Emma-Mærsk: un accident exceptionnel mais la conception même de l’arrière du navire a facilité l’envahissement

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Le 1er février 2013, vers 21h40 locales, le porte-conteneurs Emma-Mærsk, immatriculé au Danemark, double coque, d’une capacité théorique de 15 000 EVP mais chargé de « seulement » 14 000 EVP, long de 397 m et ayant un tirant d’eau de 15 m, connaît un envahissement du compartiment machine alors qu’il vient d’intégrer le convoi descendant dans le canal de Suez.

Cet envahissement résulte d’une cassure sur l’un des deux tunnels des propulseurs transversaux de poupe qui traversent le tunnel de l’arbre porte-hélice. Celui-ci est alors envahi, puis le compartiment machine aussi, en dépit de la cloison étanche qui les sépare. Le moteur de propulsion, noyé, s’arrête. Peu après, il faut stopper les groupes électrogènes, par mesure de sécurité.

Profitant des derniers tours d’hélice et de son erre, le navire a pu gagner la zone d’évitage du terminal à conteneurs de Port Saïd où il parvient à être accosté, avec l’aide de cinq remorqueurs. Son tirant d’eau est alors de 17,2 m, pour une sonde de 20 m.

Le propulseur transversal de poupe

Le propulseur transversal est principalement constitué d’un tunnel de 8 m de long et 2,4 m de diamètre traversant la partie inférieure du tunnel de l’arbre porte-hélice. À l’intérieur tourne, à 250 tours/mn, une hélice à quatre pales à pas variable, actionnée par un mécanisme boulonné sur une tablette disposée en travers du tunnel et soudée de chaque côté sur les parois du tunnel.

Les commandes hydrauliques entrent dans la partie supérieure du tunnel par une bride à collerette soudée sur un panneau horizontal, lui-même soudé sur le dessus du tunnel.

Après l’avarie, on a constaté:

– la perte de trois des quatre pales de l’hélice, qui tournait au pas nul. Cassée, l’une d’elles a été remplacée six mois auparavant, sans que l’origine de la casse n’ait été recherchée. Ces pales ont cassé près de leur embase et on a relevé des traces de fatigue sur les pales;

– l’arrachement d’une partie de la tablette supportant le mécanisme;

– la cassure de la soudure sur le tunnel de la pièce portant la bride à collerette et le déplacement de celle-ci d’environ 40 mm, créant ainsi l’entrée d’eau de l’envahissement (voir photo de droite en bas).

La fatigue aurait donc conduit à la cassure des pales d’hélice, entraînant déséquilibres et vibrations, eux-mêmes générateurs des arrachements et cassures qui ont mis le tunnel de l’arbre porte-hélice en communication avec la mer.

Le tunnel de l’arbre porte-hélice

Cette longue et vaste « coursive » d’environ 130 m de long s’est donc progressivement remplie d’eau en une vingtaine de minutes, ainsi que, à l’arrière, l’échappée qui jouxte la cale 21 (dans laquelle l’eau est rentrée par des passages de câbles démontés), créant ainsi une colonne d’eau de 9 m environ.

La cloison étanche lâche

La cloison étanche n’a pas été installée au titre de la stabilité après avarie, mais pour soustraire le tunnel d’arbre porte-hélice du volume machine pour le calcul de la capacité du système d’extinction par CO2 de ce compartiment.

Cette cloison comporte un certain nombre d’ouvertures:

– une porte étanche que l’équipage a fermée sur place, 10 mn après l’alarme, alors qu’il recherchait l’origine des alarmes de niveau d’eau;

– deux gaines de ventilation du tunnel avec clapets de fermeture, mais qui ne peuvent être manœuvrées sur place;

– le passage de l’arbre porte-hélice dont l’étanchéité s’est avérée défaillante;

– et surtout des passages de câbles, dont ceux des moteurs de barre, dotés de systèmes d’étanchéité qui n’ont pas résisté à la pression de la colonne d’eau évoquée ci-dessus et ont donc permis l’envahissement du compartiment moteur.

