À 90 ans et des poussières, Charles Émile Loo a rendu son tablier de président de Semfos, le syndicat des manutentionnaires marseillais qui rassemble 12 entreprises, qu’il tenait depuis 19 ans. « Je n’ai pas recherché le titre et je le quitte sans état d’âme. » Drôle de mandature que celle de celui qui n’était pas considéré comme un manutentionnaire pour diriger une coopérative ouvrière depuis 1951. « La Socoma n’était pas membre du Semfos » rappelle-t-il. Après la première réforme dockers de 1992, il est en effet appelé pour apaiser les terribles tensions entre patronat et ouvriers. L’ex-responsable national du parti socialiste ne fait pas mystère de sa fibre ouvrière, même s’il a fait par ailleurs fortune. « J’ai apporté à la tête du Semfos une vision et une manière de travailler tout à fait différente », explique-t-il.
Avec Christian Almodovar, homme de dossier et de l’ombre, ils formeront un tandem qui devra traiter les 35 heures, le plan amiante, la formation professionnelle, la pénibilité…
Un rôle de juge de paix
Toujours tiré à quatre épingles, « Milou », son surnom de toujours, a tenu à la perfection un rôle de juge de paix, un costume taillé sur mesure pour lui. Il connaît les hommes et les rouages portuaires. Et ses cheveux blancs et son apparence policée n’atténuent par une volonté de fer. Charles-Émile Loo sait ce qu’il veut et ses coups de gueule sont célèbres. « Nous avons évité d’énormes conflits et instauré un climat de confiance entre employeurs et dockers. Avant dans les réunions, on passait notre temps dans les interruptions de séance. C’est maintenant terminé », résume-t-il. Et c’est vrai, le port de Marseille dont la dureté des rapports sociaux était un fait historique (avec le paternalisme patronal), a tourné la page. Aujourd’hui, les « partenaires » ont appris à se côtoyer et se parler. La tactique de l’affrontement appartient au passé. « Rien ne m’énerve plus quand, évoquant une grève sur le port, on accuse les dockers. Ces dix dernières années, ils n’ont eu recours à cette arme que très rarement, et encore, dans le cadre de mouvements nationaux. »
Exemple de ce nouveau climat, le départ à la retraire de Christian Almodovar, un autre grand témoin des 40 dernières années, a donné l’occasion d’un « pot » au BCMO, surnommé la Pagode, où entrepreneurs et dockers se sont naturellement retrouvés. L’hostilité de classe a laissé la place au « libre buffet ».
Charles Émile Loo, qui dit « avoir aimé ce milieu parce qu’il était dur », ne quitte toutefois pas le port. Il vient d’être réélu président de la Socoma et de Roro Marseille. « Un président non salarié », tient-il à préciser. « J’ai une bonne retraite (il a connu la réussite de l’entrepreneur et du parlementaire). Je donne mon temps. » Cela fait quelques années déjà qu’il cherche un successeur à la tête de la coopérative ouvrière dont il fut un des fondateurs avec d’autres responsables socialistes. Les différentes pistes ont jusqu’à présent échoué.
Jean-François Mahé, différent mais dans la continuité
Quelques jours après avoir pris la tête de l’Unim, Jean François Mahé est devenu président du Semfos. Cet XPonts a appris le monde portuaire à l’ex-Port autonome de Marseille dont il fut le directeur de l’exploitation de Fos dans les années 1990 avant d’intégrer la CMA CGM (Logistique, Informatique et Delmas). Il est aujourd’hui gérant d’Eurofos, le principal manutentionnaire de la place contrôlé par Port Synergy (50 % CMA CGM et 50 % DP World). Souriant et calme, l’homme est peu disert. « J’aurai un autre style, mais on fera dans la continuité. » Un brin d’humour: « Nous avons la parité totale à la direction du Semfos avec la secrétaire générale, Anne Malivoire. » La nouvelle-venue, qui a occupé pendant 14 ans un poste à Carfos-Sea Invest, confirme si besoin était que du côté des dockers marseillais, une page d’histoire a été effectivement tournée. La manutention est aussi une affaire de femmes.
