Un transport de bobines d’acier couvert par plusieurs connaissements de charte-partie (gencon 1922), est organisé entre la France et quatre ports des États-Unis. Dans les deux premiers ports, des dommages de rouille sont constatés. Dans les deux derniers, des dommages, plus importants, de distorsion des bobines sont également constatés.
Le destinataire des marchandises, mentionné en qualité de "consignee" sur les connaissements, engage une action en responsabilité contre le transporteur, par ailleurs fréteur au voyage.
La compétence de la Chambre repose clairement sur la clause de la charte partie. C’est du reste la solution adoptée par la juridiction de New York devant laquelle le litige a été initialement porté précisément par le destinataire à l’encontre de l’armateur, cette juridiction ayant conclu à son incompétence en raison de la clause compromissoire stipulée dans la charte et à laquelle les connaissements ont renvoyé. Et l’arbitre unique de relever d’une part que le renvoi aux connaissements est exprimé à la fois dans une clause additionnelle de la charte et au recto des connaissements et, d’autres part, que l’opposabilité de la clause d’arbitrage n’est pas contestable compte tenu des liens très étroits existant entre l’affréteur et le destinataire des bobines.
Quant au droit applicable, les parties ayant à plusieurs reprises exprimé leur intention de voir régler leur litige en application des Règles de La Haye Visby auxquelles renvoient très précisément la charte-partie, c’est en application de ces Règles que l’arbitrage sera rendu.
La première question posée à l’arbitre unique a été d’apprécier la recevabilité de l’action du destinataire, l’armateur ayant fait valoir que le destinataire (le "consignee") n’avait pas d’intérêt à agir pour n’avoir subi aucun préjudice personnel. L’arbitre unique, pour rejeter l’argument et admettre la recevabilité de l’action, observe que s’il est vrai que le "consignee" intervient parfois, comme en l’espèce, pour le compte de notify, il n’en est pas moins en droit de prendre livraison et, en cas de dommages dûment constatés, d’engager la responsabilité du transporteur, d’autant qu’en devenant partie au contrat de transport, il est habilité, s’il subit un préjudice et justifie ainsi d’un intérêt, ce qui est le cas lorsque la marchandise livrée est remise endommagée.
Précisément, la seconde question posée porte sur la responsabilité du transporteur. L’arbitre unique, à cet égard, observe que pour que les dommages en cause – de rouille et de distorsion – puissent être imputés au transporteur, encore faut-il qu’ils se soient produits pendant la période au cours de laquelle les marchandises étaient sous sa garde et que ces dommages entrent bien dans le champ d’application de la responsabilité du transporteur.
S’agissant des dommages de rouille, l’arbitre unique relève que les marchandises ayant été réceptionnées sans réserves, rien ne prouve que les dommages allégués se sont réalisés pendant la période de responsabilité du transporteur et qu’en tout cas le destinataire sur qui la charge de la preuve pèse, n’apporte pas suffisamment d’éléments permettant de dire que les dommages de rouilles se sont produits alors que la marchandise était sous la responsabilité du transporteur, d’autant que les bons d’embarquement portent la mention "Wet and Dirty" et que lors de l’audience il a été clairement expliqué que l’humidité était préexistante au chargement.
S’agissant des avaries affectant les bobines déchargées à Houston et La Nouvelle-Orléans, la responsabilité du transporteur est écartée, les dommages s’expliquant par des circonstances constituant au sens de l’article 4-2 c. des Règles de La Haye Visby un péril de la mer. L’arbitre unique ayant observé que la navigation entre Wilmington et Houston s’est faite dans des conditions extrêmement difficiles, le journal de bord faisant état ("heavy rolling vessel on a confused sea and swell… winds gusting to Bf 11") et les indications météorologiques étant du même ordre.
Les périls de la mer, est-il dit, ne sont pas le résultat ordinaire de l’action de la mer: il ne s’agit pas davantage des accidents survenus pendant la navigation: il s’agit des dangers provenant de la mer elle-même ("perils of the sea" et non "in the sea"), des vents, des tempêtes, des courants, des obstacles de la nature et des sinistres dont la mer est le théâtre.
L’arbitre unique observe également qu’en l’espèce, l’arrimage a été accompli par l’affréteur dans des conditions techniques particulièrement éprouvées et que rien ne permet de dire, au contraire, que l’arrimage était défectueux. En outre, est-il ajouté, c’est précisément parce que l’arrimage a été effectué dans les meilleures conditions que les dommages ne peuvent s’expliquer que par les périls de la mer. La qualité de l’arrimage, réalisé d’une manière on ne peut plus professionnelle et selon les techniques les plus élaborées, conduit à dire que les dommages provenant d’un déplacement de la cargaison dans les cales pendant la navigation entre Wellington et Houston trouvent leur cause dans les périls de la mer.
Cependant, pour l’arbitre unique, une part des dommages constatés à la Nouvelle Orléans doit être imputée au transporteur, dès lors que si la faute du transporteur ne peut concourir avec les périls de la mer ou avec un autre cas excepté, en tant que cause du dommage, rien ne s’oppose à ce que cette faute soit prise en considération lorsque, sans se conjuguer avec le cas excepté, elle le précède ou le suit, et dès lors qu’en l’espèce, le transporteur, en poursuivant sa route jusqu’au dernier port de déchargement, la Nouvelle Orléans, alors qu’il savait que la marchandise était sérieusement endommagée et était ainsi exposée à de nouveaux risques, son saisissage n’étant plus assurée, a commis une faute engageant sa responsabilité. L’arbitre unique précisant, s’agissant de la preuve de ces derniers dommages, qu’ils sont présumés exister et contenus dans la demande du destinataire, le transporteur n’apportant, à cet égard, aucune preuve contraire.