Les systèmes en question sont constitués de blocs modulaires d’élastomère thermoplastique aménagés pour le passage des câbles, placés dans le cadre de l’ouverture aménagée dans la cloison, et compressés par un système de coins/étrier, boulonnés à travers.

Le compartiment moteur

Dans ce compartiment, le moteur de propulsion a été noyé, l’eau ayant atteint le parquet des culasses, qui est aussi celui des quatre groupes électrogènes qui ont dû être stoppés par mesure de sécurité.

Le navire est alors dépourvu d’énergie notamment pour l’alimentation des apparaux de manœuvre, ainsi bien sûr que pour les pompes, alors qu’il y a 14 000 m3 d’eau entre le tunnel de l’arbre porte hélice et le compartiment moteurs.

Pompes d’assèchement aux capacités réduites

Le navire dispose de plusieurs pompes d’assèchement, et notamment:

– de deux éjecteurs sur ballast de 408 m3/h chacun;

– d’une pompe de secours de 3 200 m3/h, mais dont la capacité est réduite par le fait que l’aspiration de 600 mm de diamètre se trouve à seulement 50 mm au-dessus du plafond de ballasts;

– de la pompe de circulation de refroidissement, mais la décharge commune de cette pompe et de la pompe de secours se trouve physiquement réduite à 3 bars.

Ces pompes n’ont pas été en mesure d’étaler une voie d’eau qui s’est aggravée sous l’effet de la pression.

Les alarmes

Les nombreuses alarmes qui se sont déclenchées progressivement au fur et à mesure de l’envahissement et du noyage des équipements et circuits ont fortement perturbé l’action de l’équipage, s’avérant être davantage une charge qu’une aide pour les opérateurs.

À noter qu’à ces alarmes s’ajoutait un trafic VHF « constant et bruyant » entre le pilote, le remorqueur et les autorités du canal, souligne le Danish Maritime Accident Investigation Board.

L’équipage

Le comportement des 25 membres d’équipage tout au long de cet accident purement technique s’est avéré très professionnel, tant au pont qu’à la machine. Le BEAmer danois ne précise pas la nationalité des quatre officiers principaux: le commandant, le second, le chef mécanicien et le second mécanicien. Aucune information sur les autres membres de l’équipage.

Cet envahissement rapide et important aurait pu entraîner l’échouement du navire dans le canal de Suez.

Il est dû à une avarie de coque, les parois et ouvertures dans les tunnels de propulseurs transversaux appartenant effectivement à la coque et devant de facto concourir à l’étanchéité du navire, ou à tout le moins ne pas y porter atteinte.

À cet égard, la création de propulseurs transversaux dans la partie arrière d’un tel navire rend très complexe la construction et l’agencement de ces espaces beaucoup plus « sensibles » que ne le sont ceux qui se trouvent dans l’étrave.

Concrètement, le BEAmer danois n’a émis aucune recommandation. Il s’est contenté de rappeler les actions préventives et/ou curatives qui ont été prises par le fabricant du passe-câbles qui n’a pas résisté à la pression, et par la société de classification (ABS) qui a demandé à ce que la résistance à la pression du passe-câbles soit certifiée.

Mærsk a interdit l’usage des propulseurs arrière jusqu’à ce que l’on connaisse les causes de la cassure. Tous les propulseurs des navires de la série du Emma-Mærsk ont été inspectés. Rien d’anormal n’a été trouvé. Rolls-Royce cherche toujours pourquoi trois pales se sont fissurées à leur base.

Il a été constaté que l’ordinateur de charge devenait inopérant lorsque le niveau d’eau dans la salle des machines se trouvait au-dessus du niveau de la mer. Le logiciel a donc été modifié en conséquence sur tous les ordinateurs des navires Mærsk.

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