Alors que tous les grands ports mondiaux affichent des baisses entre 10 % et 15 %, le Grand port maritime de Rouen joue l'échappée. Avec un résultat en hausse de 2,8 %, il termine la décennie à 23,3 Mt. Une croissance qui tient principalement aux céréales. À retirer ce courant, la progression n'est plus que de 0,5 %, un score qui demeure très honorable dans la conjoncture économique. « Notre cinquième score de notre histoire », souligne Philippe Deiss, président du directoire du GPMR. Au chapitre des progressions s'inscrivent les vracs liquides avec une hausse de 7,1 %. Presque tous les postes sont en hausse avec une mention spéciale pour les produits pétroliers hors gaz qui augmentent de 6,7 % à 8,4 Mt. Les contrats à long terme entre la raffinerie d'Exxon pour la livraison d'essence aux États-Unis ont dopé ce secteur. Autre courant en hausse, les biocarburants dont la hausse de 12,2 % est liée au fonctionnement à plein régime de l'éthanolerie de Lillebonne. Seuls les produits chimiques ont ralenti cette performance en perdant 4,6 % à 1,1 Mt.
Pour leur part, les vracs solides ont largement participé à la croissance des trafics du port normand. La campagne céréalière 2008-2009 s'est terminée avec une progression des exportations de blé. Au total, sur l'année, les céréales progressent de 6,3 % à 9,8 Mt. Sur l'année civile, le blé enregistre une hausse de 20 % à fin octobre. Seule l'orge accuse un repli en raison de la forte concurrence des pays de la Mer noire. Sur le second semestre de l'année, soit la première moitié de la campagne 2009-2010, les qualités et les quantités de céréales françaises demeurent bonnes. Un constat qui s'applique aussi aux pays concurrents de la France. Au final, sur le second semestre, les exportations de « céréales sont timides », note le président du directoire. Parallèlement aux céréales, le sel de déneigement, l'attapulgite et les tourbes affichent une hausse. En revanche, les granulats, les laitiers et le charbon peinent.
La baisse des flux avec l'Irlande et les Antilles
Enfin, les marchandises diverses perdent de leur volume. Les farines et les sucres diminuent de 40 % en raison du marché et de la réglementation européenne notamment pour les sucres. Les produits forestiers accusent le coup de la crise. « Ils sont l'indicateur type de la crise », note Philippe Deiss. Ils suivent la santé économique de la presse puisqu'une grande partie de ces trafics est destinée aux imprimeries parisiennes. Les colis lourds et les produits métallurgiques ont plombé les résultats rouennais. Quant aux conteneurs, ils n'ont pas échappé à cette tendance. Avec 121 000 EVP, le Grand port maritime de Rouen a perdu 15,5 %. « Nous avons trois destinations majeures, a expliqué le président du directoire, l'Irlande, les Antilles et l'Afrique. L'Irlande, fortement touchée par la crise a moins consommé. Les Antilles ont souffert de mouvements sociaux en début d'année. Enfin, l'Afrique voit une progression de son nombre de boîtes. Ce continent s'impose véritablement comme notre partenaire historique. » À ces difficultés sociales et économiques sont venus s'ajouter les conflits sociaux de la place rouennaise. La mise en place de la réforme n'a pas épargné le port normand, d'habitude si tranquille. « Quelques mouvements sociaux ont incité les armateurs à mettre le port de Rouen entre parenthèses », souligne le président du conseil de surveillance, Alain Bréau. Pour mettre une note positive à cette réforme, le Grand port maritime de Rouen se félicite du travail effectué. Depuis le début de l'année, la nouvelle gouvernance est mise en place. Les dossiers présentés à la Commission nationale d'évaluation sont acceptés. « Nous avons six mois pour finaliser les actes de cession », continue Philippe Deiss. André Laude, président du conseil de développement a souligné que cette réforme pouvait avoir suscité des inquiétudes auprès des personnels. « Les négociations ont créé des tensions. » Et Walter Schoch, président du groupement des manutentionnaires a déplacé le discours sur un autre terrain. « Le climat social n'est pas un frein au développement des ports. Le problème se pose plus en termes d'investissement et de dynamique qu'auraient pu avoir les élus. » Alain Bréau a appuyé dans le même sens en rappelant que le manque d'investissement dans les ports français avait au moins 20 ans, presque une génération.
