Le Cluster Maritime Français a publié la liste de ses 15 questions (voir JMM no 4544 du 19 janvier 2007, p. 6) dès le mois de janvier. Ces questions ont été envoyées à chaque QG de campagne des candidats annoncés de l’époque. Lors du colloque du 3 avril, Francis Vallat a présenté les réponses de Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP, François Bayrou, candidat de l’UDF et Ségolène Royal, candidate du PS. Les autres candidats n’ont pas souhaité se prononcer sur ces points. Nous avons fait le choix de ne reprendre que les questions qui touchent de près la marine marchande et la politique portuaire, et de les présenter dans le même ordre que celui du CMF. Avant la présentation du président de l’Institut français de la mer, Xavier de la Gorce, secrétaire général de la mer, a présenté l’ambition maritime de la France en rappelant que "la mer constitue une formidable promesse pour l’avenir".
Action de l’État en mer: le soutien du modèle français.
Nicolas Sarkozy reconnaît l’efficacité du modèle français. "Faire de ce modèle un standard européen serait prétentieux", déclare le candidat de l’UMP. Anticipant la question d’un système de gardes-côtes européens comme celui dont disposent les États-Unis, il est très clair: "La réponse ne peut être que négative."
D’après François Bayrou, l’action de l’État en mer "est, je le crois, un bon modèle. […] En revanche, il n’est pas achevé." Le candidat de l’UDF propose de renforcer la coordination et la coopération de moyens entre les différentes administrations qui interviennent en mer. Il souligne enfin, l’intérêt de faire des économies d’échelle par la promotion d’une plus grande intégration de l’achat.
Ségolène Royal considère que le modèle français est efficace. Il paraît cependant difficilement transposable. "La notion de coordination qui sous-tend ce modèle doit être diffusée et l’Union européenne est le cadre le plus approprié pour ces questions." Elle se montre favorable à un réseau de points de contact au sein des États membres.
Sécurité maritime: Pensez-vous relancer l’idée de doter l’Europe de deux ou trois navires dépollueurs?
Selon Nicolas Sarkozy "la question des gros navires dépollueurs mérite une réflexion approfondie". Ces navires, rappelle le candidat de l’UMP, interviennent sur des pollutions en pleine mer. Dans le cas d’échouement, ils se révéleraient inutiles, continue Nicolas Sarkozy. Il reste, selon lui, le problème des dégazages ou déballastages sauvages qui font l’objet de peines sévères: "Nous devons faire pression sur les autres États européens pour qu’ils agissent avec la même fermeté."
François Bayrou reconnaît que des efforts importants ont été entrepris au niveau européen. Il se montre "favorable au développement des matériels capables de dépolluer un site avant que les dégâts ne soient trop importants". Il se déclare favorable à la création d’un "corps de gardes-côtes européen", et propose également un système de sanctions dissuasif avec, notamment, la confirmation de la création de tribunaux du littoral.
Ségolène Royal replace le débat. Elle ne considère pas cette question sur la sécurité maritime comme centrale. Les mesures prises ces dernières années "commencent à porter leurs fruits mais il reste beaucoup à faire". Elle souhaite que le paquet Erika 3 soit rapidement adopté. La question principale est "la clarification des responsabilités de tous les maillons de la chaîne du transport maritime". Elle pense qu’"on ne progressera réellement en matière de sécurité maritime que si les propriétaires des cargaisons sont tenus pour responsables du choix de leur armateur, de leur navire, de l’équipage et qu’ils ont une juste conscience des indemnisations à prévoir en cas de sinistre.
Rif (Registre international français): quelles mesures prendre pour favoriser le développement de ce registre?
Ségolène Royal rappelle qu’elle n’était pas favorable au Rif. Elle souhaite mettre un terme à une concurrence "qui se fait uniquement sur les coûts au prix d’une exploitation souvent scandaleuse des marins et de risques sur le plan de la sécurité". Le pavillon doit refléter la qualité du triptyque entre armateur, navire et équipage, notamment au niveau social. La candidate du PS propose que sur les trafics intra-européens, un pavillon européen, garant de la qualité soit créé. Au niveau mondial, elle assure qu’elle "s’emploiera à défendre dans les instances internationales cette exigence de qualité". La ratification de la convention du travail maritime de 2006 de l’OIT doit servir de base. "Ce texte n’est pas la panacée mais il définit les droits des gens de mer à un travail décent."
Nicolas Sarkozy préfère attendre le retour d’expérience avant de faire des ajustements à ce pavillon. Il souligne les efforts faits récemment en faveur des armements "et qui vont dans le bon sens", comme la taxe au tonnage, le remboursement des charges sociales et la consolidation du GIE Fiscal devant la Commission européenne. Passé ce constat, il souhaite l’amélioration de la sécurité maritime. "Je pense que nous devrions étudier la possibilité de mettre en place le certificat de conduite de navire sûr, inspiré des pays scandinaves." Selon le candidat de l’UMP, cette prérogative sur le pavillon ne doit pas se limiter à la métropole, mais s’étendre aux ports d’outre-mer. "Je m’engage à les accompagner dans leurs projets de développement."
