« Nous sommes inquiets de la fragilité du transport fluvial/combiné »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): POURQUOI LE COMITÉ DES ARMATEURS FLUVIAUX ET LA CHAMBRE NATIONALE DE LA BATELLERIE ARTISANALE ONT-ILS ÉCRIT À SÉGOLÈNE ROYAL?

DIDIER LÉANDRI (D.L.): Les déclarations sur l’écotaxe de la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie ont doublement choqué la profession fluviale. Ségolène Royal a évoqué l’écotaxe comme un instrument de report modal sans mentionner le transport fluvial. Ce dernier constitue pourtant le mode de transport alternatif à la route par excellence. Il est respectueux de l’environnement par ses qualités en matière de consommation d’énergie et d’émissions de CO2. Il a donc toute sa place, étant donné que l’écotaxe a pour objectif de favoriser le report modal. Ségolène Royal a expliqué que pour faire du report modal, il faut des modes de transport alternatifs faisant preuve d’efficacité, disponibles. Même si nous réclamons un certain nombre d’infrastructures, en particulier des liaisons interbassins, le réseau fluvial tel qu’il est n’est pas saturé. Même s’il existe des goulets d’étranglement, l’essentiel du réseau fluvial français est disponible et sous-utilisé. Le mode ferroviaire ne possède pas les mêmes atouts. Cette lettre a aussi été l’occasion de présenter les enjeux du secteur pour l’année 2014 et au-delà afin que le transport fluvial fasse partie des priorités du ministère.

JMM: QUELLE RÉPONSE ATTENDEZ-VOUS DE LA MINISTRE?

D.L.: La réponse peut consister en l’organisation d’une conférence sur le fret fluvial, réclamée par la profession depuis près d’un an. Il y en a eu une pour le fret ferroviaire, une pour le transport routier de marchandises (TRM) avec des feuilles de route pour le développement de ces deux modes. Nous souhaitons un strict parallélisme pour le transport fluvial de fret. Ce secteur n’a bénéficié d’aucune annonce depuis le plan de relance portuaire d’avril 2013. Le soutien qu’il reçoit est insuffisant. Le projet fluvial français ne peut pas se réduire au canal Seine-Nord Europe même si celui-ci est essentiel et incontournable pour notre avenir. C’est un peu court alors que la profession fait face à des difficultés économiques élevées et à une baisse de compétitivité.

JMM: POURQUOI UNE TELLE DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT ENTRE LE FLUVIAL, LE FERROVIAIRE ET LE TRM?

D.L.: Les résultats du trafic fluvial en France pour 2013 font apparaître globalement une stabilité, exprimée en t/km. Il n’en va pas de même pour le TRM, plutôt en repli. Mais la concurrence est de plus en plus vive avec la route, surtout avec le report de l’écotaxe. De son côté, le ferroviaire est parvenu à maintenir tant bien que mal son niveau de trafic. Une analyse des chiffres par bassin montre des situations très variables et contrastées. Les bassins ouverts comme le Rhin ou la Moselle présentent de fortes progressions. À l’inverse, la Seine connaît une forte décroissance, surtout au niveau des conteneurs. Il y a eu aussi de vraies difficultés sur le réseau des voies navigables, ouvrages de la Seine amont et de la Seine aval. Le transport subit toujours avec retard les effets de la crise et des contre-performances économiques, c’est encore plus vrai pour le fluvial. Les statistiques sont donc trompeuses: le transport fluvial ne se porte pas bien malgré une relative stabilité du trafic en 2013. En effet, sur tous les marchés considérés, les marges des transporteurs s’érodent peu à peu sous le triple effet d’échanges commerciaux en baisse marquée, d’une compétition de la route très offensive et du poids des charges qui pèsent sur nos entreprises.Il nous faut donc travailler sur la compétitivité de nos filières avec l’appui des pouvoirs publics et des parties prenantes.

JMM: QUEL SERAIT L’OBJET D’UNE CONFÉRENCE SUR LE FRET FLUVIAL?

