Ils sont venus et étaient (presque) tous là, dès qu’ils ont entendu ce cri: conteneurs à l’eau. Les 25 et 26 septembre, étaient présents dans les bureaux brestois du Centre de documentation, de recherches et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), les représentants des services d’urgence belge, britannique, espagnol et français, d’un grand transporteur français, d’un manutentionnaire havrais, des assureurs français, etc. pour assister à l’atelier « Lost Cont ». Ce projet de 1,5 M€ dont la moitié payée par des fonds européens, doit fournir « une réponse au problème des conteneurs perdus par les navires de passage dans le golfe de Gascogne et ses approches ». Devaient être menées: l’analyse des accidents passés et l’évaluation des risques; l’analyse du comportement en mer des conteneurs (flottabilité et dérive); la méthode et le suivi des matières dangereuses; la méthode de récupération des conteneurs; le stockage à terre et la gestion des conteneurs; l’animation, la coordination du projet, la dissémination et la valorisation des résultats.
Les conteneurs ne sont pas des ludions
La première difficulté vient de l’impossibilité de quantifier avec une relative précision l’importance du problème. Le chiffre de 10 000 conteneurs tombés à l’eau annuellement et dans le monde est le « plus couramment repris », soulignait Xavier Kremer du service Intervention du Cedre, mais rien ne permet de confirmer réellement la fiabilité de cette donnée. D’autant, notait-on du côté de l’Action de l’État (français) en mer que, si un gros désarrimage de pontée est par la force des choses, signalé par le navire, les « petites » pertes sont discrètement passées sous silence afin d’éviter d’être mis en demeure de rechercher les boîtes et de payer les frais afférents, au moins en France.
Cela dit, de 1992 à 2008, 54 accidents ayant entraîné des pertes de conteneurs ont été parfaitement identifiés sur la façade Atlantique. Sans surprise, ces événements se produisent principalement entre octobre et février. Ce dernier étant, de loin, le plus défavorable à la stabilité des pontés: 358 conteneurs perdus sur un total de 1 085 enregistrés entre 1992 et 2008.
Contrairement aux « croyances », aucun conteneur maritime ne flotte entre deux eaux: soit il flotte en étant plus ou moins immergé; soit il est au fond. Certes, il existe bien une période durant laquelle le conteneur descend progressivement dans la colonne d’eau mais elle est courte. Les conteneurs « dry » coulent assez rapidement contrairement aux reefers qui bénéficient de réserve de flottabilité du fait de leur isolation thermique. D’une façon générale, un conteneur coulerait en moins de trois mois, estime le Cedre, beaucoup plus vite, selon un responsable de l’AEM, reefers exceptés.
Les grands porte-conteneurs restent à quai
Les accidents du CMA CGM-Otello et du MSC-Napoli semblent avoir réveillé les consciences. À la CMA CGM, les pertes subies par le Verdi et le Vivaldi étaient plus ou moins attribuées aux conséquences d’une immatriculation « exotique ». Sous registre français, cela ne pouvait pas arriver. Puis il y eut l’accident du CMA CGM-Otello et la compagnie dut se résoudre à trouver des solutions au problème, rappelait le cdt Florent Gansinhounde, représentant le transporteur. Le manque d’expérience à la mer de certains jeunes commandants et de ship planners, des logiciels de chargement facétieux et/ou mal utilisés, la pression commerciale exercée par les chefs de lignes et des twists locks automatiques d’une fiabilité perfectible ont amené la compagnie à reprendre ses procédures. Un fleet centre a été créé pour conseiller les commandants français comme étrangers lorsqu’ils ont un doute sur la décision à prendre, en cas de mauvaise météo par exemple. Cela dit, une note de la direction générale réaffirme l’autorité du commandant, soulignait Florent Gansinhounde afin d’éviter toute pression commerciale. Et de permettre au transporteur maritime d’évoquer la faute nautique pour échapper à sa responsabilité en cas d’accident, commentait un assureur. La CMA CGM participe également au projet européen MARIN (MAritime Research Industry Netherland). Ce programme cherche à déterminer les mouvements réels de plateformes des très grands porte-conteneurs afin d’éviter la survenance peu prévisible du roulis paramétrique. À cette fin, deux conteneurs contenant toutes sortes d’instruments de mesures (accéléromètres notamment) sont chargés en bout de navire.
