Depuis la destruction quasi-totale des infrastructures de Port-au-Prince suite au tremblement de terre de janvier 2010, l’État haïtien est confronté à des défis colossaux pour reconnecter l’un des pays les plus pauvres de la planète aux échanges maritimes commerciaux. Grégory Mevs, en qualité d’investisseur privé, a rappelé quelques réalités opérationnelles. Alors que 90 % des importations haïtiennes proviennent de la mer, la cadence de la manutention conteneurisée ne dépasse pas 10 mouvements par heure sur les barges flottantes opérées par l’APN (contre près de 20 mouvements auparavant depuis le quai Nord et ses grues mobiles). Aujourd’hui, Haïti est systématiquement feedérisée par les plates-formes de Kingston (Jamaïque), de Freetown (Bahamas) ou de Caucedo (République Dominicaine) puisque les quais actuels ne peuvent recevoir des navires cellulaires supérieurs à 190 m. Il en résulte un surcoût puisqu’un 40’ en provenance de Shanghai revient à plus de 4 500 US$ de fret maritime, contre environ 3 500 US$ via les grands ports caribéens servis en direct.
La très faible productivité et fiabilité portuaire haïtienne impacte directement la compétitivité des quelques exportateurs nationaux et grèvent mécaniquement le pouvoir d’achat de populations déjà très paupérisées. À cela on peut encore ajouter des surcoûts historiques comme la surcharge portuaire, appelée Wharfage, pour toutes les denrées générales importées sur le territoire haïtien. Les quelques investisseurs privés parlent aussi des tarifs très élevés de l’électricité tout en reconnaissant des droits de douanes très faibles.
Rationalisation drastique
Face à une telle situation, l’APN a entamé une première démarche en 2008 avec une rationalisation drastique d’un effectif pléthorique. De plus de 2 000 agents et 500 dockers, l’APN compte dorénavant environ 500 personnes. Alix Celestin, directeur général de l’APN, n’a pas caché l’ampleur des réformes à mener pour que l’APN puisse séparer son statut d’opérateur de son statut de régulateur. Le modèle classique de landlord port est visé avec une réforme institutionnelle mais aussi juridique, réglementaire et légale à laquelle participe la cellule de coopération internationale du Grand port maritime du Havre.
Jean Carrel Delpe, directeur du cabinet technique de l’APN, a expliqué en substance que la réforme portuaire haïtienne devait commencer par clarifier le rôle et le périmètre légal de chacun dans la chaîne logistique. Un plan national de développement portuaire devrait encourager le positionnement des investisseurs privés sur le territoire national. Jean Carrel Delpe a insisté sur l’impérieuse nécessité de relancer la compétitivité des solutions portuaires haïtiennes, notamment dans la perspective des nouvelles écluses de Panama.
La situation ne s’est pas améliorée
Toutefois, force est de constater que la situation portuaire haïtienne ne s’est pas améliorée depuis le tremblement de terre. Les structures flottantes apportées par les militaires américains demeurent en place. La reconstruction du quai Nord par une société spécialisée américaine n’a toujours pas été complétée, comme l’a déploré Edouard Baussan, le président de l’Amarh (Association maritime d’Haïti). Ce dernier a aussi rappelé combien la fiabilité des services portuaires reste incertaine, ce qui impacte directement les résultats des opérations maritimes. Le très faible taux de conteneurisation à Haïti (11 EVP pour 1 000 habitants contre plus de 150 en Europe ou aux États-Unis) s’explique autant par la relative modestie du marché national que par le manque de performance de toute la communauté portuaire et logistique nationale. Le ministre des Finances, Wilson Laleau, a mentionné aussi une nécessaire modernisation des pratiques, des procédures et des mentalités. La notion de guichet unique a été avancée comme un outil au service de ces changements drastiques dans les pratiques portuaires et logistiques. Le ministre n’a pas hésité à engager le gouvernement pour que des partenariats public-privé soient rapidement mis en place. Le chantier s’annonce très compliqué mais le symposium de l’APN matérialise une prise de conscience et surtout une envie collective de faire enfin bouger les choses. Une vision portuaire à l’horizon 2030 est en cours de préparation pour aller au-delà de la réforme légale et juridique.
D’aucun n’a cherché à blâmer qui que ce soit dans le constat d’échec sur la « dégradation continue de la qualité des services portuaires à Haïti ». Avec 100 000 boîtes par an et un quai Nord qui devrait enfin être reconstruit dans les prochaines années, la bataille sur le secteur conteneur reste vive malgré la petitesse du marché national. Grégory Mevs a certainement eu la formule la plus adéquate: « Plutôt que de chercher à garder le contrôle d’une grande part d’un gâteau qui ne cesse de se réduire, mieux vaudrait-il se battre pour que le gâteau grossisse, quitte à augmenter le nombre de ceux qui en veulent une part! »