Le consultant britannique Transport Intelligence a réalisé début 2007 une étude sur les caractéristiques de la logistique de forces armées en Europe, notamment en France, Allemagne et Grande-Bretagne.
SPÉCIFICITÉS
Les services logistiques des forces terrestres, aériennes et navales ont connu une profonde évolution depuis la fin de la guerre froide. Outre l’approvisionnement et le transport de l’alimentation, du carburant, des pièces détachées et des munitions, il s’agit aujourd’hui d’acheminer de la "capacité militaire". La logistique de défense fait appel à des transitaires, des entreprises de transports routier et ferroviaire, ainsi que des opérateurs aériens et maritimes. Cette logistique est une activité importante, mais exercée en toute discrétion, car les marchandises à transporter se trouvent dans des enceintes protégées.
Les effectifs et le nombre de moyens aériens et navals mis en œuvre ont diminué par suite de l’emploi accru de senseurs et d’ordinateurs sur les armements, connectés les uns aux autres et devenus des "systèmes d’armes".
Les grands industriels de défense, que Transport Intelligence appelle "intégrateurs de systèmes", sont donc de plus en plus impliqués dans la logistique après-vente, afin que leurs matériels arrivent à temps et fonctionnent dans un environnement climatique extrême et un contexte hostile. Parallèlement, les ministères européens de Défense ont plus ou moins modifié leurs services logistiques, en ont externalisé certains ou ont mis en œuvre des méthodes commerciales. Les choix des dépenses en matière de défense sont de nature essentiellement politique. De plus, l’extrême complexité des systèmes d’armes exige une capacité intégrée de services de soutien. Celles en logistique seront accrues par l’éloignement du théâtre d’opérations militaires extérieures. De plus, les pays disposant de moyens aériens et navals très sophistiqués financeront leurs services logistiques différemment de ceux dont les armées de conscription favorisent les unités terrestres. Une autre donnée entre en jeu: les États-Unis! Leur budget militaire étant le double de ceux de tous les pays européens combinés, ils arrivent en tête pour la variété et la sophistication des systèmes d’armes qu’ils peuvent proposer à des prix abordables aux pays européens. En conséquence, les intégrateurs de systèmes américains sont plus présents en Europe et proposent leurs services logistiques dans le cadre de co-entreprises avec des industriels de défense locaux.
DIFFÉRENCES NATIONALES
Les pays européens membres de l’Otan ont dépensé 3,487 Md€ en 2005 pour leurs logistique de défense. Les trois principaux, à savoir la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, procèdent différemment, selon Transport Intelligence.
La France a dépensé 767 M€ pour la logistique sur un total de 54 Md€, dont 11,5 Md€ pour l’armement. Elle participe aux opérations antiterroristes de l’OTAN en Afghanistan et déploie des troupes sur divers théâtres, mais surtout dans ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest. Son approvisionnement en armement auprès de constructeurs nationaux se répercute sur sa logistique de défense. La Délégation générale pour l’armement, notamment responsable de l’entretien du matériel aéronautique, prend en compte la logistique dès la conception de systèmes d’armes complexes. De son côté, le chef d’état-major des Armées est responsable de la planification de la logistique. Le Service des essences gère une vaste infrastructure géographique (sites et camions) pour alimenter les armées de Terre et de l’Air ainsi que la Marine. Toutes trois disposent de leurs propres capacités logistiques (entreposage et transport) mises en œuvre par du personnel militaire. Toutefois, le ministère de la Défense recourt occasionnellement aux prestataires civils de service logistiques, notamment aériens et maritimes. Ainsi, l’équipementier privé de sécurité et de défense Thalès s’est associé au logisticien Geodis pour créer Thales Geodis Freight & Logistics. Cette tendance à l’externalisation devrait se poursuivre avec le programme commun de porte-avions CVF (Grande-Bretagne)/PA2 (France).
L’Allemagne a dépensé 660 M€ pour la logistique sur un total de 38 Md€, dont 5,7 Md€ pour l’armement. Contrairement à la France et au Royaume-Uni, elle maintient le service militaire. En conséquence ses forces terrestres sont nombreuses et son armée de l’Air et sa Marine limitées. L’Allemagne, l’un des plus grands pays contributeurs aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, participe à celle en Afghanistan. Sa logistique de défense porte donc plus sur les produits destinés à des effectifs nombreux et à l’entretien des véhicules terrestres. Un programme de privatisation des services logistiques est en cours. Ainsi, le grand centre de transbordement routier Zebel à Kassel est exploité en propre par Schenker Deutschland et l’entretien des véhicules confié à des entités militaires et des sociétés civiles. Le ministère de la Défense adopte de plus en plus les méthodes civiles en matière de logistique, notamment l’emploi accru de la technologie de l’information.
La Grande-Bretagne a dépensé 697 M€ pour la logistique sur un total de 41 Md€, dont 13,5 Md€ pour l’armement. La plupart des ses grands systèmes d’armes sont fabriqués par des compagnies américaines ou des co-entreprises avec des sociétés d’outre-atlantique. La Grande-Bretagne met l’accent sur la projection de forces et accorde donc la priorité à ses moyens aériens et navals, très sophistiqués et demandant peu de personnel pour leur mise en œuvre. Les besoins logistiques sont assurés par les intégrateurs de systèmes, cités plus haut et le ministère de la Défense. En 2000, ce dernier a mis sur pied l’Agence d’entreposage et de distribution pour la défense, dont l’objectif est de réduire de 650 M€ les dépenses de logistique en dix ans. Cela implique la fermeture de plusieurs grands sites et une réduction de 40 % du personnel affectés à la logistique. Pour leur entraînement au Canada, les unités blindées sont souvent acheminées par des rouliers de Wallenius/Wilhelmsen Logistics. De même des sociétés privées prennent en charge le prépositionnement de troupes britanniques en Allemagne, aux îles Falklands, à Chypre et au Moyen-Orient.
LES DÉRIVES DE L’URGENCE
Une opération militaire extérieure d’urgence nécessite une logistique adaptée. Selon Transport Intelligence, celle-ci présente les caractéristiques suivantes: gros volumes sous court préavis, acceptation de tarifs élevés, concentration de moyens sur une route, pas ou peu de chargements au retour, remplissages complets des avions cargos et navires. Lors de l’opération irakienne en mars 2003, le ministère britannique de la Défense s’est déclaré satisfait des prestations de DHL, Fed Ex et Eagle Global Logistics. Toutefois, les intégrateurs de systèmes d’armes ont refusé d’envoyer leurs personnels dans les zones à risques. Les forces américano-britanniques ont eu recours à 1 500 personnels civils, 670 voyages aériens et 62 déplacements maritimes. La Grande-Bretagne a affrété 50 navires pour acheminer 95 % des équipements de ses troupes pour 70 M£ (102,77 M€). Parmi eux, cinq seulement étaient immatriculés au Royaume-Uni. Le taux de fret journalier unitaire était de l’ordre de de 30 000 £ (44 044 €), contre 10 000 £ (14 681 €) en temps ordinaire. Enfin, de nombreux navires présentaient des conditions de sécurité… qualifiées d’"effroyables" par les utilisateurs!