Il manque 20 ans d'investissement de l'État
Le Grand port maritime de Rouen veut infléchir cette tendance en menant une politique d'investissement volontariste. Dans son projet stratégique, il a présenté les objectifs de sa politique. En premier lieu, Rouen travaille à l'approfondissement du chenal d'accès. Il prévoit d'araser les points hauts du lit du chenal pour gagner un mètre de tirant d'eau. Quelque 3 M m3 de terres vont être extraites. Des travaux qui vont s'étaler de 2010 à 2015 pour un coût total de 185 ME. « Ce projet est essentiel pour notre port, a souligné Philippe Deshayes, président de l'Union portuaire rouennaise. Nous pourrons alors accepter 80 % de la flotte mondiale actuellement en service ou en commande. » Quant aux résidus, le port envisage de les valoriser soit en mer soit dans une chambre de dépôt à Honfleur. En 2010, le port prévoit la poursuite des procédures administratives. Sur le terrain, les épaves seront retirées du lit. Les améliorations du chenal seront réalisées entre 2011 et 2015. Les autres axes visent les terminaux et postes à quai, l'acceptabilité du port dans les territoires, la logistique et les dessertes.
Seine-Nord, un atout pour le port
Les dessertes terrestres demeurent toujours un sujet majeur à Rouen. D'une part, les exigences posées par le Grenelle de la mer et d'autre part, celles issues de la réforme portuaire, obligent à se tourner de plus en plus vers les modes de transport massifiés. « Les ports français du nord sont les plus routiers d'Europe », a indiqué Alain Bréau. Et les chiffres parlent d'eux-mêmes. La route entre pour 63 % des pré et post acheminements. Les oléoducs représentent 17 % quand le fleuve entre pour 11 % et le ferroviaire pour 9 %. « Dans les cinq prochaines années, notre objectif est d'augmenter de 50 % le fluvial et le ferroviaire », a souligné Philippe Deiss. Une stratégie qui dénote. Il y a quelques années, le conseil d'administration du Port autonome de Rouen a voté une décision s'indignant de voir Seine Nord privilégier au détriment de Seine Moselle. Aujourd'hui, les responsables du port et les opérateurs changent leur fusil d'épaule et voient dans Seine-Nord-Europe un atout. « Seine-Nord nous ouvre sur l'Europe », a continué le président du directoire. Et du côté des professionnels le combat s'emboîte dans la même démarche. André Laude, président du conseil de développement et directeur général du manutentionnaire Sénalia, a rappelé que son groupe s'est positionné sur la plateforme de Nesles, le long du futur canal. « Nous voulons fédérer la filière agroalimentaire, celle des granulats et les carriers du nord de la France. C'est une opportunité inestimable pour notre secteur. » Et Walter Schoch, président des manutentionnaires et de Logistique Seine Normandie va encore plus loin. « Notre véritable atout est l'axe Seine. » Le gouvernement a bien senti cette tendance en créant, dans le cadre de la réforme portuaire, le Conseil de coordination interportuaire de la Seine, regroupant les ports du Havre, de Rouen et de Paris. Sa mise en place le 15 octobre par Dominique Bussereau, secrétaire d'État aux transports, doit donner suite à une réunion dès le mois de février. « Nous menons une réflexion commune pour développer les trafics conteneurisés et coordonner nos investissements afin d'atteindre un trafic de 4 MEVP dans les prochaines années sur la Seine », a indiqué Philippe Deiss qui conclu en rappelant, « si le gouvernement ne l'avait pas fait, nous aurions entrepris cette démarche entre nous. »