Le transport maritime à courte distance est confronté à un dilemme. Sa progression dépend en large partie du report modal. Une solution avancée par les professionnels serait de favoriser la propulsion au LNG de ces navires. Une idée qui prend sa source dans l’annexe 6 de la convention de Marpol. Celle-ci définit à l’horizon 2015 et 2020 les normes en matière de rejet, notamment de dioxyde de soufre, par les navires lors de leurs opérations dans les eaux européennes. La première norme, qui s’appliquera en 2015, sera de réduire les émissions de SOx à 0,5 % contre 4,5 % aujourd’hui. Ces nouvelles contraintes réglementaires peuvent alors être une aubaine pour le transport maritime à courte distance. En adoptant dès aujourd’hui ces conditions technologiques, les navires opérant dans les eaux européennes peuvent prendre le pas sur d’autres modes de transport terrestre. Une table ronde, organisée au cours du salon Maritima le 9 décembre, a permis de faire le point sur la question et de dégager les pistes à étudier pour l’avenir. La chaîne de construction des navires s’accorde sur un point. La faisabilité technique des navires n’est plus à prouver. « Nous avons déjà réalisé des navires dont la propulsion est partiellement assurée par le LNG », a rappelé Glenn Mattas, directeur commercial de Wartsila France. Et le responsable du motoriste de rappeler la construction du GDF-Energy pour le compte de Gaz de France. Bien plus, auparavant le LNG a été principalement utilisé dans le cadre des approvisionnements électriques des navires. « Nous avons désormais réalisé, ces derniers temps, des navires dont la propulsion mécanique est assurée par du gaz », continue Glenn Mattas. Une expérience réalisée en Norvège pour un pétrolier de 30 000 tpl. Dans son schéma de construction, le motoriste propose de fournir avec le moteur le stockage et la réfrigération à bord du navire.
Une solution techniquement réalisable mais qui prend une dimension particulière en raison de son emplacement à bord. « Sur le navire, l’installation d’une propulsion au LNG n’est pas en soi un souci technique. Nous l’avons déjà réalisé. Il convient de se pencher davantage sur l’embarquement des sources de propulsion à bord des navires et sur la question de l’approvisionnement en GNL », a souligné Sébastien Le Boulluec, architecte naval et responsable des constructions neuves aux chantiers STX Europe à Saint-Nazaire.
Du côté des armateurs, la propulsion au LNG n’est pas une chose nouvelle. « Nous y réfléchissons », indique Hervé Lapierre, directeur du département des constructions neuves chez Louis Dreyfus Armateurs. Et l’armement basé à Suresnes affirme que ces navires ont plus de probabilité de voir le jour sur des lignes régulières du transport maritime à courte distance. « La logistique d’approvisionnement de la matière première au port et le soutage des navires doivent être résolus. C’est sur des ports assurément approvisionnés pour des navires au GNL que nous pourrons commencer nos opérations. Et pour cela, il faut assurer un arrêt régulier. C’est pourquoi ces navires sont actuellement étudiés pour les lignes régulières à courte distance », a continué Hervé Lapierre. Une position que partagent d’autres armements opérant dans le détroit du Pas-de-Calais. « Selon nos sources auprès de P&O Ferries, la propulsion au LNG demeure une option technique à l’horizon 2020 pour les constructions neuves », a indiqué Laurent Devulder, directeur du développement du port de Calais. P&O Ferries n’envisage donc pas de remotoriser au LNG des navires actuellement en service. Sachant qu’il est extrêmement difficile de chiffrer actuellement le coût d’une conversion d’un moteur au GNL, a relevé Glenn Mattas.
Il semble ainsi qu’une grande partie du débat repose actuellement sur la capacité des ports à adapter leur système de soutage et aux sociétés pétrolières à acheminer depuis les sources le LNG. Pour les ports, Laurent Devulder, directeur du développement du port de Calais, a expliqué l’intérêt pour ces établissements de proposer une alter- native au LNG pour la propulsion des navires escalant. « Ce mode de propulsion est séduisant parce qu’il réduit fortement les émissions de CO2 des navires lors de leurs escales. Nous devons maintenant réfléchir à deux problématiques qui se posent: quel avitaillement et pour quel roulier et, d’autre part, quel mode de stockage doit-on préférer? Et dans le projet de Calais 2015, extension du port du détroit, des solutions de stockage du GNL sont à l’étude. Nous travaillons cette question à un niveau européen, a continué Laurent Devulder. Nous avons mené des réflexions entre l’organisation européenne des ports, Espo, et les armateurs européens, l’Ecsa, pour définir les lignes directrices sur l’usage du GNL des navires. » Pour Christian Brissart, de Total, une normalisation internationale est en cours. Un groupe de travail s’est formé sur le sujet à la demande de la Norvège.
