Lors du Maritime Forum qui s’est déroulé pendant l’Asian Logistcs and Maritime Conference, Alan Murphy, vice-président de SeaIntel, analyste et consultant maritime, a commencé par se tirer une balle dans le pied: « ne croyez jamais les prévisions d’un analyste ». Pendant son intervention, il s’est donc cantonné à dresser le bilan de ces dernières années.
Du côté de la demande, la croissance est toujours au rendez-vous, même si elle tend à se tasser depuis la Chine, moteur de l’économie mondiale. En Europe, les importations et les exportations de conteneurs sont globalement en hausse, tout semble meilleur que les années précédentes. Quant à l’offre, continue Alan Murphy, la surcapacité demeure, il l’estime entre 6 % et 8 %. Pour Ron Widdow, président du World Shipping Council, le chiffre est bien supérieur, il la juge aux alentours de 15 %. De ce constat, découlent bien des effets sur l’industrie maritime, avec notamment la baisse drastique des taux de fret sur certaines routes. « Les armateurs ne sont pas stupides. Il y a un sens à acheter aujourd’hui des navires à bas prix, même si cela doit parfois détériorer le secteur », note Alan Murphy. Au final, la volatilité des taux de fret est devenue une norme dans cette industrie, s’accordent les intervenants, avec néanmoins la nuance du représentant d’Alphaliner, Hua Joo Tan, « La volatilité des taux de fret ne doit pas être prise comme un mot grossier ». Cette irrégularité se répercute directement sur les marges opérationnelles des armateurs. Les alternatives pour les compagnies maritimes sont limitées. Pour les dirigeants de Mærsk Line, l’ajustement de la capacité est la solution à privilégier, a répété le consultant d’Alphaliner. La réduction de la vitesse des navires est aussi toujours en vogue, mais avec une limite. Ralentir les navires ne peut absorber au mieux que 7 % de la surcapacité. Alors, quand elle atteint 15 %, il faut aller plus loin.
L’autre idée développée par les armateurs est de mettre des navires à l’ancre. Une solution qui se révèle onéreuse compte tenu des frais pour maintenir le navire en l’état, et surtout, pour le redémarrer dès que le besoin s’en fait sentir. Ces solutions vont être un « sparadrap sur une jambe de bois », les commandes auprès des chantiers n’ayant pas véritablement baissé. MSC attend plusieurs unités de type ULCC dans les prochaines années. « Et même les armateurs de taille moyenne, à l’image de Yang Ming Line, ont commandé des navires. Tous les armateurs alimentent la surcapacité. » Hua Joo Tan reste malgré tout optimiste pour les armateurs, « Aucun n’est menacé de faillite dans la conteneurisation. Ils reçoivent tous une protection que nous pourrions qualifier de politique ». Il pointe alors le doigt vers un autre avenir, celui de la consolidation du secteur et des alliances.
Une protection « politique »
Pour Alan Murphy, la mise en route de l’Alliance P3 (Mærsk, MSC et CMA CGM), si elle se réalise, n’aura qu’un effet mineur sur les prix. « Les services concernés par cette alliance seront réalisés avec moins de navires, mais plus grands. L’effet de cascade sur les routes nord-sud va se faire sentir avec une nouvelle surcapacité, là où les marchés de niche étaient relativement équilibrés. » Commentant la probabilité de cette alliance, Randy Chen, conseiller du président de Wan Hai, analyse ce mariage comme pouvant asphyxier le marché. Déjà, en 2012, les dirigeants de Mærsk Line ont déclaré devant la presse que les principaux armateurs devaient avoir les plus gros navires, sous-entendant que les autres ne devaient pas entrer dans ce marché.
Pour les différents observateurs, le monde de la conteneurisation va encore devoir relever des défis sur les prochains mois tant qu’elle ne sera pas entrée dans une phase de consolidation. Quant à la réduction de vitesse des navires, elle a atteint son plancher. Rahul Kapoor constate même une accélération des navires. Alors, si la question de voir des navires de 20 000 EVP entrer sur le marché est une probabilité, « ils ne seront jamais la norme tant que l’économie ne se redressera pas », souligne le consultant de Drewry.
Et les ports? La question a été assez peu abordée sous cet aspect, sauf en ce qui concerne des ports comme Hong Kong qui commencent à souffrir d’une congestion pour certains armateurs. Sans que le mot ne soit prononcé, la décroissance commence à faire son chemin dans l’industrie maritime.