L'instruction réalisée par l'Autorité de la concurrence donne lieu à des investigations approfondies à partir de déclarations des respon- sables d'entreprises, de témoignages, de comptes-rendus de réunions, de courriers, de notes manuscrites et de messages électroniques. L'utilisation d'un mot ou d'une expression peut constituer une présomption de comportement anticoncurrentiel, c'est par exemple le cas à propos de l'une des entreprises en cause concernant l'exploitation des terminaux à conteneurs au port du Havre, qui déclarait avoir communiqué à sa société mère « un document préparatoire pour la conférence de Yalta »!
La motivation de la décision de l'autorité de la concurrence est particulièrement détaillée. Il est vrai qu'elle ne se contente pas d'analyser les déclarations et documents concernant le dossier, mais elle en déduit des comportements qui présentent souvent un caractère anticoncur- rentiel. On relève par exemple, dans la décision du 15 avril 2010, que « dès lors qu'il a été établi qu'une entreprise a participé à des réunions entre entreprises à caractère manifestement anticoncurrentiel, il incombe à cette entreprise d'avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel en démontrant qu'elle a indiqué à ses concurrents qu'elle y participait dans une optique différente de la leur ».
Les limites de la compétence de l'Autorité de la concurrence
L'exploitation de terminaux portuaires implique l'attribution de ceux-ci par l'autorité portuaire, en l'espèce le Grand Port maritime du Havre, à des opérateurs privés.
Estimant que la répartition des terminaux entre les opérateurs met en jeu des prérogatives de puissance publique exercées par le gestionnaire du port, l'Autorité de la concurrence ne se considère pas compétente pour apprécier la légalité des décisions prises par l'établissement public, et juge que cette tâche revient aux juridictions administratives. L'hypothèse pourtant vraisemblable selon laquelle un terminal pourrait être implanté sur le domaine privé n'est pas envisagée. De même, tandis que la Cour de justice estime que l'exploitation d'un aérodrome n'implique pas la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique et constitue une activité d'entreprise même si elle est exercée sur le domaine public, une telle solution est transposable à la gestion portuaire. Dans cette hypothèse, l'Autorité de la concurrence devrait s'estimer compétente pour juger le comportement des établissements portuaires. Il faut toutefois reconnaître que l'appréciation des faits ne saurait être la même selon qu'ils sont imputables à une personne de droit public chargée d'une mission d'intérêt général, ou à une personne de droit privé exerçant des activités à but lucratif.
L'illégalité des ententes
Après avoir rappelé que les clauses de non-concurrence n'étaient pas en elles-mêmes illicites, il est relevé qu'« elles peuvent l'être si elles s'avèrent disproportionnées dans leur champ ou leur durée à l'objectif qu'elles poursuivent, ou encore si leur application concrète conduit à porter une atteinte excessive à la concurrence ».
La prohibition des ententes anticoncurrentielles n'est pas applicable aux accords passés entre des sociétés appartenant à un même groupe, dès lors que celles-ci ne disposent pas d'une réelle autonomie sur le marché. Toutefois, il a été reconnu en l'espèce que les sociétés filiales participant à une entente avaient cette autonomie, compte tenu du niveau de la participation financière de la société mère dans le capital de la filiale, de l'existence d'organes de direction propres à la filiale et de la possibilité pour ces organes de déterminer et de mettre en œuvre de manière autonome sur le marché une stratégie industrielle, financière et commerciale. Le constat d'un désaccord patent sur la stratégie commerciale entre des actionnaires d'une société et la filiale de celle-ci démontre l'existence d'une autonomie.
Afin d'apprécier l'impact des comportements en cause sur l'économie, la décision du 15 avril constate que le port du Havre est le premier port français de marchandises, que la principale entreprise en cause y assure plus du tiers de la manutention des conteneurs, et que le marché de référence pour cette activité doit s'apprécier au regard des ports de l'arc nord-européen.
L'Autorité de la concurrence souligne que les entreprises ne sauraient se prévaloir de la défense de l'intérêt du port « consistant dans la prétendue limitation de l'ouverture com- merciale des terminaux de Port 2000 aux seuls volumes « nouveaux », à l'exclusion de toute concurrence intraportuaire ».
L'Autorité de la concurrence estime qu'il y a eu des ententes sur la capacité des terminaux et sur le partage de la clientèle, en observant notamment: l'interdiction faite à certaines sociétés de contracter avec les clients de certains opérateurs; le refus de donner suite à des offres d'armateurs; l'accord sur la nécessité d'étendre la surface des terminaux respectifs des membres de l'accord.
Des sanctions proportionnées à la gravité des faits
L'article L. 464-2 du code de commerce précise que le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.
Pour le niveau des sanctions infligées, il est pris en compte le rôle incitateur de l'autorité portuaire dans la mise en œuvre de l'entente. On peut toutefois s'étonner que l'Autorité de la concurrence estime dans un premier temps que le comportement de l'établissement public portuaire doit être jugé par les juridictions administratives, et dans un second temps qu'elle tienne compte dudit comportement pour reconnaître des circonstances atténuantes aux entreprises incriminées.
En définitive, les sanctions pécuniaires pour la présente espèce s'échelonnent de 40 000 € à 370 000 €. De plus, il est enjoint à deux entreprises de cesser de mettre en œuvre, dès le prononcé de la décision, les pratiques condamnées par l'autorité de la concurrence.
Les incertitudes de l'avenir
Si l'octroi des conventions d'exploitation de terminal ne donnait pas lieu obligatoirement à une mise en concurrence, il résulte de la réforme portuaire de 2008 que, désormais, les conventions de terminal doivent être soumises à une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire. Dans sa décision, l'Autorité de la concurrence émet le vœu que le Grand port maritime du Havre prenne à l'avenir sa décision sur le seul mérite des propositions qui lui sont faites. Cette préoccupation, qui concerne la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique, résulte du bon sens, mais on peut regretter que ladite autorité n'ait pas pris en compte l'importance des accords sociaux dans l'appréciation du contexte concurrentiel de la manutention au port du Havre. Les préoccupations économiques et sociales sont indissociables!