À l’occasion de la publication de son rapport annuel 2006, le TT Club, spécialisé dans l’assurance transport, a rappelé que le plus gros sinistre de l’année est d’origine humaine. Il s’agit de l’explosion et de l’incendie de la portée arrière du Hyundai-Fortune (5 550 EVP; 68 363 tpl; 1996) dans le golfe d’Aden, le 21 mars. Plus de 500 conteneurs ont été détruits. Le coût du sinistre peut être estimé à plus de 100 M$. Sa(ses) cause(s) reste(nt) à déterminer.
Quelques jours plus tard, s’exprimant lors d’une conférence intitulée "non déclaration de dangereux: causes et conséquences", Peregrine Storrs-Fox, le directeur du TT Club chargé de la gestion du risque, a exprimé la vive inquiétude des assureurs concernant l’absence ou la fausse déclaration de marchandises dangereuses, dans un contexte de croissance continue de la taille des porte-conteneurs. Avec des 13 000 EVP, une forte explosion d’une partie de la cargaison risque de conduire à un sinistre d’une ampleur inégalée.
Jouer le calcul de probabilité contre ce type d’accident constitue une erreur, poursuit Peregrine Storrs-Fox qui rappelle qu’entre 1998 et 2006, il y eu 16 "gros" sinistres de porte-conteneurs, soit en moyenne, deux par an.
Les évènements de mer liés aux marchandises dangereuses constituent un problème de plus en plus sérieux, souligne le représentant du TT Club qui invite tous les agents économiques (1) de la chaîne logistique à unir leurs efforts afin de réduire le nombre d’infractions au Code maritime international des marchandises dangereuses (IMDG).
5 % À 10 % DE CLASSÉS IMDG
Selon Peregrine Storrs-Fox, les marchandises déclarées comme relevant du code IMDG représentent entre 5 et 10 % du volume conteneurisé transporté dans le monde. Le consultant britannique Drewry estimant le volume mondial à 127,8 MEVP (+ 10 % par rapport à 2005), il faut en déduire que les marchandises déclarées comme étant IMDG représentent entre 6,4 et 13 MEVP.
Un sondage limité réalisé pour l’OMI durant les dernières dix années a montré qu’environ 30 % des déclarations de dangereux étaient"perfectibles". Cependant, avant cette étude, l’OMI estimait que plus de 95 % des marchandises dangereuses étaient transportées dans le plein respect de la réglementation. Sur cette estimation, Peregrine Storrs-Fox en conclut que le nombre de conteneurs non déclarés pourrait dépasser le demi-million d’EVP.
Sachant que la capacité des plus gros porte-conteneurs actuels est le double de celle du Hyundai-Fortune, une perte totale d’un navire de 14 500 EVP coûterait aux assureurs plus de 2,1 Md$ selon les calculs de la compagnie allemande de réassurance Munich Re.
L’IGNORANCE N’EST PAS UNE DÉFENSE
Une infraction au code IMDG peut être soit délibérée ou non, estime Peregrine Storrs-Fox. Dans le second cas, cette négligence peut être imputée au manque d’expérience et/ou de formation; au surcroît de travail; à la complexité des réglementations applicables à chaque mode de transport ou au manque de contrôle effectif du respect des normes. "Chaque maillon de la chaîne de transport doit pouvoir compter sur les autres", souligne le directeur du TT Club. Il ajoute que sur les 166 États membres de l’OMI, 5 en moyenne par an déclarent réaliser des inspections systématiques. Et l’échouement du MSC-Napoli devrait fournir une excellente occasion de vérifier les poids déclarés des marchandises ainsi que la vraie nature de ces dernières.
Plus préoccupantes sont les raisons qui conduisent au non-respect volontaire du code. Parmi celles-ci, figurent le désir de réduire les coûts ou la prime d’assurance; d’éviter la surcharge "dangereux"; le manque de culture relatif à la sécurité; le besoin d’expédier une marchandise que certains transporteurs refusent de charger. "L’ignorance n’est pas une défense, mais elle semble moins condamnable que l’action délibérée", juge l’assureur.
LA PEUR DU GENDARME MARCHE TOUJOURS
Pour réduire le nombre des mauvaises pratiques, Peregrine Storrs-Fox suggère que chaque opérateur de la chaîne de transport connaisse bien son client et le secteur d’activité de ce dernier afin de déterminer s’il est susceptible d’expédier des marchandises classées.
Probabement plus efficace, il recommande, si les États d’immatriculation étaient dans l’incapacité – volontaire ou non – de conduire des inspections systématiques des cargaisons, que les armateurs, les opérateurs de terminaux et les commissionnaires de transport organisent ces contrôles. Cela risque de prendre un certain temps.
"Tous les contrats de transport autorisent le transporteur à vérifier la nature de la cargaison et à rectifier la tarification en conséquence" rappelle le représentant du TT Club. "Il y a des années, les consortia conteneurisés avaient l’habitude de vérifier environ 10 % des chargements. De simples vérifications aléatoires susceptibles de conduire à des pénalités financières pourraient être efficaces, car ce qui est contrôlé tend à être conforme" (voir encadré).
D’autres actions à plus long terme peuvent être envisagées pour réduire le nombre de non – ou de sous-déclarations. Par exemple, l’harmonisation des réglementations de tous les modes de transport; la disparition des incitations à la transgression par l’annulation de la surcharge "dangereux"; et le plus important, la poursuite encore et toujours des efforts d’information et de formation. Ainsi le TT Club participe-t-il au soutien que les assureurs apportent à la proposition du gouvernement britannique. Ce dernier propose de mettre en place des centres de formation au transport maritime des marchandises classées IMDG; les armateurs de ligne étant invités à inciter les États d’immatriculation à soutenir cette proposition à l’OMI.
Or sur les 166 Etats membres de l’OMI, fort peu semblent s’intéresser à ce dossier, constate le représentant du TT Club.
1) Le représentant du TT Club reste vague: les chargeurs directs et les commissionnaires de transport ne sont pas évoqués.
Une prochaine liste noire des contrevenants?
Le ménorandum de Paris sur le contrôle par l’État du port diffuse la liste nominative des navires détenus à quai ainsi que celle des navires bannis. La Commission européenne diffuse la liste noire des compagnies aériennes interdites dans l’UE. Pourquoi ne pas diffuser le nom du chargeur et/ou du commissionnaire qui n’ont pas, ou mal, déclaré le contenu d’un conteneur, ainsi que, pour faire bonne mesure, le poids de la marchandise. Il paraît déraisonnable de compter sur une compagnie maritime, voire sur une autorité portuaire, pour assurer le contrôle IMDG compte tenu des relations commerciales des uns et des autres. L’Agence européenne de la sécurité maritime pourrait, semble-t-il, utilement se saisir du dossier avant qu’il n’explose dans un port ou au milieu de la Manche.
M.N.