Le sujet a été plusieurs fois abordé dans le JMM. L’incapacité croissante de la France – et probablement de tous les États membres de l’UE – à décrire l’existant en matière de flux de marchandises issues du commerce extérieur est une nouvelle fois « dénoncée » dans une étude intitulée Parts de marché des ports français et trafic transbordé dans les ports étrangers. Ce document, daté du mois de mars, porte le logo de Ports de France et se trouve sur son site internet.
Des motivations de bon sens qui ont tardé à émerger
La notion de « détournement » de transport est ancienne (et assez maladroite). Elle s’est basée essentiellement sur les données de SitraM (système d’information sur les transports de marchandises) qui a collecté les informations relatives au transport effectué par les poids lourds immatriculés en France, par le ferroviaire et le fluvial, ainsi que les chiffres du commerce extérieur français fournis par les Douanes. Tout ceci a disparu, d’une part avec, en 1992, la création du marché unique et, d’autre part, au fil des années, avec les simplifications des procédures douanières. L’étude est motivée par différents besoins: « D’un point de vue général, il s’agit de mettre en place un indicateur global de compétitivité et de l’attractivité d’un port [s’agit-il de la place portuaire ou de l’autorité portuaire? n.d.l.r.] Cette question est tout aussi pertinente à l’échelle portuaire que nationale où il reste difficile d’apprécier effectivement les résultats des grands chantiers de Fos (XXL) et du Havre (Port 2000) ainsi que les réformes entamées en 2008. De façon plus pragmatique, il est nécessaire d’être en mesure de fournir des chiffres représentatifs et clairs aux décideurs politiques, aux journalistes ainsi qu’aux responsables opérationnels afin qu’ils soient capables de répondre à la simple question: quelles sont les parts de marché des ports français? Enfin, au niveau local, l’initiative de l’Union des Ports de France sur cette question est motivée par les préoccupations de ses membres qui souhaitent retrouver une claire vision des flux qui leur échappent. Surtout, ils cherchent à connaître leur part sur le marché local par rapport aux ports étrangers. De plus, puisque les Grands ports maritimes (GPM) ont des compétences en aménagement, ils devraient être capables d’avoir une connaissance du territoire qu’ils desservent au-delà des seules informations commerciales. »
L’étude tente de faire le tour de toutes les difficultés prévisibles pour se doter d’un outil d’analyse raisonnablement juste, outre la quasi-impossibilité d’accéder aux données de tonnages.
Ainsi, il n’est pas assuré que la notion même de « détournement de trafic » soit aujourd’hui pertinente du fait du rééquilibrage des trafics venant ou destinés aux États du sud et de l’est de l’Europe. « Aujourd’hui, il apparaît que la notion pertinente est celle des parts de marché par rapport à un marché accessible aux ports français. » Le diable est dans les détails et, en l’espèce, dans la notion « d’accessibilité ».
Du point de vue géographique, on peut considérer que, dans l’état actuel de leurs dessertes terrestres, les ports français ont perdu l’Alsace et la Lorraine et encore plus les gisements de trafics de la banane bleue. Mais du point de vue de la décision de transport, n’ont-ils pas également perdu certains trafics comme, par exemple, une partie des flux de vins fins du Bordelais vendus de toute éternité « départ chai ». Le choix de l’incoterm n’est pas neutre en ce qui concerne celui du port d’embarquement laissé à l’importateur américain ou asiatique. Tout comme l’orientation du commerce extérieur français: la France vend beaucoup moins, en tonnage « accessible » (hors avion, paquebot, etc.) à la « grande » exportation que l’Allemagne. Autant de sujets abondamment traités dans les années 1980 et 1990.
Quels outils de mesure?
Puisque les statistiques douanières font défaut, l’étude de Ports de France a cherché d’autres indicateurs existants et simples: le poids brut, par exemple. Il s’agit de rapprocher les trafics portuaires exprimés en poids brut du total de l’Europe des 27. Et pas de chance, l’Italie arrive juste derrière le Royaume-Uni avec 13,8 Mt en 2009, devant les… Pays-Bas (13,6 Mt) et loin devant la France (9,2 Mt) qui devance toutefois l’Allemagne (7,7 Mt). Le mélange des vracs et les marchandises diverses donnent une approche « approximative ».
