En 1883, MM. Holman, Fenwick et Willan fondent le cabinet juridique éponyme (HF & W) à Londres, spécialisé dans toutes les activités maritimes. Le premier des fondateurs était "marqué" par le destin; sa famille a participé à la mise sur pied de deux P & I Clubs: le West of England et le Shipowners. Pour répondre aux demandes de sa clientèle, notamment de la CGM, le cabinet ouvre donc en 1977 un bureau de "solicitors", place Vendôme (forcément) en confiant les plaidoiries à des avocats français. En effet jusqu’en 1993, seuls les avocats français, dûment inscrits au barreau, pouvaient plaider. En outre, il leur était interdit de s’associer avec des « étrangers » mais non pas de travailler pour ces derniers. C’est ainsi que de collaborateur extérieur de HF & W France, chacun de son côté, Mes Brajeux et Ollu deviennent associés de l’unique structure de partnership qui contrôle tous les bureaux HF & W dans le monde. Leur idée était simple, se souviennent-ils et peut se résumer ainsi: pour qui veut faire du droit maritime, son activité principale, l’association avec un cabinet britannique est indispensable compte tenu de l’importance de la place de Londres et de l’influence de la common law qui en résulte.
Ces "traîtres" sont à l’origine d’un certain émoi dans le milieu fort policé du droit maritime français, se souvient Guillaume Brajeux. "En effet, on nous accusait d’organiser la fuite des affaires vers les tribunaux britanniques. Or c’est exactement le contraire qui s’est produit. Nous avons ramené en France des dossiers. Pas très malins, peut-être, mais pas au point de nous tirer une balle dans le pied. Et la suite a confirmé ce fait avec l’installation en France, du cabinet Clyde puis de celui de Ince".
DANS TOUS LES BONS COUPS, OU PRESQUE
Les cabinets britanniques ou non, présents dans le monde entier, y compris en France, sont donc comme les tablettes de lave-vaisselle: "tout en un", résume-t-on audacieusement, rue d’Anjou où est installé HF & W Paris depuis 2005. "Nous étions un cabinet anglais installé à Paris. Nous sommes devenus un cabinet anglo-français. Aujourd’hui, nous serions plutôt un cabinet franco-britannique", résume Guillaume Brajeux. Ce type de structure permet également d’assurer l’avenir, car elle retient plus facilement les meilleurs jeunes professionnels. Leur "cœur" balance facilement entre les cabinets d’avocats, les banques spécialisées et les grandes entreprises. Elle permet également de mutualiser les moyens. Ainsi, le bureau de Londres comprend-il une dizaine de juristes, tous anciens officiers au commerce, susceptibles d’être mobilisés dans le monde entier en quelques heures en cas d’accident maritime grave.
En trente ans, HF & W France a été dans presque tous les "bons coups" qui ont marqué la jurisprudence ou, plus accessoirement, l’opinion publique: le pétrolier Heidberg qui s’offre l’appontement de la raffinerie Shell en Gironde au début des années 90; le Tricolor abordé en Manche par un navire du groupe Delmas; l’Ievoli-Sun et son styrène; la BAI, l’un des plus importants créanciers privés au titre de l’accident de l’Erika; le chimiquier Ece abordé en janvier 2006, à 50 miles de Cherbourg (le Cedre a publié en décembre 2006, sept pages sur les circonstances du naufrage et le traitement des 10 000 t. d’acide phosphorique qui constituaient la cargaison); et last but not least, le Rokia-Delmas qui attend toujours sur son haut-fond de savoir comment pourra bien être traitée l’amiante qu’il contient (1).
En matière de défense des "pollueurs volontaires", HF & W France s’est également fait une solide réputation: relaxe complète du commandant de l’Atlantic-Hero accusé de déversement volontaire le long des côtes françaises Atlantique; recours devant la Cour des droits de l’homme pour violation des droits de la défense dans l’affaire du CMA-CGM-Voltaire, navire allemand, accusé lui aussi de déversement volontaire.
