En transférant la propriété des voies ferrées aux établissements portuaires, l’ordonnance du 2 août 2005 a opéré une profonde transformation du système. Les ports sont désormais compétents pour gérer et entretenir ce réseau, et éventuellement construire de nouvelles voies. Corollaire de cette évolution, les charges financières afférentes à l’entretien du réseau ou à sa modernisation ont été également transférées. La loi du 4 juillet 2008 a complété le dispositif en créant les Grands ports maritimes. Ces derniers ont notamment dans leurs attributions la promotion de l’offre de dessertes ferroviaires, et peuvent également prendre des participations dans des opérateurs ferroviaires.
Il est donc apparu utile d’analyser de plus près le sujet au plan juridique, notamment sur le problème précis des responsabilités des ports en tant que maîtres d’ouvrage des installations ferroviaires. Cette nouvelle compétence entraîne en effet de nouveaux risques, qu’il convient de savoir appréhender. Seront donc abordés les questions liées à la responsabilité contractuelle des ports vis-à-vis des utilisateurs du réseau, celles concernant la responsabilité extra-contractuelle qu’ils peuvent encourir à l’égard des tiers, et enfin la détermination de la personne responsable en fonction du mode de gestion du réseau.
Responsabilité contractuelle
Les gestionnaires du réseau portuaire sont liés contractuellement avec ses utilisateurs, au nombre desquels on recense les entreprises ferroviaires (SNCF, ECR, etc.) et les entreprises desservies par installation terminale embranchée (ITE). La circulation des trains sur le RFP donne lieu, bien évidemment, à d’autres contrats, notamment entre l’entreprise ferroviaire et le chargeur pour le transport de la cargaison. Dès lors que le port a conclu une convention pour l’utilisation du réseau, ce sont les règles du contrat qui s’appliqueront, compte tenu du principe de prévalence de la responsabilité contractuelle sur la responsabilité extra-contractuelle.
– Les conventions conclues avec les entreprises ferroviaires: ayant pour objet l’utilisation du RFP, elles définissent les droits et obligations des parties, notamment en matière d’accès aux équipements et aux conditions d’utilisation de l’infrastructure. Les règles de responsabilités sont aménagées par les clauses contractuelles. Ces conventions contiennent en règle générale des clauses limitatives de responsabilité (à hauteur de 500 000 €, par exemple). Cela étant, en cas d’incident type déraillement de convoi, il conviendra de prouver une faute du gestionnaire du réseau dans l’entretien ou la gestion des installations pour pouvoir engager sa responsabilité. Ces conventions peuvent également prévoir des causes d’exonération de responsabilité: cas fortuit, force majeure, faute du cocontractant, faute d’un tiers présentant les caractéristiques de la force majeure. La diversité des causes d’un incident (défaut d’entretien des voies ou aiguillages, vitesse excessive du convoi, mauvais état du matériel roulant, manque de graissage des attelages, mauvais contrôle du convoi…), conjuguée à la multiplicité des parties en présence (propriétaire du réseau, gestionnaire de celui-ci le cas échéant, entreprise ferroviaire, propriétaire du wagon, chargeur…) amène à recommander de procéder par le biais d’expertises judiciaires associant l’ensemble de ces dernières, de manière à ce que les conclusions de l’expert soient opposables à tous.
– Conventions de raccordement des installations terminales embranchées: elles permettent à des entreprises d’être raccordées au RFP et de recevoir directement les wagons. Elles définissent entre autres les règles en matière d’entretien des installations entre la partie publique de l’ITE (incombant au port) et la partie privée (incombant à l’entreprise embranchée). Tout manquement de l’une des parties à ses obligations entraînant pour l’autre un préjudice (frais de remise en état, perte de droit d’accès générant une perte d’exploitation, frais supplémentaires d’exploitation) pourra aboutir à la mise en jeu de sa responsabilité, laquelle peut ici aussi faire l’objet de clauses limitatives ou d’exclusion. La faute de l’auteur du dommage devra également être prouvée.
