Le nouveau port de Cai Mep, près d’Hochiminh-Ville, est devenu le symbole du décollage maritime du Vietnam, dont la croissance économique et l’explosion des échanges accroissent d’autant les besoins en capacités portuaires. Des navires de toutes tailles descendent ou remontent en procession la rivière Cai Mep aux dimensions d’autoroute, qui taille en vastes coudes à travers la mangrove. Sur les rives, guère d’âme qui vive, ni de constructions pour rompre la monotonie du ruban vert et brun. Pourtant, au sortir d’un énième méandre… des grues géantes, peintes en bleu sombre, semblent jaillir de nulle part, et un quai gris, énorme et massif, escamote soudain la végétation comme par prestidigitation.
Bienvenue au CMIT, le Cai Mep International Terminal! 48 ha de superficie, six grues super post-Panamax, 600 m de quai, 840 emplacements de reefers et une capacité de 1,1 MEVP: l’investissement, de 270 M$, est opéré en joint-venture par A.P. Møller, Saigon Port et Vinalines.
Nous sommes à 50 km d’Hochiminh-Ville, à l’embouchure de la Cai Mep. C’est là que se bâtit le nouveau port en eau profonde de la capitale économique du pays. Outre CMIT, sept autres terminaux de conteneurs sont installés ou en chantier dans la zone. SITV de Hutchinson et SP-PSA de PSA se sont établis en 2009 en amont, là où la Cai Mep change de nom pour s’appeler la Thi Vai. SNP-TCCT et SNP-TCIT, également inaugurés en 2009, sont exploités par Saigon New Port (bras portuaire de la marine vietnamienne), le second en association avec Hanjin, Wan Hai et Mitsui. Quant aux trois derniers, SSIT, géré par SSA Marine et Saigon Port, le terminal « japonais » financé par la coopération nippone et Gemalink, que la CMA CGM se propose d’ouvrir avec son partenaire local Gemadept, ils devraient être opérationnels respectivement fin 2011, fin 2012 et 2013.
Au total, l’ensemble atteindra les 9 MEVP de capacité. « De quoi voir venir, puisque le trafic conteneurs de la constellation Hochiminh-Ville-Cai Mep est aujourd’hui d’environ 4,5 MEVP, tandis que celle du Vietnam dans son entier a atteint les 6,6 MEVP en 2010 », estime Jean-Charles Tassoni, directeur général de la CMA CGM au Vietnam, dont le porte-conteneurs CMA-CGM-Columba a été, fin mars, le premier client de CMIT, inauguré quelques semaines plus tôt. D’une capacité de 11 500 EVP, ce navire est ainsi le plus grand à escaler au Vietnam, dans le cadre du service French Asia Line 3 (FAL 3) de la compagnie française. « Nous utilisons aussi Cai Mep pour notre service Méditerranée Express (MEX) ainsi que pour notre ligne de feeders entre Hochiminh-Ville et Port Kelang, en Malaisie », précise Jean-Charles Tassoni.
« Outre CMA CGM, Mærsk et Grand Alliance escalent aussi chez nous, indique Malcolm Gregory, le directeur commercial de CMIT. Plus globalement, Cai Mep représente d’ores et déjà 24 % du trafic conteneurs du sud du pays. L’élargissement de la route jusqu’à Hochiminh-Ville et la construction envisagée d’une autoroute devraient faciliter la desserte et rendre le complexe encore plus attractif. » Une analyse partagée par Jean-Charles Tassoni: « Le nouvel aéroport est également annoncé à proximité. Il est probable qu’à terme, les industries qui se concentrent actuellement dans le nord de la ville se délocaliseront plus près de Cai Mep, consolidant définitivement son trafic. » Celui-ci est à ce jour surtout intercontinental, vers l’Europe et les États-Unis. Mais l’homme de la CMA CGM pronostique que Cai Mep attirera aussi les liaisons interasiatiques. « Ces dernières représentent la majorité du trafic global du pays, et devraient aller croissant, à l’aune des investissements massifs coréens, japonais, taïwanais et chinois sur place. Aujourd’hui, ces flux se dirigent plutôt sur le port intra-muros d’Hochiminh-Ville, qui présente des contraintes, dont un tirant d’eau limité: 9 m contre 16 m à Cai Mep. Ce dernier devrait donc en absorber progressivement une grande partie. »
Quid du reste du Vietnam?
« Cai Mep fait partie d’une stratégie portuaire nationale, dont le master plan vise les 11 MEVP de capacité en 2020, et 20 MEVP en 2030, afin de répondre à la croissance soutenue des exportations (meubles, textile, chaussures, café, électronique, etc.) et des importations, les deux estimées autour de + 20 % par an au cours de la prochaine décennie, explique Marc Cagnard, directeur du bureau Ubifrance à Hanoï. L’équipement du pays en ports en eau profonde est encore insuffisant, d’où une dépendance vis-à-vis des ports étrangers: Bangkok, Hong Kong ou Singapour, en particulier pour ses liaisons avec l’Europe ou les États-Unis, dont le Vietnam cherche à s’affranchir. »
Les autorités cherchant par ailleurs à rééquilibrer le développement économique au profit des provinces centrales et septentrionales, elles envisagent aussi logiquement d’y renforcer les capacités portuaires: la construction d’un nouveau port en eau profonde à Van Phong, au centre, a débuté en 2009. Dans la même veine, les capacités du port de Haiphong, tout au Nord, terminus du corridor ferroviaire et bientôt autoroutier conduisant à la province chinoise du Yunnan, sont en train d’être renforcées. Enfin, le Vietnam entend se doter de terminaux dédiés (fret liquide, énergie) performants, mettre à niveau les moyens technologiques de ses installations existantes et établir ou développer les connexions et services logistiques de ses ports avec l’hinterland.
Tout ceci a bien sûr un coût, chiffré entre 20 Md$ et 25 Md$ jusqu’en 2020, et entre 46 Md$ et 56 Md$ jusqu’en 2030. Or, les autorités reconnaissent que le budget national ne pourra financer qu’entre 12 % et 15 % de ces sommes. Elles en appellent donc aux investisseurs privés, dans le cadre de partenariats public privé (PPP.) Le ministère du Plan et de l’Investissement a révélé, début 2011, que 23 projets de ce type, d’un montant global de 3,3 Md$, ont été enregistrés par ses services en matière d’infrastructures et de services portuaires, tels celui de SITC international, annoncé fin 2010, pour réaliser en BOT un parc logistique à Haiphong. Un début prometteur, qui ne pourra cependant se poursuivre qu’avec des encouragements et des garanties. Les opérations portuaires devraient être ouvertes aux entreprises à capitaux 100 % étrangers en 2014, conformément aux engagements pris par le pays lors de son engagement à l’OMC. Quant aux PPP, ils auront besoin d’un cadre législatif clair, sur lequel le gouvernement travaille. À suivre…