La CMA CGM se met en ordre de bataille sur le front de la manutention marseillaise. Depuis le 1er février, le groupement armatorial est entré directement (et non pas par l’entremise d’Intramar) dans le consortium Roro-Marseille aux côtés de Sea Invest et de la Socoma. L’exploitation du trafic roulier sur le bassin marseillais sera désormais assurée par ce triumvirat sous le signe de la mutualisation des moyens. Cette mise en commun (outillage, ateliers, comptabilité, administration), alors que les équipes de dockers et la commercialisation restent attachées à chaque entreprise, constitue « une révolution économique » pour Charles-Émile Loo, à la fois président du Semfos (syndicat des manutentionnaires) et de la Socoma. La mesure, « qui ne s’accompagne d’aucun licenciement », est surtout l’occasion de réaliser des économies d’échelle dans une situation économiquement tendue pour les entreprises de manutention des bassins Est.
Port Synergy, seul maître du jeu
Parallèlement, Sea Invest et la Socoma ont cédé leur participation historique (49 %) dans le groupe MGM (Intramar et Eurofos) dont Port Synergy (CMA CGM/DP World) devient l’unique actionnaire. « Philippe Van de Vyvere voulait vendre. Je ne pouvais que suivre », confie Charles-Émile Loo. Le groupe flamand et la coopérative marseillaise retirent chacun 1,25 M€ de la transaction.
La CMA CGM a désormais les coudées franches sur le terminal conteneurs de Mourepiane. Philippe Borel, vice président de la CMA CGM qui supervise la restructuration du terminal MedEurope (c’est sa nouvelle dénomination) se déclare très satisfait des avancées réalisées à la faveur de la réforme portuaire. « Il nous a fallu 35 réunions d’une demi-journée pour arriver à un accord avec les dockers sur l’organisation du travail. Les shifts passent de 6 à 7 heures, ce qui élargit l’amplitude à 21 heures. Les navires pourront être traités à partir de 5 h du matin et les opérations seront assurées par temps de pluie. Med Europe fonctionne sur le modèle des ports méditerranéens où PortSynergy est présent, Marsaxlokk, Constanza ou Tanger. » Last but no least, le représentant de Jacques Saadé a annoncé que « les tarifs seront gelés pendant cinq ans afin de rattraper le décalage sur les ports concurrents ». Ces efforts suffiront-ils pour casser la spirale du déclin qui a contraint les actionnaires d’Intramar a recapitaliser de 5 M€ pour effacer une partie des 9 M€ de la dette structurelle? Depuis, les activités ont été scindées en deux pôles. Le premier ensemble est consacré au Ro-Ro, colis lourds et voitures. Les conteneurs sont assurés par Intramar STS dont le GPMM détient 34 %.
Continuité territoriale: rogner sur les coûts
La relance est également au cœur des réunions entre acteurs de la continuité territoriale. Face à la concurrence du port de Toulon qui risque de peser un peu plus avec l’élargissement de la DSP sur le port varois, les Marseillais cherchent la parade. Elle passe par les coûts, presque deux fois plus élevés que sur les autres ports du continent et de l’île de Beauté. « Nous recherchons une organisation et une discipline au plus près des besoins des passagers et de la marchandise », confie Charles-Émile Loo. Les simulations établies par les manutentionnaires évaluent un gain entre 8 % et 10 %, « si les syndicats sont d’accord ». Mais un effort supplémentaire est prôné par les armateurs marseillais. « Ou nous arrivons à sauver la continuité territoriale, ou nous allons perdre des milliers de journées de travail sur les quais », résume Charles-Émile Loo.
Charles-Émile Loo, réélu président du Semfos
À 89 ans, il sourit lorsqu’on lui parle de retraite anticipée. Après 60 ans passés sur les quais, Charles-Émile Loo a toujours la même passion pour le port de Marseille qu’il connaît comme sa poche. Homme de dialogue, le fondateur de la Socoma a toujours maintenu le contact avec les dockers. Rien ne l’énerve plus que des journalistes connaissant mal le milieu portuaire qui accusent les dockers à chaque conflit. « Il faut rétablir la vérité. Sur les dix dernières années à Marseille-Fos, les dockers ont été responsables d’arrêts de travail que dans 2,15 % des cas. Et encore, la plupart du temps, il s’agissait de mouvements nationaux. » Il apprécie le changement, même s’il reste réservé sur la réforme portuaire. « Les choses ont évolué. Une modération a été obtenue dans beaucoup de domaines, ce qui nous a évité des conflits. » Pour la sixième fois consécutive, ses pairs réunis en assemblée générale l’ont renouvelé au poste de président du Semfos.