L’ouverture de la navigation à grand gabarit sur la Moselle, à l’époque un pas important vers la réconciliation franco-allemande, vient de fêter ses cinquante ans. Vingt-huit barrages auront été nécessaires pour permettre l’accès des bateaux de 1 500 t et convois poussés de 3 500 t de Coblence jusqu’à Neuves-Maisons, au sud de Nancy. Organisées du 2 au 4 juin par la Commission de la Moselle, les célébrations ont été notamment l’occasion d’évoquer l’évolution des trafics marchandises: 12,8 Mt en 2012 à l’écluse de Coblence.
Car l’équilibre qui a prévalu ces dernières années, à savoir produits sidérurgiques et céréales à l’export, charbon, ferrailles et minerai de fer à l’import, a vécu. En cause, la fin de la filière à chaud d’ArcelorMittal au Luxembourg et en Lorraine, la fermeture de la cokerie de Carling et l’arrêt programmé des deux dernières centrales thermiques au charbon sur la partie française du fleuve.
« La Moselle a perdu 15 % à 20 % de ses volumes par rapport aux meilleures années. Et elle va en perdre encore. C’est un souci pour tous les opérateurs locaux », témoigne Pascal Rodius, responsable de l’agence HTAG à Thionville. Filiale du port de Bonn, cette société réalise environ 15 M€ de chiffre d’affaires sur la Moselle. D’ores et déjà, les opérateurs fluviaux anticipent une perte de réactivité dans l’organisation des trafics: les exportations vont devoir être programmées plus tôt en raison de rotations moins régulières entre les flux amont et aval.
Les céréaliers confiants
Pour autant, les céréaliers français qui alimentent moulins, brasseries et unités de trituration en Allemagne, Belgique et Pays-Bas restent confiants. Premier groupe céréalier français, la société In Vivo (6 600 personnes, 6,1 M€ de CA) estime que la perte de 1 Mt de cale disponible pour l’export sur la Moselle n’impactera son activité qu’à la marge. « Seuls les tonnages pré-acheminés depuis la Bourgogne, la Champagne-Ardenne et le Centre pourraient basculer vers les ports de Rouen ou de Dunkerque », précise Bruno Paillaud, directeur d’exploitation d’In Vivo Metz. En effet, la majorité des pré-acheminements s’effectue dans un rayon de 150 km autour du site. De plus, l’activité sidérurgique sur la Sarre, un affluent de la Moselle, offre encore d’intéressantes réserves de cale. Enfin, ultime opportunité, une augmentation des besoins en matériaux de construction se fait ressentir en Lorraine.
Parallèlement, le développement d’un trafic de conteneurs mobilise l’énergie des acteurs économiques côté français. Le rehaussement de sept ponts permet désormais d’accéder au Nouveau port de Metz avec trois couches 300 jours par an sous certaines conditions de chargement. Par ailleurs, l’aménagement de plates-formes sur les ports de Thionville-Illange, Nouveau port de Metz et Nancy-Frouard, est en cours. Les 27,9 M€ alloués dans le cadre du contrat de plan État-Région 2007-2014 devraient permettre de réaliser les premiers travaux d’ici à 2015. Surtout, une ligne régulière a vu le jour en mars sur le Nouveau port de Metz. Elle est opérée par Multimodal shuttle, une filiale de la CCI de Moselle, d’HTAG et d’Am Zehnhoff-Söns/AZS qui exploite le terminal à conteneurs allemand, ainsi que les services offerts au départ de ce terminal. Point fort de cette navette, elle s’arrête à Bonn pour alimenter les lignes existantes qui rallient déjà les principaux quais d’Anvers et Rotterdam. Une rupture de charge supplémentaire en échange d’un gain en transit time.
Plus en aval, le port luxembourgeois de Mertert lit également son avenir dans le conteneur. Unique point d’accès à la voie d’eau pour les marchandises du Grand-duché, le port a perdu 40 % de ses trafics fluviaux en cinq ans. À terme, il devrait constituer le débouché fluvial de la plate-forme multimodale de 35 ha attendue pour 2016 à Bettembourg, 40 km au sud-est. 300 000 UTI (unité de transport intermodal) devraient y transiter contre 90 000 UTI sur l’actuelle plate-forme rail-route.
L’avenir dira si les problématiques de transit time et de hauteur sur la Moselle pourront être surmontées par comparaison au Rhin voisin qui autorise trois voire quatre couches et demeure une autoroute fluviale sans écluse jusqu’à Iffetzheim.