Ce dossier est un effet collatéral du naufrage de l’Erika. Il oppose la commune bretonne de Mesquer au « groupe » Total
– oui ou non, ce fioul lourd était-il un déchet selon le droit communautaire?
– le producteur, le vendeur ou l’affréteur doivent-ils ou non répondre de l’élimination de la pollution causée?
Le 13 mars dernier, Mme J. Kokott, avocat général présentait ses conclusions. La Cour les a partiellement suivies. Elle a cependant rejeté la curieuse idée selon laquelle le vendeur, le producteur ou l’affréteur pouvait limiter leur responsabilité en application de la convention de 1969-1992 sur la responsabilité civile du propriétaire du navire
Qui produit un déchet potentiel, en assume les risques
Ainsi dans son arrêt du 24 juin, la CJCE dit pour droit que:
– « […] du fioul lourd vendu en tant que combustible, ne constitue pas un déchet au sens de la directive 75/442 (…) dès lors qu’il est exploité ou commercialisé dans des conditions économiquement avantageuses et qu’il est susceptible d’être effectivement utilisé en tant que combustible sans nécessiter l’opération de transformation préalable.
– Des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d’un naufrage, se retrouvant mélangés à l’eau ainsi qu’à des sédiments et dérivant le long des côtes d’un État membre jusqu’à s’échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l’art. 1er de la directive 75/442 (…) dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d’être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable.
– (…) le juge national peut considérer le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant comme producteur desdits déchets (…) et ce faisant comme “détenteur antérieur” aux fins de l’application (…) de cette directive, si ce juge, au vu des éléments qui lui seul est à même d’apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire;
S’il s’avère que les coûts liés à l’élimination des déchets générés par un déversement accidentel d’hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par le Fipol » ou dépassent ses capacités contributives, et « (…) que le droit national empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l’affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme les “détenteurs”, un tel droit national devra alors permettre, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe de pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire ».
En d’autres termes, le « simple » producteur d’un produit qui s’est transformé en déchet, après s’être déversé en mer, ne pourrait être appelé en garantie, s’il est rigoureusement étranger au naufrage du navire. Pour minimiser les risques, qu’il vende FOB, pourrait-on lui conseiller.
Retour à l’envoyeur français
La CJCE laisse donc au juge français le soin de déterminer si le groupe Total, vendeur et affréteur, a bien contribué au risque de survenance de la pollution résultant de l’effondrement des structures du pétrolier.
La jurisprudence européenne vient donc ainsi de franchir une étape importante: tout groupe pétrolier, à la fois vendeur et affréteur, risque d’avoir à compléter le plafond du Fipol, surtout s’il représente une surface financière significative. Une solution semble apparaître en achetant « rendu cuve » et en vendant « ex-départ cuve ».
Encore un joli thème de réflexion pour la prochaine journée Ripert.
Pour être précis, étaient assignées Total Raffinage Distribution producteur et vendeur du fioul chargé par l’Erika, et Total International Ltd, supposé être l’affréteur du pétrolier. Le procès de l’année dernière montra que l’affréteur était en réalité Total Transport Corp. Dans tous les cas de figure, le “groupe” Total était, directement ou non, concerné.