Autre grandeur « faible »: les indicateurs de performance mis en place dans les ports à la suite de la loi organique relative aux lois de finances, censée doper la gestion de l’État. « Les parts de marché des (ex-) ports autonomes sur leur façade respective » ne permettent pas de mesurer suffisamment bien le phénomène « multidimensionnel et complexe qu’est la compétitivité ».
Compte tenu des approximations de différentes méthodes présentées, il est finalement préconisé de « revenir à une approche géographique: l’aire de l’hinterland comme mesure indirecte de l’attractivité d’un port ». Notion délicate à manier car, dès les années 1970, on sait bien que le Nord, la Picardie, Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace « n’appartiennent pas concrètement à l’hinterland des ports français ». D’où la nécessité de « bien faire la distinction entre une approche en termes de parts de marché (qui nécessite d’abord de définir le marché que l’on observe) d’une approche selon l’hinterland géographique ».
Plusieurs années de recherche avant de savoir!
Afin de retrouver une « claire vision » du panorama de la concurrence interportuaire, la solution aux problèmes rencontrés pourrait être décomposée en deux axes, estiment les auteurs de l’étude:
– apporter de nouvelles lumières dans la recherche et le traitement des données par une remise à neuf des données utilisées dans le passé et la stimulation de sources d’information complémentaires;
– reprendre le sujet selon d’autres perspectives par une précision des aires de marché pertinentes, une redéfinition des critères de compétitivité des ports maritime français dans le cadre de l’Union européenne et la reconstruction d’un nouveau « proxy » (indicateur; n.d.l.r.) de cette compétitivité.
Concernant les nouvelles lumières, pour répondre au manque d’information dont souffre la base de données SitraM, la combinaison de différentes sources est la solution la plus à même d’offrir un panorama plus juste du transit maritime. Néanmoins, plusieurs points restent « incertains »: les données des Douanes peuvent-elles être récupérées, améliorées pour permettre un meilleur suivi des flux? Que faire pour compenser la disparition de la masse nette et l’hétérogénéité des données? Concernant la perspective à prendre pour étudier la question de la compétitivité des ports français, il y a un intérêt à lancer sur la durée un travail de reconstruction d’un indicateur de la compétitivité des ports, un travail de reconstruction d’un indicateur de la compétitivité et de l’attractivité des ports français. « D’une part, la matière présente des enjeux importants et durables pour les politiques publiques (réforme portuaire, dessertes des ports). D’autre part, la matière est suffisamment complexe pour mobiliser des moyens sur plusieurs années ». Après cette prise de conscience inattendue, il existe des raisons d’espérer, car l’Ademe a confié à un ancien directeur des transports maritimes, routiers et fluviaux, une « mission portant sur les statistiques de transport ».
Tribun et chiffres caricaturaux
« Régulièrement, des tribuns lancent des chiffres caricaturaux pour frapper les esprits en brandissant la menace du déclassement des ports français », note l’étude en faisant explicitement référence aux propos de Jean-Luc Chauvin, président de l’UPE 13: « Un conteneur sur deux à destination de la France passe par des ports étrangers. » Cette déclaration « semble provenir d’une extrapolation au niveau national des données de la région Picardie », explique l’annexe 1. « Or, cette région est dans une zone d’hinterland quasi naturel des ports étrangers. La moyenne nationale effective est probablement différente ». « […] Il est insensé qu’un pays maritime importe les deux tiers de ses conteneurs par des ports étrangers. » Cette phrase a été prononcée au Havre le 16 juillet 2009, et l’étude de Ports de France n’y a pas fait explicitement référence.
Marchandises françaises, ports français et navires français. Bientôt le retour du 40-40-20?
Les 30 pages de l’étude diffusée par Ports de France soulèvent au moins deux types de questions. Quelle politique pertinente des transports de marchandises a-t-on pu définir, en France et en Europe, ces douze dernières années sans connaître ce qui existait et sans être capable d’en mesurer les éventuels progrès? Si on accepte sans réserve l’équation discutable selon laquelle « le commerce extérieur national doit passer par les ports nationaux », pourquoi oublier le transport maritime qui devrait alors être obligatoirement réalisé sur un navire « national »? Afin d’éviter les conflits frontaux avec nos partenaires commerciaux, ne serait-il pas nécessaire de revenir, comme au temps « béni » des conférences, au 40-40-20 et de l’étendre aux vracs?