Avant chaque « grande » traversée, une équipe de terre se charge de contrôler le saisissage. L’usage des twist locks automatiques a été interdit. Et la formation sur les logiciels de chargement des navires, renforcée.
L’étude de la position des navires MSC montre que lorsque les prévisions météo sont mauvaises sur le golfe de Gascogne, les porte-conteneurs restent soudainement à quai, à Sines et dans les ports nord européens, note une source qui préfère conserver l’anonymat. Tout semble se passer comme si MSC voulait maintenant éviter de mettre ses navires, affrétés inclus, en mauvaise position. Cette autolimitation rappelle l’idée jugée farfelue de Jean-Claude Gayssot, ministre des Transports, après le naufrage de l’Erika. Il était question d’interdire la sortie des navires en cas de forte tempête. Il est vraisemblable que l’étude de la position des navires de CMA CGM ou de Mærsk, conduise à la même constatation.
Approximations et effet de taille: accident garanti
L’effet cumulatif des approximations dans l’exploitation des navires lié à leur taille croissante constitue un véritable danger estimait Éric Donnay, ancien officier de marine marchande et fonctionnaire de la DG de l’Environnement en Belgique, chargée de la réponse opérationnelle en cas de pollution maritime. Approximation sur les poids comme l’a montré le rapport de la MAIB sur le MSC-Napoli.
Il n’y a pas de problème sur les poids déclarés en Nord-Europe, affirmait Jean-Marie Bassot, directeur chargé des opérations chez Terminaux de Normandie (TN): « par sondage, les poids sont justes à 2 ou 3 % près » mais les conteneurs transbordés en provenance d’arrières pays plus laxistes peuvent être majoritaires sur les navires sortant d’Europe du Nord. T N a déjà eu à débarquer un 20′ dry chargé à 38 t et un autre à 43 t Peser un conteneur à son arrivée sur terminal augmentera de 20 % le prix de la prestation au mouvement de TN, répondait Jean-Marie Bassot sans autre précision sur la valeur absolue.
Approximation sur les moyens de saisissage à bord: les porte-conteneurs se sont allongés et élargis et subissent des mouvements de torsion de plus en plus importants. Mais les points d’ancrage des barres de saisissage sont restés les mêmes, notait Jean-Marie Bassot. À la mer, le navire travaille ce qui entraîne du jeu dans le saisissage, comment le bord est-il censé reprendre ce jeu?
À force de rechercher la plus forte cadence de travail, 100 à 120 mouvements par heure et d’un poids moyen de 13 t., voire 200 mouvements à Khor Fakkan, le navire subit des contraintes à quai qui « échappent totalement à la raison », notait le manutentionnaire havrais. Cela rappelle les traitements subis par les vraquiers et dénoncés par le secrétaire de l’OMI il y a une douzaine d’années.
Pas de réponses pratiques
Tout cela ne règle pas le problème des « urgentistes » de la mer: puisque quelques conteneurs sont « condamnés » à tomber à l’eau, ils veulent pouvoir vite identifier, dans l’heure, ceux qui contiennent des marchandises classées dangereuses. Le numéro de la classe IMDG ne suffit pas, estimait Fanch Cabioc’h, chef du service Intervention du Cedre, « il nous faut la nature exacte du produit ». Demande également formulée par Kelvin Colcomb de la Maritime and Coastguard Agency britannique. Si avec les grandes compagnies maritimes, les urgentistes arrivent (ou devraient arriver) à trouver assez rapidement le bon contact, le problème reste entier avec les petits opérateurs ou les loueurs de conteneurs.
