Sentence 1169 du 4 février 2010 Second degré

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Un navire porte-conteneurs a été frété selon charte-partie NYPE pour une longue durée à un opérateur. Lors de l’un des voyages, l’officier de quart perd connaissance et tombe à la passerelle, laissant livré à lui-même le navire qui s’échoue au petit matin sur la côte Sud de l’une des Cyclades. Il ressortira de l’audition ultérieure de l’officier qu’il était seul à la passerelle, sans la présence d’un matelot de quart et que l’alarme « homme mort » était débranchée.

Après signature d’une Lloyd’s Open Form, le navire sera déséchoué avec l’aide d’un remorqueur, après déballastage, pompage des soutes et allégement partiel de la cargaison, ces opérations ayant nécessité la participation de trois barges.

Après rechargement des soutes et des conteneurs, le navire appareillera de son mouillage, et arrivera au Pirée le soir du même jour. Après déchargement de ses conteneurs il rentrera en cale sèche pour réparations au bordé endommagé. Le navire quittera finalement Le Pirée sans recharger sa cargaison pour reprendre son service.

Un certain nombre de navires de l’affréteur feront ultérieurement escale au Pirée pour recharger et acheminer à destination les conteneurs débarqués du navire pour procéder à sa mise en cale sèche.

L’affréteur demande conjointement avec ses assureurs, mais sans que la répartition entre eux et ces derniers soit toujours clairement définie:

• la condamnation de l’armateur à lui rembourser une somme correspondant aux frais de déroutement et d’escale au Pirée de plusieurs navires pour recharger les conteneurs débarqués du navire;

• la condamnation de l’armateur à lui payer une somme correspondant aux frais exposés au Pirée pour éviter une réclamation cargaison;

• la condamnation de l’armateur à rembourser aux P&I Clubs les sommes correspondant aux indemnités d’assistance réglées pour les conteneurs et les soutes;

• les sommes ci-dessus étant abondées des intérêts capitalisés à compter de la date d’introduction de l’instance;

• la condamnation de l’armateur à le garantir au cas où il serait condamné par la juridiction compétente à indemniser certains intérêts-cargaison pour l’indemnité d’assis- tance payée par eux et tout autre préjudice;

• la condamnation de l’armateur à supporter les frais d’expertise judiciaire, les frais de la procédure arbitrale et à lui payer une somme au titre de l’art.700 du CPC.

L’armateur, outre qu’il rejette l’ensemble des prétentions des demanderesses, demande pour sa part la condamnation de l’affréteur à supporter la totalité des frais et honoraires d’arbitrage et à lui payer une certaine somme au titre de l’art.700 du C.P.C

L’armateur entendait faire déclarer irrecevable par défaut de qualité et intérêt à agir la réclamation portant sur les frais judiciaires et para-exposés au Pirée au motif que, réglés par le P&I Club, ils ont été portés au litige par l’affréteur. Les arbitres ont admis la qualité à agir de l’affréteur, qui a produit une cession de créance régulièrement consentie par le P&I Club à son bénéfice.

En ce qui concerne les réclamations des deux P&I Clubs quant aux indemnités d’assistance pour les conteneurs et les soutes, les subrogations produites aux débats et régulièrement consenties par l’affréteur donnent aux deux Clubs qualité et intérêt à agir.

Quant à l’argument tiré par l’armateur de l’intervention tardive des Clubs, il sera rejeté par le tribunal, faisant application des dispositions de l’art. 126 du code de procédure civile. Les deux subrogations ayant été consenties avant la date à laquelle a été rendue la sentence au premier degré, et a fortiori avant la date de la présente sentence au second degré, force est de constater que l’irrecevabilité alléguée ne peut qu’être écartée, sa cause ayant disparu.

Sur le fond, l’affréteur appuie ses réclamations sur une innavigabilité alléguée du navire, la perte de conscience du lieutenant de quart relevant d’un excès de fatigue dû à une mauvaise organisation du travail à bord; l’absence du matelot de quart et le débranchement de l’alarme homme mort relevant d’un mauvais contrôle par l’armateur de l’organisation du travail.

Le tribunal a considéré que la cause de l’échouement réside dans le non-respect par le lieutenant de quart des instructions qui lui enjoignaient de changer de route à un way-point déterminé. Cette abstention constitue une faute nautique de la part du lieutenant. La cause de cette abstention est l’évanouissement du lieutenant, que les arbitres considèrent comme un cas fortuit.

Le tribunal considère également que l’absence du matelot de quart et le débranchement de l’alarme homme mort ne relèvent que du fait personnel et fautif, une fois encore de la faute nautique, du lieutenant de quart, faute que les arbitres n’ont pas jugée inexcusable au sens du droit positif.

