Il est 10 heures ce vendredi 9 février quand Pierre Mattéi, directeur de la Corsica Ferries, pénètre seul dans le hall de l’Office des transports de la Corse. La serviette qu’il porte renferme une grosse enveloppe, la réponse de sa compagnie à l’appel d’offres de délégation de service public (DSP) entre Marseille et la Corse. Une heure après son passage, des représentants de la SNCM et de la Compagnie méridionale de navigation (CMN) débarquent d’un utilitaire une volumineuse caisse en bois. Elle recèle les pièces du dossier de candidature des deux armements réconciliés après une année de divorce.
Comporte-t-il des propositions pour l’ensemble des six ports corses qui composent la délégation de service public et ses 95 M€ d’aides à la clé? On peut le supposer.
Contrastant avec le silence observé par les deux alliés marseillais, discrétion imposée autour du travail de la commission d’appel d’offres, la Corsica Ferries décide, comme à son habitude, de porter le fer auprès des médias. Non seulement, elle donne le contenu de son offre par voie de presse, mais elle réclame qu’on repousse la date d’ouverture la nouvelle DSP (voir ci-après).
Devant une pareille attitude, Marcel Perrin, responsable de la CFE-CGC à la SNCM, s’emporte: "Dans quelle compétition destinée à attribuer une DSP a-t-on vu les soumissionnaires communiquer avec cette violence au premier jour du dépôt des offres? Pourquoi ne pas avoir laissé la commission compétente faire son travail de dépouillement, d’étude, de comparaison dans la discrétion et le respect de ses prérogatives?"
À l’évidence, la desserte maritime de la Corse ne peut éviter la tempête de la passion que pour mieux entrer dans le détroit de la procédure.
DANS LA TEMPÊTE JURIDIQUE
Alors que les trois compagnies candidates déposaient leurs offres, on apprenait que la cour d’appel de Paris avait considéré comme irrecevable le recours introduit par la SNCM contre la décision prise en décembre par le Conseil de la concurrence de casser le 1er appel d’offres et avait rejeté en même temps le recours pour procédure abusive de la CMN à l’encontre de la SNCM. Les compteurs étaient ainsi définitivement remis à zéro. Ce qui est loin d’être le cas de l’enquête ouverte par la Commission européenne en septembre dernier sur la recapitalisation de la SNCM à la suite de la plainte de la CMN et de la Corsica Ferries. D’après un mémoire remis à la Commission, ces derniers auraient exigé "des compensations à hauteur de 50 % des aides apportées par l’État français à la SNCM".
Soit, si la Commission retient le chiffre de 158 M€ (d’aucuns avancent le chiffre de 197,5 M€), un montant de 79 M€ que les actuels actionnaires de l’ex-compagnie pourraient avoir à rembourser. D’ici un an, terme de l’enquête. La desserte de la Corse navigue sur un long fleuve "d’intranquillité".