L’idée de peindre dans une couleur vive les conteneurs classés IMDG a été élégamment écartée par Alain-Michel de la Buharaye, représentant le Comité d’études et de services des assureurs maritimes et transports (Cesam): il est inutile d’indiquer à d’éventuels « terroristes » quel conteneur il convient de faire exploser. Cela dit, le repérage de conteneurs flottants ou coulés reste toujours largement problématique pour plusieurs raisons: approximation sur l’heure et l’endroit de la chute, la nuit; approximation sur la dérive; approximation sur le repérage puis l’identification du conteneur. À ce titre, l’idée d’exiger que tous les conteneurs soient peints en orange avec leur numéro d’identification peint avec une peinture fluorescente sur toute la surface du toit, ne semble pas complètement idiote. Elle parait suffisamment « low technology » pour être durablement efficace. Si le maintient à flot d’un conteneur est envisageable par temps clément, son repêchage reste problématique. S’il contient certains types de dangereux, le problème devient très délicat car les autorités portuaires ne sont pas enthousiastes. L’exigence des Douanes en matière de paiement des droits et taxes d’un conteneur « orphelin » débarqué avec peine agace un officier de la Marine nationale.
Autre question de Fanch Cabioc’h: que fait-on avec un conteneur contenant un produit très biotoxique? Un seul navire en Europe serait capable de le sortir de l’eau. Il est allemand. Et après?
La seule certitude partagée par une majorité de participants concerne l’impossibilité matérielle de porter assistance à un porte-conteneurs de 11 000 EVP: pas de remorqueur suffisamment puissant en Atlantique ou ailleurs; (probablement pas de système automatique de prise de remorque); en cas d’échouement, aucune grue capable de traiter toute la largeur de la pontée. Seule solution pour Alain-Michel de la Buharaye: utiliser un hélicoptère pour décharger la pontée. Solution immédiatement rejetée par un représentant du Centre d’expertises pratiques de lutte antipollution, entité spécialisée de la Marine nationale, car il n’existe aucun hélicoptère en France capable de lever une telle charge. En outre, faute de repère visuel, il est très difficile pour un pilote de rester en vol stationnaire au dessus d’un navire qui, de plus, présente une gîte importante.
Bref, il n’y plus qu’à demander aux chantiers navals coréens et au Germanischer Lloyd, grand laudateur des 11 000 EVP, de bien vouloir trouver une solution.
Nous reviendrons, prochainement, sur la proposition de Patrice Gilbert, d.g. du Cesam, de constituer une banque mondiale de données alimentée par toutes les parties prenantes (armées comprises) afin de savoir à tout moment où sont les marchandises et dans quel conteneur.
Une campagne d’essais à la mer
Dans le cadre du programme Lost Cont, une campagne d’essais de dérive de conteneur a été réalisée en mer d’Iroise, du 22 au 24 septembre, à partir du bâtiment Alcyon. Cette campagne avait pour objectif de valider les modèles de prévision de dérive et de tester en vraie grandeur un système de fixation de balises Argos. Un 20′ « instrumentalisé » a donc été largué à la sortie du goulet de Brest. « Il a dérivé à une vitesse d’1 à 1,5 nœud et les premières données ont confirmé que la boîte était sujette à 85 % aux courants et à 15 % aux vagues et au vent » explique Sébastien Tarquis, de l’Action de l’État en mer. Deux modèles de prévision de dérive sont disponibles: le Mothy de Météo France et celui du programme franco-norvégien Sar-Drift .
« Par grosse mer, il n’est pas aisé de fixer une balise sur un conteneur », note Xavier Kremer, du service Intervention du Cedre, il fallait donc imaginer un autre moyen. La seconde partie du programme d’essais avait aussi pour but de tester deux prototypes de chaînes de marquage largables d’hélicoptère pour assurer le suivi d’un ou de plusieurs conteneurs. Dotés d’un largueur hydrostatique, de flotteurs et d’une balise Argos, deux systèmes ont été clampés avec succès: un modèle français à aimantation permanente et un modèle espagnol à aimantation à la demande. À 600 € la balise, la Marine veut éviter de la perdre.