D.L.: Il s’agirait de travailler sur la compétitivité du pavillon fluvial en France comparativement à l’Allemagne, à la Belgique et aux Pays-Bas. L’idée est de procéder à une analyse objective des forces et des faiblesses du pavillon fluvial français sur les plans fiscal et social, mais aussi au niveau de la compétition intermodale. L’objectif est de déterminer ce qui peut être amélioré intrinsèquement au transport fluvial. Il faudrait aussi étudier la concurrence intermodale dans l’éventualité de la mise en œuvre d’une fiscalité environnementale favorisant le report modal et le développement du transport fluvial.

JMM: QUELLE EST LA SITUATION CONCERNANT LES PRIX DE LA MANUTENTION APPLICABLE AU TRANSPORT FLUVIAL DANS LES PORTS FRANÇAIS?

D.L.: Le ministère n’a pas encore reçu les autorisations de la Commission européenne pour mettre en œuvre son plan quinquennal d’aide au transport combiné ou aide à la pince pour la période 2013-2017. Des échanges complémentaires sont nécessaires entre Paris et Bruxelles. La notification du ministère a aussi été très tardive. Les entreprises de transport fluvial n’ont donc pas d’information sur les montants de cette aide pour 2013 et se retrouvent dans l’impossibilité de clôturer leur exercice comptable. Il semble que les montants de 2012, à savoir 18 € (aide de base) et 12 € net TTC (point nodal), sont réduits de 40 % en 2013, c’est à dire rétroactivement, c’est la décision qui vient d’être prise par le Ministère des transports. Cette option n’est pas acceptable. La profession ne transigera pas sur le montant de l’aide versée pour 2013: il faut un niveau identique à celui de 2012. Toutefois, nous sommes prêts à discuter à la baisse du montant de l’aide pour les années à venir. Ceci à la condition que les pouvoirs publics donnent des gages sur l’évolution du mode de contractualisation et de facturation des prix de la manutention applicable au transport fluvial dans les ports français et mette en place une véritable politique intermodale.

JMM: COMMENT EST ACCUEILLIE CETTE PROPOSITION?

D.L.: Nous avons le sentiment d’avoir une oreille attentive du ministère sur les THC, beaucoup moins sur l’aide à la pince 2013. C’est un sujet extrême de crispation pour les professionnels. Ceux-ci considèrent avoir fait des efforts importants depuis plusieurs années pour développer le transport conteneurisé fluvial au départ des ports français. Ils ont gagné des parts de marché en faveur du fluvial jusqu’à 10 % au départ du Havre et environ 7 % de Marseille alors que la part modale du ferroviaire est inférieure à 5 % dans les deux ports. S’il est possible aujourd’hui de parler de report modal pour le pré et post-acheminement maritime en France, c’est grâce aux efforts du transport fluvial et à la politique de soutien, effectivement, dont ce mode a bénéficié. Et dont il doit continuer à bénéficier car les difficultés économiques, la hausse des coûts de la manutention font que l’équation des opérateurs fluviaux en conteneurs devient impossible.

JMM: L’AVENIR DE LA FILIÈRE DE TRANSPORT FLUVIAL/COMBINÉ EST-IL EN JEU?

D.L.: Nous sommes inquiets de l’état de fragilité du modèle économique de la filière de transport fluvial/combiné et sur les conséquences en termes de trafic dès 2014. Nous alertons solennellement les compagnies maritimes, les ports, les chargeurs, les opérateurs fluviaux, et, enfin, les pouvoirs publics qui ont un rôle central à jouer au travers d’une politique volontaire en faveur du report modal. Si tous se mobilisent, acceptent de partager le constat et font preuve d’une volonté d’avancer, il est possible d’inverser la tendance. Il faut comprendre que l’avenir du transport fluvial se joue en grande partie sur le conteneur. Il y aura toujours un besoin de transport fluvial de vrac pour les céréales et les matériaux de construction notamment. Mais le vrac dépend aussi de filières en difficulté à cause de la désindustrialisation des territoires. Il faut donc que les filières de marchandises générales et conditionnées se développent pour le transport fluvial. Si nous voulons concurrencer le TRM, il faut être capable de transporter ces marchandises par conteneur et par le fleuve chaque fois que c’est possible au départ et à l’arrivée des ports maritimes français.

JMM: AU HAVRE, LE CHANTIER MULTIMODAL EST-IL LA SOLUTION À DÉFAUT D’UN ACCÈS DIRECT?

