Brittany Ferries a perdu son timonier

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Le monde maritime en général, et le domaine du transmanche en particulier, sont en deuil. Fondateur et président de Brittany Ferries jusqu’à son dernier souffle, Alexis Gourvennec s’est éteint lundi dernier à l’âge de 71 ans, vaincu par une longue maladie. La disparition d’un visionnaire qui, jusqu’au bout, a tout fait pour que lui survive l’armement qu’il a créé de toutes pièces et pour lequel il s’est tant battu.

Propulsé sur le devant de la scène au début des années soixante, le jeune Alexis Gourvennec – fils et petit-fils d’ouvrier agricole comme il aimait à le rappeler – a très vite trusté de nombreux postes de président de sociétés, de groupements, d’associations… qui l’ont propulsé au rang d’incontournable leader économique du nord-Finistère. Visionnaire, imaginatif, fonceur, têtu, ce tribun râblé aux allures de bulldozer a toujours gardé la terre de son pays léonard à ses semelles. Un attachement viscéral à ses racines qui a servi de carburant à ce jeune syndicaliste paysan devenu au fil des décennies un spectaculaire bâtisseur, un chef d’entreprises multicasquette, un notable toujours capable de monter à l’assaut d’une sous-préfecture. C’est notamment à lui que le nord-Finistère doit son "schéma de structures" qui réclamait, entre autres, aussi bien une plate-forme industrielle et une université à Brest… qu’un port en eaux profondes à Roscoff. Le tout desservi par un plan routier digne de ce nom et le téléphone automatique.

Pour lui, le désenclavement maritime ne constituait pas une fin en soi. Ce qui l’intéressait, c’était une croissance économique globale.

Un mot-clé vraisemblablement pour bien saisir la réussite de cet homme à qui rien n’a semblé faire peur. Car cette "globalité" revendiquée a très vite dépassé les limites du seul nord-Finistère pour devenir d’abord celle de la Bretagne puis celle de la Normandie. Cette "globalité" explique aussi pourquoi Alexis Gourvennec est devenu un touche-à-tout (agriculteur, éleveur, pisciculteur, armateur, banquier, etc.).

UN HOMME PAS FACILE À MANIER

Un programme tous azimuts, servi qui plus est par une vision de l’économie bien plus pragmatique et donc moins sophistiquée que celle pratiquée par les grands groupes ou celle enseignée dans les grandes écoles.

"L’économie c’est simple et il n’y a que les professeurs d’économie qui ont la manie de parler en termes compliqués de choses simples", a-t-il expliqué un jour au Premier ministre Raymond Barre. Aménageur du territoire avant la lettre, Alexis Gourvennec a également compris qu’il était temps d’arrêter la concentration urbaine et industrielle en région parisienne pour mieux la répartir sur le territoire. En lui emboîtant le pas, les politiques de régionalisation et de décentralisation semblent donner raison à ce "trublion" (comme l’appelait De Gaulle) chez qui on ne voulait voir au début que revendications locales et corporatistes. Mais ce fut long et pas franchement simple. Et ce d’autant qu’Alexis Gourvennec, dédaignant la notabilité politique qu’il aurait facilement pu acquérir, a toujours fait de l’anti-jeu face au jacobinisme traditionnellement tenace des politiciens français. Pas facile à manier, pas intimidé par les hommes politiques, l’homme a longtemps pu brandir la menace de ses "commandos" paysans qui ne demandaient qu’à en découdre comme en 1976, lors de l’implantation de la BAI à Saint-Malo.

C’est peut-être le revers de la médaille de celui qui a toujours privilégié la fin sur les moyens. Convaincu de la justesse de son raisonnement et de la "moralité" de sa cause, le bulldozer se mettait alors en route pour déblayer le terrain et faire aboutir ses idées sans trop prendre de gants. Ceci dit, alors que son armement a affronté de très dures crises le mettant à deux doigts du naufrage total, il a toujours été sur le pont, se battant très durement et se dépensant sans compter pour le sauver.

Plus d’un ministre a fait les frais d’une attitude et d’un langage qui, ne faisant pas dans la dentelle, les prenaient souvent à rebrousse-poil. Alexis Gourvennec n’a véritablement jamais quémandé: il montait carrément à l’assaut de l’État français pour exiger ce qui lui paraissait juste, c’est-à-dire l’égalité de traitement avec les armements britanniques. le 26 avril 2004, lors de la bénédiction du Pont-Aven à Roscoff, François Goulard, alors secrétaire d’État à la mer, prend la bordée en pleine tête: "En 2003, les ventes à bord de nos navires ont rapporté 28 millions d’euros de taxes à l’État. Laissez-nous le produit de ces taxes et je m’engage à ne plus vous parler de remboursement de charges patronales. Il faudra bien que l’État s’y résigne une fois pour toutes: nous devons être authentiquement à pied d’égalité et en permanence avec nos concurrents britanniques, et non pas de façon cyclique et capricieuse.". un discours qu’il aurait encore vraisemblablement tenu lors de la bénédiction des Cotentin et Armorique, les deux prochains navires actuellement en construction en Finlande.

BAI: l’histoire d’un pari fou

Les années 1970: “La compagnie des choux-fleurs”. L’armement Bretagne-Angleterre-Irlande (BAI) a démarré ses activités le 2 janvier 1973, avec un roulier uniquement dédié au fret. La demande en passagers se fait pressante et un car-ferry mixte tourne la première page de l’histoire de la compagnie qui profite du passage du Tour de France pour médiatiser la nouvelle appellation commerciale: Brittany Ferries. Le Pdg mobilise ses “commandos” paysans pour empêcher la T.T.Line de venir à Saint-Malo et ouvre de nouvelles lignes sur l’Irlande et l’Espagne.

Mais le capital reste insuffisant pour affronter les difficultés d’une croissance indispensable.

Les années 1980: appel aux collectivités publiques. Alexis Gourvennec convainc les politiques de venir à l’aide de son armement via la très originale solution des sociétés d’économie mixte. En 1982 naît ainsi la Sabemen en Bretagne, suivie, en 1986, de la Senacal dans le Calvados et, en 1988, de la Sénamanche dans la Manche. En 1985, la BAI rachète Truckline Ferries et, en 1989, l’arrivée du Bretagne, le tout premier jumbo ferry de la compagnie, marque un autre tournant: en 4 ans, la BAI se dote de 4 superbes unités et devient la référence en matière de confort, de services et de sécurité sur le transmanche.

Les années 1990: le creux de la dépression. Faiblesse de la livre, guerre des tarifs, concurrence abusive, régression du trafic global des passagers, tout cela s’accumule pour faire tanguer la compagnie contrainte de réagir: plan d’entreprise de 3 ans, blocage des salaires, réduction des congés, licenciements, vente de quelques unités et abandon de lignes. C’est le temps où, la peur au ventre, on mise sur un hypothétique retour à meilleure fortune fixé à 10 ans.

Les années 2000: le baromètre remonte. Pari réussi. la livre grimpe et la concurrence s’essouffle. Au bout de trois ans d’effort l’armement rembourse ses dettes. Des navires neufs sont mis en ligne et d’anciennes unités sont retirées. En 2006, l’armement commande même deux nouvelles unités et en achète une autre en 2007.

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