Journal de la Marine Marchande (JMM): La voie d’eau européenne existe-t-elle?
Isabelle Ryckbost (I.R.): Il y a des actions de promotion des voies navigables au niveau européen. L’une d’elles offre aux États la possibilité de coopérer sur un même bassin. Sur l’Elbe, l’Allemagne et la République tchèque ont ainsi créé un service commun d’information sur la navigation fluviale. Le port allemand de Dresde et ses homologues tchèques ont mis en place un système de coopération entre eux. Ils en sont seulement au début du processus. Un autre exemple de coopération en ce moment, c’est le projet de ligne à conteneurs sur la Moselle porté par les ports de Metz en France et de Trèves en Allemagne. Sur le Rhin, depuis mars 2007, il y a RheinPorts, regroupement des ports de Bâle, Mulhouse et Weil-am-Rhein. Il est vrai qu’il n’est pas toujours évident de travailler en transfrontalier, même au sein de l’Union européenne. Tous ces ports intérieurs rencontrent des difficultés pour bâtir ce genre d’association. Toutefois, rien ne peut se faire en un jour. Mais je ne crois pas que se soit beaucoup plus compliqué dans la voie d’eau que dans les autres modes de transport. Depuis un an et demi que je suis à la Fepi, par rapport aux autres modes, je ne crois vraiment pas que la voie d’eau soit la plus mauvaise élève du point de vue de la coopération transfrontalière.
JMM: D’où peuvent provenir les freins à ce travail en commun?
I.R.: La politique européenne évolue très difficilement car tout ce qui relève du domaine du transport a longtemps été maîtrisé uniquement par les États et les gouvernements. Ces derniers ont eu peur de lâcher leur souveraineté sur les transports. En 1957, le traité de Rome instaure la Communauté économique européenne (CEE) et prévoit l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Mais il faut attendre 1985 pour qu’une voie vers une législation communautaire dans le domaine des transports soit ouverte. La position des États est aussi liée au fait que chaque gouvernement a énormément investi dans le développement des réseaux de son pays. La démarche de participer financièrement à des projets de réseaux de transport transfrontaliers est quelque chose de nouveau et d’encore très difficile à accomplir pour les États. Ce n’est pas vraiment qu’ils ne veulent pas, ils sont conscients des atouts de ce type de projet, mais ce n’est pas toujours facile à défendre auprès des citoyens.
JMM: Quel est l’intérêt pour les ports maritimes et intérieurs de travailler ensemble?
I.R.: Effectivement, la coopération entre les ports intérieurs n’est pas tout. Le commerce international va croissant et les terminaux maritimes sont incontournables. L’Union européenne a de très grands ports maritimes mais ils ont besoin de développer leur hinterland. Le mode fluvial, lui, ne peut fonctionner de façon optimale que combiné avec d’autres modes de transport. L’un d’entre eux est le maritime. Il faut donc une coopération entre les ports maritimes et intérieurs. Il existe déjà un certain nombre d’initiatives: Anvers et Rotterdam avec Liège, Mannheim, Dusseldorf; Dunkerque avec Liège. Ils organisent des visites de leur sites respectifs, échangent sur leurs besoins, etc. À l’arrivée, plusieurs niveaux de coopération sont possibles (contrat, promotion, etc.), mais cela prend du temps à réaliser concrètement. Un bel exemple de coopération à l’intérieur de la France est Med Link Ports, qui lie le Grand port maritime de Marseille et les ports intérieurs de son hinterland. Il est certain, en tout cas, qu’il y a une ouverture de plus en plus grande ces dernières années des ports maritimes vers leurs homologues de l’intérieur et inversement. On peut remarquer aussi que les ports maritimes cherchent des partenaires dans leur hinterland, parfois même très éloigné. Anvers a présenté une étude là-dessus. Il raisonne par cercles concentriques. Il y en a trois. Le premier comprend Liège et Athus, le deuxième englobe l’Allemagne, le troisième s’étend jusqu’à Lyon.
JMM: Comment se passent les échanges de la Fepi avec le commissaire européen aux Transports et avec la Commission européenne?
I.R.: Notre première impression est plutôt favorable. Siim Kallas découvre la voie d’eau et ses atouts. Il a compris l’importance des ports intérieurs, zones d’interconnexion avec les autres modes. Les ports intérieurs correspondent ainsi aux notions de comodalité et d’intermodalité, facteurs clés dans la mise en place de transports de marchandises durables et efficaces en Europe, selon la Commission européenne. Certains ports intérieurs sont trimodaux voire même quadrimodaux. Ils donnent le choix aux chargeurs entre différents modes de transport durables. La Commission euro- péenne travaille actuellement sur la révision du Livre Blanc sur la politique européenne des transports et des réseaux transeuropéens de transport (RTE-T). Dans ces deux grands dossiers, on espère que le fluvial et les ports intérieurs auront une plus grande visibilité. Ce que je peux dire aussi c’est qu’on sent que le transport fluvial a le vent en poupe. Le rôle de la Fepi, c’est d’accentuer ce courant favorable. On représente les ports intérieurs auprès de la Commission européenne et dans d’autres institutions. On ne fournit pas seulement une position ou des opinions. La Fepi a aussi un rôle de fournisseur d’informations concrètes sur les ports intérieurs.