Un autre point évoqué lors de la table ronde vise à identifier les différents freins du côté des sociétés d’approvisionnement. Pour Pierre Karsenti, directeur adjoint des transports maritimes de Total, la chaîne logistique terrestre pour l’approvisionnement des navires est lourde. Toutefois, Pierre Karsenti précise aussi que « le soutage représente de 30 % à 40 % des ventes de produits pétroliers. Nous ne pouvons pas ignorer ce marché ». Pour les échéances à venir, Pierre Karsenti a posé les jalons des changements. Il a ainsi souligné que « les unités de désulphurisation coûtent chères, surtout pour faire du soufre à 0,1 %, moins pour du 0,5 % ». Aussi, pour Pierre Karsenti, « réaliser des soutes à 0,5 % de Sox pourrait être envisageable. Avant la crise, ce sujet était évité. Depuis le retour de la croissance, les industriels sont en train de se dire que c’est possible de le faire ». Toutefois, viser encore plus bas avec une teneur en oxyde de soufre de 0,1 %, la réponse est sans appel: « Nous ne le ferons pas car c’est trop coûteux », indique le directeur adjoint des transports maritimes de Total. La chaîne logistique terrestre de l’approvisionnement de GNL se pose aussi en termes techniques. Acheminer le gaz depuis l’usine vers le navire signifie d’avoir des kilomètres de pipes refroidis à − 160 Co. Une autre solution est de souter depuis un navire, mais cette technique est récente puisque les premiers essais ont été réalisés par Exmar il y a deux ans seulement. Mais c’est une technique qui fonctionne, même si elle est moins souple que le soutage au fuel. Selon Pierre Karsenti, il faut également envisager une évolution des sociétés qui réalisent ces opérations de soutage. Enfin se posent toutes les questions sur la dangerosité de ces transferts de carburants. « Il convient de démystifier les dangers du GNL, a indiqué un responsable d’Air liquide. Le vrai souci vient du vide réglementaire entourant ces opérations de transbordement. » Et dans la même veine se pose alors un nouveau dilemme: quelle formation pour les équipages? « Nous devrons former les équipages aux risques parce que le gaz est un liquide froid. Cependant, nous disposons de systèmes fiables et de procédures valables pour réaliser ces opérations dans des conditions optimales », a souligné Hervé Lapierre de Louis Dreyfus Armateurs. En Norvège, depuis 5 ans, le soutage au GNL de navires, notamment pour les ferries, se fait de manière quotidienne, sans difficulté majeure.
La seule question en suspens, c’est qu’il faut plus de place pour stocker du GNL qu’un autre carburant. En conclusion de la table ronde, Fernand Bozzoni, président de l’armement Socatra, a listé de nombreuses incertitudes sur la propulsion au LNG. Outre celles précédemment exposées, le coût du navire est un élément majeur pour l’armateur lors de l’acquisition de son navire. « Quand nous achetons un navire, la première chose à laquelle nous pensons est sa revente. Faire construire un navire propulsé au LNG doit être estimé en fonction de son coût de revente et des capacités à le revendre. » Surtout, pour Fernand Bozzoni, si la propulsion d’un navire au GNL est une solution d’avenir, ce n’est toutefois pas une solution applicable immédiatement. Certes, il y a une législation et une réglementation sur le sujet. Mais il va falloir mener une longue réflexion pour lever les contingences qui demeurent. Et notamment au niveau des coûts du soutage au GNL ou encore de la formation des équipages. Fernand Bozzoni a également remarqué l’avance de la Norvège sur cette question, ce pays disposant largement de gaz et ayant déjà des infrastructures adaptées. Ce qui n’est pas le cas ailleurs dans les autres pays européens. Alors si la propulsion au LNG est séduisante, elle ne trouvera d’application qu’à partir de la levée des incertitudes notamment sur les ports et la capacité au plus grand nombre de ports de pouvoir assurer un soutage pour ces navires.
Moteur neuf ou reconditionnement
Le choix du LNG doit-il se faire dès la construction du navire ou le reconditionnement d’un moteur déjà en opération pourrait-il être une alternative? Pour Olivier Varin, directeur d’armement à la Compagnie Méridionnale de navigation, la conversion d’un moteur en LNG est une opération très coûteuse. Glen Mattas, directeur commercial de Wartsila France, estime que l’opération de conversion est techniquement réalisable mais son prix est fonction de nombreux facteurs. Une expérience existe en France. Elle est pilotée par l’Association France pêche durable et doit s’étendre sur 2011. Un bateau de pêche a vu son moteur converti en propulsion LNG. Les tests prendront en compte les capacités du navire à pouvoir opérer dans les zones de pêche.