Plus discret, tout le montage juridique du système de transport particulièrement sophistiqué des pièces de l’A380 a été réalisé par Timothy Clemens-Jones, l’un des 9 associés de HF & W France, depuis 1988.
DES ACCORDS DE MALAGA AUX MÉGA YACHTS DE "GRAND GRAND" LUXE
HF & W France ne réserve pas ses vastes capacités d’expertises à ses seuls clients. Il fait également œuvre de pédagogie. C’est ainsi que Me Jean-Jacques Ollu signa un article de trois pages soulignant le caractère très largement perfectible du fondement juridique des accords verbaux franco-espagnols dits de Malaga (2).
Prenant exemple sur le bureau de Londres, Me Ollu se passionne depuis trois ans pour les yachts de très haute plaisance. En effet, après le jet privé, le 2e signe extérieur de richesse pour quelques happy few dans le monde, est le yacht, principalement, à moteur. Très actif depuis peu, ce marché de niche est organisé en deux segments: les coques de plus de 30 m pour plus de 10 M$ et celles des méga yachts de plus de 70 m. Face à une clientèle très exigeante, mais prête à payer le service, l’avocat fait tout ou presque: négociations avec le chantier; financement habile; immatriculation intelligente; recrutement de l’équipage de conduite et du personnel hôtelier, mais pas d’une autre catégorie, souligne Me Ollu, plein d’éthique et de raison; assurance du navire et de ses passagers, ce qui n’est pas nécessairement simple lorsqu’il y a un hélicoptère à bord; voir négociation avec un yacht club prestigieux (forcément) pour qu’il accepte un nouveau membre.
Si les honoraires sont à la hauteur du temps passé, décalage horaire ou non, de la discrétion absolue exigée et des efforts fournis, avocats ou banquiers, entre autres, doivent cependant se montrer particulièrement attentifs à l’origine des fonds servant au cofinancement du yacht. En effet, la réglementation européenne en matière de blanchiment d’argent douteux est particulièrement exigeante et peut facilement conduire une radiation du barreau en cas de négligence grave. Mais la fréquentation des très grandes fortunes permet de poser un autre regard sur la nature humaine.
1) D’autres attendent également que le BEAmer français veuille bien rendre son rapport de retour d’expérience; l’échouement s’étant produit le 24/10/2006. Encore un axe de progrès possible pour Dominique Bussereau.
2) Après le naufrage de l’Erika et surtout de celui du Prestige, lors du sommet de Malaga du 26 novembre 2002, Jacques Chirac, président de la République française et José Maria Aznar, chef du gouvernement espagnol, décidèrent de se réserver la possibilité d’interdire le transit dans leur ZEE respective, aux pétroliers à simple coque, de plus de 15 ans, transportant du fuel, du goudron ou du bitume si ces derniers présentaient un danger. Ces "accords" illustrent le fait que dans le cas d’espèce, la légitimité l’emporte sur la légalité: en effet, à notre connaissance, aucune association armatoriale mondiale (Intertanko ou le Bimco) n’a porté plainte contre la France ou l’Espagne.
Holman, Fenwick & Willan dans le monde
S’il a fallu 94 ans pour que le bureau d’avocats britanniques, HF & W traverse la Manche, depuis, son expansion s’est considérablement accélérée: 1977, Paris; 1978, Hong-Kong; 1990, Singapour; 1993, Le Pirée; 1999, Shanghai; 2006, Dubaï et Melbourne. Au total, le partnership compte environ 526 personnes dont 250 avocats ou solicitors; 102 étant associés. Environ 170 avocats travaillent à Londres.
Avec ses 50 personnes dont 25 avocats (9 étant associés), HF & W France (Paris et Rouen) a réalisé en fin avril dernier, un chiffre d’affaires de 9 M€ et espère bien passer à 10 M€, durant l’exercice en cours. Le maritime (le navire; le transport de ligne et l’affrètement; l’assurance corps, faculté; etc.) représente 80 % du chiffre d’affaires. 20 % de ce dernier a pour origine des dossiers “franco-français”.
M.N.