Erika: une nouvelle brèche?

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À la suite du naufrage de l’Erika, la commune bretonne de Mesquer a assigné Total Raffinage Distribution (aujourd’hui Total France) et Total International Ltd en remboursement des frais engagés pour les opérations de nettoyage et de dépollution de son territoire. Total Raffinage Distribution était le producteur vendeur du fuel lourd litigieux. Et Total International Ltd, l’affréteur du navire. L’action de la commune de Mesquer reposait sur la loi de 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux. Sa réclamation avait été rejetée par l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 13 février 2002 au motif que si le produit litigieux était bien un résidu du processus de raffinage du pétrole, il n’était pas pour autant un déchet.

Un pourvoi a été formé à l’encontre de cette décision et, le 28 mars 2007, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) un certain nombre de questions préjudicielles sur l’interprétation des dispositions applicables. La CJCE a ainsi été interrogée sur les points de savoir:

• si le fuel lourd qui s’est déversé du pétrolier, était ou non un déchet au sens du droit communautaire;

• si les entreprises qui n’ont pas transporté elles-mêmes le fuel lourd mais qui l’ont néanmoins produit, vendu ou fait transporter, doivent ou non également répondre de l’élimination de la pollution causée. Cette question a été ainsi exprimée: « Le producteur du fuel lourd (Total Raffinage) et/ou le vendeur et affréteur (Total International Ltd) peuvent-ils être considérés, au sens des art. 1 b et c de la directive 2006/12/CE et pour l’application de l’art. 15 de la même directive, comme producteur et/ou détenteur du déchet alors qu’au moment de l’accident qui l’a transformé en déchet, le produit était transporté par un tiers? »

Le 7 septembre 2004, dans une affaire « Van de Walle » la CJCE avait déjà considéré que des hydrocarbures déversés de façon non intentionnelle et à l’origine d’une pollution des terres et des eaux souterraines devaient bien avoir la qualification de déchets. Cette décision avait été critiquée et aujourd’hui la question est posée de savoir si la CJCE va adopter pour l’affaire « commune de Mesquer » la même position.

Une marchandise en cuve mais un déchet dans l’eau

Le 13 mars dernier, Mme J. Kokott, avocat général, a présenté ses conclusions. Elle commence par considérer que le fuel lourd, dès lors qu’il est « un produit issu d’un processus de raffinage, répondant aux spécifications de l’utilisateur, destiné par le producteur à être vendu en qualité de combustible et mentionné dans la directive 68/414 relative aux ressources stratégiques assorties d’une obligation de stockage, ne peut pas être qualifié, en tant que tel, de déchet au sens de l’article 1er de la directive cadre relative aux déchets ». Mais elle poursuit en considérant que la jurisprudence « Van de Walle », malgré les critiques dont elle a été l’objet, doit être maintenue par la Cour à qui il est suggéré de répondre que « le fuel lourd doit être qualifié de déchet… lorsqu’il s’écoule d’un pétrolier accidenté et se mélange à l’eau et à des sédiments ».

En outre, Mme Kokott estime que le producteur, le vendeur et l’affréteur peuvent se voir imposer les coûts de l’élimination de tels déchets « dans la mesure où on peut leur imputer une contribution propre dans la chaîne de causalité qui a entraîné le déversement du fuel lourd ».

Mais, enfin et surtout, elle précise: « Toutefois, il est également conforme à cette disposition (art. 15 de la directive) de limiter la responsabilité du producteur du fuel lourd et/ou du vendeur et affréteur, conformément à la Convention sur la responsabilité et à la Convention Fipol. »

L’affréteur est protégé

Il faut désormais attendre que la Cour de justice rende sa décision, laquelle n’interviendra pas avant plusieurs mois. Si la Cour devait suivre littéralement les conclusions de l’Avocat général Kokott, on serait alors en droit de s’interroger sur la réelle portée juridique d’un tel avis et sur les condamnations susceptibles ensuite d’être prononcées par la Cour d’appel devant laquelle la Cour de cassation pourrait renvoyer l’affaire après avoir cassé la décision de la Cour de Rennes. En effet, ni Total Raffinage Distribution, producteur du fuel, ni Total Intl Ltd, l’affréteur, n’ont a priori vocation à « limiter leur responsabilité » en application des conventions visées par l’Avocat général.

En effet la Convention de 1969-1992, sur la responsabilité civile (CLC – Civil Liability Convention) « canalise » la responsabilité du dommage par pollution sur le propriétaire du navire à qui elle permet également de limiter ladite responsabilité sous certaines réserves. Avec le protocole de 1992, elle accorde une véritable « immunité » à l’armateur non propriétaire, à l’affréteur, au pilote, à l’assistant, ainsi qu’à leurs préposés. Dans ces conditions, on voit mal comment une condamnation, même « limitée » pourrait intervenir à l’encontre de l’affréteur Total International Ltd, solution déjà adoptée par le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 16 janvier 2008.

Des interrogations subsistent

Quid par contre de la situation de Total Raffinage Distribution? Pourquoi Mme Kokott fait-elle allusion à la possibilité pour lui de « limiter sa responsabilité » si, ni la CLC, ni même encore la Convention de 1971 sur le Fipol ne le concernent? Peut-il être condamné sur la base des dispositions du Code de l’Environnement (art. L 541-1 et suivants) compte tenu de l’ambiguïté des réponses apportées aux questions préjudicielles? Est-il susceptible d’encourir une entière responsabilité sur la base des art. 1382, 1383 et 1384 du Code civil?

En réalité, nous resterons peut-être sur notre faim (juridique) puisque la commune de Mesquer a obtenu du Tribunal correctionnel de Paris 500 000 € en réparation de l’atteinte portée à sa réputation et à son image de marque et que ce jugement nous apprend qu’après l’indemnisation versée par le Fipol, son préjudice résiduel ne serait plus que de 67 181,78 €. Il est probable qu’elle ne donnera donc pas suite à sa réclamation initiale.

Dans la procédure pénale, c’est la société Total Transport Corporation, TTC, qui était considérée comme l’affréteur de l’Erika.

CA Rennes, le 13 février 2002, no 00/080206

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