Cas de responsabilité extra-contractuelle
La jurisprudence a confirmé que les installations ferroviaires et leurs dépendances ont le caractère d’ouvrage public. En conséquence, c’est le régime des dommages de travaux publics qui va s’appliquer. Les règles de responsabilité vont dépendre en fait de la qualité de la personne lésée. Il y a tout d’abord les riverains du réseau qui peuvent subir divers préjudices: dommages à leurs biens par suite d’affaissement de la voie ou nuisances liées à l’exploitation des installations (même si les voies portuaires sont en général situées dans des zones peu urbanisées, il n’est pas impossible que le problème se pose ici ou là). La règle est de distinguer les dommages « accidentels » des dommages « permanents ». L’éboulement d’une voie est un dommage accidentel, les nuisances engendrées par la présence des installations, comme le bruit généré par les convois seront considérées comme des dommages permanents. Même si dans les deux cas de figure, la responsabilité du maître d’ouvrage sera engagée sans faute, pour les dommages permanents, il faudra en outre démontrer un préjudice anormal et spécial. Se posera aussi la question de l’existence ou non des installations ferroviaires lors de la construction des habitations, qui a d’importantes conséquences. Mais même si la construction des habitations est postérieure à l’implantation des voies ferrées, le maître d’ouvrage peut quand même être responsable, s’il est démontré que les nuisances engendrées par l’exploitation de l’ouvrage public se sont entre-temps aggravées.
Autre cas de figure, celui des personnes s’introduisant dans les enceintes ferroviaires illégalement, et y subissant un dommage. Les accidents de personnes victimes de « l’arc électrique » après être montés sur le toit d’un wagon ne sont malheureusement pas si rares. La jurisprudence considère que ces personnes ont la qualité d’usager de l’ouvrage public, même si elles en font un usage anormal. C’est donc la théorie du défaut d’entretien ou d’aménagement de l’ouvrage public qui s’applique, avec une présomption de responsabilité du maître d’ouvrage. Face à ce type de risque, le port pourra cependant s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que le défaut d’entretien n’est pas caractérisé (signalisation suffisante de l’interdiction de pénétrer dans l’enceinte ou des dangers liés à la présence des caténaires). La faute et l’imprudence de la victime seront également à soulever.
On peut également se poser la question de savoir si des personnes qui n’ont pas de lien contractuel direct avec le gestionnaire du réseau, mais qui sont quand même utilisateurs « indirects » de celui-ci (par exemple les chargeurs ou les sociétés propriétaire des wagons), peuvent avoir un recours contre lui sur la base du défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. La réponse devrait être positive. En effet, les juridictions administratives ont admis sur ce fondement le recours des ayants droit d’une personne victime d’un accident sur le quai d’un port, alors qu’elle était en attente d’embarquement sur un car-ferry. La solution apparaît transposable.
Détermination des responsabilités
L’article 6 de l’ordonnance de 2004 permet aux ports de gérer et d’entretenir les VFP en régie, ou de confier cette mission à un tiers dans le cadre d’une délégation de service public ou d’un marché public. Ces différents modes de gestion ont des conséquences en matière de recours.
En cas de gestion en régie, c’est l’établissement portuaire lui-même qui sera responsable.
Si c’est une délégation de service public, la responsabilité sera transférée sur le délégataire. Le port peut cependant être responsable à deux titres. D’une part en cas de manquement aux pouvoirs de contrôle qu’il tient de sa qualité de délégant, conformément au principe selon lequel « concession ne signifie pas abandon ». D’autre part, il sera également responsable à titre subsidiaire en cas d’insolvabilité du délégataire, conformément à une jurisprudence constante.
La question est plus délicate si la gestion et l’entretien des voies sont confiés à un tiers dans le cadre d’un marché. En matière de dommages du fait d’un ouvrage public, les usagers ont un droit d’option, et peuvent agir soit contre le maître d’ouvrage, soit contre l’entrepreneur en charge de la réalisation des travaux pour le compte de la collectivité, soit contre les deux conjointement et solidairement. On peut penser que ce principe devrait trouver à s’appliquer pour la gestion des VFP. Seulement, l’entreprise gérant le réseau pour le compte du Grand port maritime ne sera responsable que dans la limite des missions qui lui sont confiées par le marché.