Tirrenia ne disparaît pas, elle est désormais passée aux mains du privé. Après 75 ans sous contrôle de l’État et des régions italiennes pour assurer une « continuité territoriale » à l’italienne avec les îles de la Méditerranée, Tirrenia est désormais entre les mains d’autres armateurs. Mis sous tutelle en août 2010 lors d’une décision du tribunal de Rome, l’armement a finalement été cédé à trois grands noms italiens du maritime: Moby Lines, Marinvest, société contrôlée par le groupe de Gian Luigi Aponte, MSC, et Grimaldi Lines d’Emanuele Grimaldi. Une acquisition qui a coûté 380 M€.
La vente de la société Tirrenia s’apparente en quelques points à celle de la SNCM. Après des mouvements sociaux et des débats sur l’utilité de céder après recapitalisation un armement en décrépitude, le gouvernement de Silvio Berlusconi a finalement tranché. « Tirrenia a été belle. Ce fut l’Alitalia de la mer », notent des journalistes italiens dans leurs commentaires sur cette cession. Un épilogue qui ouvre aussi peut être vers un avenir sous une meilleure gestion financière.
Créée en 1936, Tirrenia naît sur les bords de la Méditerranée dans le palais luxueux Caravita Sirignano. Plus tard, l’armement est rejoint dans le groupe par la Compania Italia Transatlantica, la Compania Sarda di Navigazione et la société Adria. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Tirrenia entre dans le cercle des premiers armateurs méditerranéens. Avec une flotte de 55 navires et un bénéfice de 8,9 MLires, Tirrenia entre dans les années 1940 avec une belle assise. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’armement va perdre quelque 40 navires de sa flotte. Heureusement, à la sortie du conflit, la politique de l’État providence va lui permettre de se sauver grâce à des aides. À l’époque, note un journaliste de La Stampa, le gouvernement de Rome verse chaque année quelque 70 MLires par an. Le développement économique italien se ressent sur l’armement. Avec la croissance du marché automobile en Italie et l’augmentation des revenus, le tourisme italien est en plein boom. Pour y répondre, dès 1961, Tirrenia va même embarquer ses premiers train-ferry.
Le programme des navires rapides
Au début des années 1960, dans la ferveur des nouvelles constructions navales, Tirrenia se lance dans un programme de nouvelles constructions avec la commande de huit navires plus modernes. Ils offrent des cabines de deux classes et des transats pour voyager. Nous sommes au début des années 1970, Tirrenia doit faire face à un développement du tourisme de masse et répondre aux besoins des populations. L’âge d’or de la Tirrenia est à son comble. L’armement emploie presque 9 000 personnes, dont une large partie sont des marins (contre environ 2 000 personnes actuellement.) Véritable laboratoire social maritime, ces années fastes n’empêchent pas les personnels de mener des journées d’action importantes. Ainsi, en 1959 ce sont 22 jours consécutifs de grève qui ont touché l’armement. L’époque est aux paradoxes, et malgré les premières difficultés de l’armement, Tirrenia décide d’investir dans les navires rapides. Le premier est commandé en 1998 et trois autres en 2001. Des navires qui peuvent atteindre les 40 nœuds pour relier Civitavecchia et Olbia en 3 h 30. Mais voilà, faire naviguer ces unités dans ces conditions coûte très cher. Elles consomment 290 kg de carburant par minute contre 50 kg en vitesse normale. Un flop phénoménal pour l’armement qui va laisser ces navires dans un port pour finalement les revendre cette année. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement italien a mis la main à la poche pour débourser 1,5 Md€.
L’opposition syndicale
Tirrenia, c’est aujourd’hui 44 navires, une hypothèque de 915 M€, des dettes à hauteur de 716 M€ et un résultat de 11 M€, selon le journal italien La Stampa.
La cession de cet armement ne s’est pas faite sur une mer calme. D’une part, les syndicats ont longtemps dénoncé les tergiversations de l’administrateur de Tirrenia à vendre. Pour le syndicat UIL (Union Italiana dei Lavoratori), la signature de cette cession est « une véritable tragédie sociale qui se répercutera sur les travailleurs de cette entreprise et leurs familles ». Le syndicat attend du gouvernement que ces engagements soient respectés et « mis noir sur blanc ». L’UIL attend aussi de la DG?Concurrence « qu’elle mette fin à cette privatisation que nous pouvons définir comme confuse. » La CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) se soucie du plan industriel du repreneur. Le syndicat souhaite qu’après la décision de la Commission européenne, un accord soit trouvé pour assurer la continuité de l’entreprise et la desserte de la Sardaigne et de la Sicile.
D’autre part, la région de la Sardaigne ne décolère pas. « C’est un scandale », souligne-t-elle dans un communiqué de presse. La région Sarde s’estime lésée de ne pas avoir été invitée à participer à la nouvelle forme de la Tirrenia. Le président promet des actions devant la Commission européenne et la cour constitutionnelle italienne. « Nous n’arrêterons pas nos procédures tant que nous n’aurons pas un accord sur la continuité territoriale », a souligné le président de la région Sardaigne. L’opposition centre gauche de la Sardaigne attaque de son côté la majorité qu’elle qualifie d’ingénue face aux repreneurs.