D.L.: Depuis la mise en service de Port 2000 en 2006 et en l’absence d’un accès direct, l’autorité portuaire a dû recourir à des expédients: brouettage ou dérogations de navigation en mer pour les bateaux fluviaux. Ces solutions montrent leurs limites: coûts supplémentaires, fragilisation de la fiabilité de l’offre fluviale, délais supplémentaires. Elles ne permettent plus de faire face à la politique commerciale très agressive du TRM. Les infrastructures ne doivent plus être une entrave au développement du volume. Pour relever les objectifs de report modal du Havre, organiser une coordination efficace avec le futur chantier multimodal et garantir la pluralité des choix logistiques, tout en tenant compte des besoins techniques des unités fluviales, la solution est la construction d’une chatière. Sur ce sujet, une lettre commune a été adressée au ministère des Transports le 25 mars. Le Comité des armateurs fluviaux en est signataire avec Armateurs de France, l’Association des utilisateurs de transport de fret, la Chambre nationale de la batellerie artisanale, la Fédération des entreprises de transport et logistique de France, le Groupement havrais des armateurs et agents maritimes, le Groupement national des transports combinés, le Syndicat national des agents maritimes. Nous indiquons que « s’agissant du Havre, le projet d’accès direct ne vient pas en concurrence du chantier multimodal mais constitue bien un relais de croissance indispensable pour soutenir les trafics et consolider l’hinterland du port ». Nous demandons « une décision ferme et irrévocable de réaliser les infrastructures propres à l’accès direct fluvial aux terminaux de Port 2000 au Havre par le biais d’une chatière ». Le coût de celle-ci est de l’ordre de 100 M€. Ce type d’investissement est éligible au programme quinquennal du réseau transeuropéen de transport, dont l’appel à projets sera lancé en septembre. Ces financements européens peuvent permettre une prise en charge à hauteur de 50 % pour les études et de 40 % pour l’investissement lui-même. Les 60 % restants, les ports et les collectivités traversés sont prêts à les financer, les utilisateurs aussi par une redevance d’utilisation de l’ouvrage. L’essor de l’axe Seine nécessite une desserte fluviale efficiente. Il ne faudrait pas que, faute de celle-ci, l’éventuel canal Seine-Nord Europe se fasse au profit exclusif des opérateurs du nord de l’Europe. Le CPIER en préparation sur l’axe Seine doit entériner le projet.

JMM: VOUS ÊTES LE NOUVEAU PRÉSIDENT DE L’UNION EUROPÉENNE DE LA NAVIGATION FLUVIALE, QUEL EST LE DOSSIER LE PLUS URGENT À PORTER AU NIVEAU EUROPÉEN?

D.L.: Pour l’Union européenne de la navigation fluviale, la préoccupation principale porte sur les initiatives de Commission européenne dans le cadre du programme Naiades II, sorte de « paquet fluvial ». Bruxelles travaille sur les performances environnementales de flotte fluviale. Les évolutions comparées des émissions polluantes du TRM, du ferroviaire et du fluvial se font au détriment de ce dernier mode, selon la Commission. La route apparaît plus vertueuse que le fluvial grâce à la norme Euro VI. Mais le fluvial est plus performant sur les critères du CO2, du bruit, de la congestion et de l’accidentologie. La Commission européenne se focalise sur les polluants, et la Commission européenne demande au fluvial de réaliser des progrès significatifs en matière d’émissions polluantes et de s’aligner sur les normes s’appliquant au TRM, soit la norme Euro VI. Pour les professionnels du transport fluvial, cette proposition de la Commission n’est pas acceptable en l’état, même s’ils sont conscients qu’ils doivent s’inscrire dans une démarche de progrès. Nous contestons l’alignement du fluvial sur la norme Euro VI du TRM. La référence doit être celle du transport maritime car l’essentiel du trafic fluvial se fait en interface avec celui-là. Sur le plan technique, nous demandons aussi un alignement sur la référence s’appliquant au maritime. Enfin, le plan de la Commission européenne sur les performances environnementales de flotte fluviale ne propose aucun accompagnement financier alors que le secteur n’a pas les moyens de supporter les coûts liés aux évolutions techniques nécessaires.

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