François Bayrou soutient le "dynamisme de notre flotte de commerce". Les réformes entreprises ces dernières années doivent conforter le maintien de la flotte et l’emploi maritime de qualité. Il regrette les incertitudes qui pèsent sur le GIE Fiscal. Selon lui, elles pèsent sur la réforme du pavillon entreprise en 2005. Ces incertitudes ont Bruxelles pour origine. Le candidat de l’UDF souhaite "saisir l’opportunité de la future politique maritime UE, édictée dans le Livre vert, pour obtenir des aménagements des règles actuelles permettant de défendre les particularités du secteur maritime".
Enim: doit-on envisager une réforme de ce système?
Nicolas Sarkozy y porte une grande attention. Le déséquilibre démographique implique forcément "un subventionnement public inévitable". Le plan de modernisation de l’Enim doit être poursuivi "car tout le monde a à y gagner". Opposé aux régimes spéciaux, il souhaite que "les spécificités du régime de l’Enim soient conservées chaque fois qu’elles sont justifiées".
François Bayrou marque son attachement à ce régime particulier de sécurité social: "Le métier de marin pêcheur n’est pas un métier comme les autres, par les risques encourus à bord comme par la pénibilité particulière. Ceci ne doit jamais être perdu de vue dans la recherche nécessaire de l’équilibre." Et si le candidat de l’UDF souhaite une unicité des régimes de retraite, il faut avoir "l’équité de prendre en compte les engagements pris au moment de la signature du contrat de travail à l’égard des salariés”.
Ségolène Royal reconnaît qu’il faut moderniser le système, mais avec l’ensemble des partenaires. "Construit au cours des années pour pallier la pénibilité et les risques particuliers du travail en mer, les marins y sont légitimement attachés." Elle refuse de mettre en cause ce régime.
Construction navale: la profession attend un acte fort de reconnaissance publique. Êtes-vous prêts à le faire?
Ségolène Royal est toute disposée à faire ce geste. "Il n’existe pas de politique maritime digne de ce nom qui n’intègre pas cette composante forte que sont la construction et la réparation navales. Je serai très vigilante sur ce point."
Nicolas Sarkozy considère ce secteur comme un "fleuron national". Ce secteur est majeur pour notre économie. S’il vit sans subventions, "des concours sont nécessaire pour soutenir la R&D".
François Bayrou fait confiance "au dynamisme de ces secteurs et à leur compétitivité reconnue pour conforter les positions qu’ils ont su acquérir ou défendre". Situé au sixième rang mondial, la construction et la réparation navale françaises ont su acquérir une renommée internationale.
Ports: comptez-vous développer une capacité portuaire pour concurrencer les grands hubs portuaires européens?
Nicolas Sarkozy se dit déçu de la performance portuaire française. Ce secteur n’a pas su prendre le virage de l’ouverture des frontières et profiter de l’essor des échanges maritimes. Quant à créer un hub, la chance de Marseille "a été gaspillée en 1997 lorsque le gouvernement Jospin a condamné le canal Rhin-Rhône". L’idée de créer un hub en Manche ou en Atlantique, "sur le modèle d’Algésiras?", doit d’abord faire l’objet d’une étude de faisabilité, "par exemple sur les sites de Brest ou Cherbourg".
François Bayrou voit dans le système portuaire un secteur indispensable au bon fonctionnement de l’économie. "En revanche, il est vrai que les ports français doivent continuer à se moderniser et à s’adapter." Il propose une plus grande spécialisation des ports récemment confiés aux collectivités locales, selon leur hinterland. "À côté des ports généralistes doivent exister des ports spécialisés bien reliés à leur territoire."
Ségolène Royal ne pose pas le problème dans les mêmes termes. La saturation du trafic en Manche atteint un niveau tel qu’il est "devenu impératif de rechercher une ou plusieurs solutions alternatives d’éclatement sur la côte atlantique. Ce chantier doit être ouvert". Elle rappelle que seul un gouvernement de "gauche plurielle" a su "engager les réformes structurelles qui n’ont pas pu aller à leur terme".
Autoroute de la mer: quelles initiatives à prendre pour développer ce concept?
François Bayrou veut encourager les initiatives dans ce sens. Pour qu’elles réussissent, des conditions favorables doivent être créées dans les ports, "c’est-à-dire permettre un déchargement rapide des navires dans les ports et un chargement efficace des marchandises". Or, le candidat de l’UDF constate qu’un seul projet, Toulon-Civitavecchia, a vu le jour. "Il est urgent de se donner les moyens de mettre en œuvre ce concept."
"Nous nous devons de l’encourager et de favoriser les échanges intermodaux à l’échelle européenne", déclare Ségolène Royal. Et la candidate du PS est favorable à un "préfinancement public" de ces autoroutes de la mer. Cet argent public doit servir de catalyseur mais suppose aussi une analyse en amont, notamment sur les potentialités du marché.
Nicolas Sarkozy adopte une vision européenne de ce concept. "Il faut que nos partenaires organisent les liaisons maritimes adéquates. Or nos voisins n’ont que peu d’intérêt au développement de cette solution, coûteuse en investissements maritimes." Seule une politique européenne déterminée permettra d’arbitrer entre les intérêts des États membres. La France doit poser les termes de ce combat, selon le candidat de l’UMP. "Je m’engage à le faire."