques plus élevées notamment pour les coques.

« Le pont de l’Arctique », une troisième route possible

Il ne faut pas oublier l’existence d’une troisième voie possible, nommée « le pont de l’Arctique ». Cette route commence à Churchill, au Canada, traverse le nord de l’océan Atlantique, passant à proximité du sud du Groenland, et se termine à Mourmansk, en Russie. Cet itinéraire est ouvert quatre mois par an. Il comprend toutefois un inconvénient majeur: la baie d’Hudson est gelée les huit autres mois. Dans ces conditions, les décisions d’investissements dans les infrastructures requises pour rendre cette route possible tardent à être prises.

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