L’armateur se prévalait de ces fautes nautiques pour faire jouer l’exonération de responsabilité dont il bénéficierait au titre des Règles de La Haye-Visby. Les arbitres n’ont pas retenu ce point de vue. D’une part, la Convention de 1924 vise explicitement à réparer les avaries et manquants à la cargaison, et en aucun cas les retards subis par la cargaison, les frais de déroutement de navires de substitution, les frais de réparation de conteneurs, etc, qui font l’objet du présent litige. Elle est donc sans effet ici, et par voie de conséquence les exceptions qu’elle contient ne peuvent être soulevées. D’autre part, la Convention de 1924 est inapplicable en l’espèce, nonobstant une clause additionnelle de la charte que les arbitres ont jugée, en raison des contradictions et incompatibilités (voire même de la dénaturation de la charte) qu’impliquerait son application, n’être que le fruit d’une mauvaise rédaction de la charte-partie, un doublon inapproprié et maladroit des stipulations de la clause 23 (Paramount) imprimée de cette même charte-partie, n’ayant pas vocation à régir la responsabilité de l’armateur à l’égard de l’affréteur.

Pour autant, la faute nautique retenue par les arbitres trouve à s’appliquer aux termes mêmes de la charte-partie. Le second alinéa de la clause 16 énonce un certain nombre de cas exceptés sous la forme d’une clause générale d’exceptions applicable à l’ensemble de la charte-partie. La faute de navigation retenue par le tribunal comme cause de l’échouement trouve sa place dans les exceptions de ce second alinéa (error of navigation).

La clause 25 n’est pas non plus invocable à l’appui de la réclamation des affréteurs. L’utilisation des termes « The Owners shall remain responsible for the navigation… etc » ne doit se comprendre que pour souligner la première phrase qui précise explicitement que cette charte-partie n’est pas une demise-charter. Les mots « responsible for », en ce qu’ils ne font que confirmer que la gestion nautique appartient à l’armateur, doivent s’entendre avec le sens de « en charge de », et non pas comme instituant une règle de responsabilité contractuelle. Serait-ce le cas, l’exception de faute de navigation prévue au second alinéa de la clause 16 ferait obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de l’armateur.

La clause 30 ne permettrait de mettre à la charge de l’armateur les réclamations de l’affréteur qu’en cas d’innavigabilité (unseaworthiness) du navire, qui n’a pas été retenue par les arbitres. Qui plus est, le texte de cette clause 30 évoque plus un mode de répartition de la contribution à la réparation du dommage subi par les intérêts cargaison qu’une règle de responsabilité sui generis entre les parties.

En tout état de cause, la clause 30, imprimée, est mécaniquement remplacée par la clause additionnelle 63 (Cargo claims) qui stipule l’application du NYPE Interclub Agreement (I.C.A). Les arbitres soulignent que les règles de l’I.C.A ne constituent pas une règle de responsabilité dérogatoire et applicable dans le cadre de la charte-partie, mais un simple mode de répartition entre fréteur et affréteur à temps d’éventuelles condamnations auxquelles ce dernier pourrait être soumis au bénéfice du porteur du connaissement, tiers à la charte-partie et cocontractant du seul affréteur au titre d’un contrat de transport régi par les Règles de La Haye-Visby.

Le paragraphe 4 (a) de ce même I.C.A précise clairement que la réclamation soumise à répartition doit avoir été faite dans le cadre d’un contrat de transport « autorisé par la charte-partie ». Ceci élimine ipso facto toutes les demandes présentées par l’affréteur et les Clubs au titre de la charte-partie (coûts de déroutement, frais judiciaires et extrajudiciaires au Pirée, réparations, sauvetage des conteneurs, sauvetage des soutes). D’une part parce qu’aux termes même du texte, la réclamation soumise à répartition doit s’appuyer sur un contrat de transport autorisé par la charte-partie, et non pas sur la charte-partie elle-même. D’autre part parce que la charte-partie à temps n’est pas un contrat de transport en droit français, ce qui ne permet pas de présenter une demande de soumission à l’I.C.A au titre de ladite charte-partie.

L’affréteur, transporteur, et à ce titre émetteur de connaissements, demande à être garanti par l’armateur au cas où il serait condamné par la juridiction compétente à indemniser certains intérêts-cargaison pour l’indemnité d’assistance payée par eux, et tout autre préjudice. Cette demande est rejetée. D’une part, pour accorder à l’affréteur le bénéfice d’une telle garantie, il faudrait que fût reconnue à l’encontre de l’armateur une responsabilité à son endroit au titre de la charte-partie, ce qui n’est pas le cas. D’autre part, ainsi qu’il a été relevé précédemment, les parties à la charte ont contractuellement (en faisant appel à l’I.C.A) organisé la répartition entre elles des réparations éventuellement dues aux porteurs de connaissements. Il n’appartient pas aux arbitres d’écarter a priori cette stipulation de la charte-partie et de lui substituer une garantie qui pourrait lui être contraire dans ses effets et qu’ils jugent de toute manière infondée.

Au vu des circonstances de la cause, il apparaît équitable de rejeter les demandes formulées au titre de l’art.700 du CPC par les deux parties.

Au vu des circonstances de la cause, il apparaît équitable de laisser chacune des parties supporter les divers frais de procédure et d’expertise qu’elle a encourus, et de partager la charge des frais et honoraires d’arbitrage, tant au premier qu’au second degré, à raison de 30 % pour l’armateur et 70 % pour l’affréteur et ses assureurs.

Les demanderesses, affréteur et P & I Clubs, sont déboutées de l’ensemble de leurs demandes.

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