Le transport d’une cargaison de 28 000/maximum 30 000 t de blé depuis Churchill au Canada jusqu’à plusieurs ports du Nigeria a été conclu en juillet 2001 sous chartes-parties NORGRAIN 89.
Durant les opérations de chargement dans ce port, le navire s’est, par deux fois, écarté du quai au plus fort du courant de jusant, pour finir, la seconde fois, par s’échouer sur des enrochements, suite à la rupture des amarres. Après remise à flot avec l’assistance de deux remorqueurs et ré-accostage, une inspection sous-marine a révélé des avaries à la coque qui n’ont pu êtres réparés qu’à Halifax après déchargement d’une grande partie de la cargaison.
Le navire a été déclaré en avaries communes; cargaison et navire ont fait l’objet de diverses saisies et l’affréteur a dénoncé la charte le 8 novembre 2001. La situation n’a pu être débloquée qu’en janvier 2002, suite à de très longues négociations qui ont abouti, après fourniture de garanties croisées, à un accord pour permettre au navire d’être finalement rechargé et de faire route sur le Nigeria où il n’a terminé son voyage qu’en mars 2002.
L’armateur a déposé une demande d’arbitrage dès septembre 2001 en arguant d’une violation de l’obligation contractuelle de désignation de port/postes sûrs et de la garantie de navire toujours à flot, sa réclamation portant sur un fret sur le vide pour la partie de cargaison non chargée par suite des avaries consécutives à l’échouement, les surestaries, les conséquences pécuniaires de cet échouement et la contribution à l’avarie commune.
En novembre 2001, les affréteurs ont déposé une demande reconventionnelle pour manquements graves et répétés de l’armateur à ses obligations contractuelles, saisies abusives, constat du bien-fondé de la résiliation de la charte-partie aux torts exclusifs de l’armateur.
Entre-temps une expertise judiciaire a été ordonnée par le Président du Tribunal de Commerce du Havre sur requête en référé des affréteurs et des acheteurs en août et septembre 2002, le rapport définitif d’expertise n’ayant été communiqué qu’en avril 2004.
Les arbitres, après avoir noté que la clause d’arbitrage de la charte-partie avait été amendée, ont pris acte de l’accord intervenu entre les parties pour accepter la compétence de la Chambre Arbitrale Maritime de Paris avec application de la loi française.
Un examen approfondit des faits tels que rapportés dans les différents documents et rapports produits les a conduits à estimer que:
• l’armateur n’avait pas rapporté la preuve qui lui incombait pour justifier son affirmation que le port et les postes désignés par l’affréteur n’étaient pas sûrs;
• il convenait de rejeter la mesure complémentaire d’instruction réclamée en cours d’instance par l’armateur, rien ne venant soutenir son utilité ou sa pertinence trois ans après l’incident;
• la séquence des événements tels que rapportés par l’expert judiciaire permettait de conclure que c’était une manœuvre inappropriée du second lieutenant dans sa tentative de reprise de la tension de l’amarrage qui avait déclenché les ruptures des aussières et était la cause première et directe de l’échouement du navire, un précédent incident n’ayant pas fait l’objet d’une attention suffisante de la part du bord qui aurait dû mettre en service l’amarre neuve dont il disposait;
• ces deux éléments caractérisaient une faute nautique des préposés de l’armateur, comme le soutenait par ailleurs celui-ci dans ses dernières écritures;
• malgré les défauts d’entretien rapportés par l’expert judiciaire, les preuves de l’état d’innavigabilité du navire et de son inaptitude à assurer le transport de la cargaison, tout comme celles d’une faute personnelle de l’armateur, telles qu’alléguées par l’affréteur, n’étaient pas rapportées;
• la déclaration d’avarie commune se trouvait dès lors justifiée et devait produire ses effets à travers le règlement établi par le dispacheur;
• le fret sur le vide n’était pas dû car le solde de la cargaison n’avait pu être chargé et connaissementé que par suite d’une interdiction de la société de classification et la faute nautique de ses préposés, à l’origine de l’échouement du navire, ne saurait justifier que l’armateur en tire avantage pour faire supporter à l’affréteur un fret indu;
• il convenait de stigmatiser l’attitude fautive de l’armateur qui ne s’était pas conduit en bon professionnel dans la gestion du litige et qui aurait dû reprendre le voyage dès la fin des réparations à Halifax, la résiliation de la charte-partie à ses seuls torts et griefs étant dès lors justifiée;
• même s’il ne rapportait pas la preuve de l’innavigabilité du navire, l’affréteur qui avait, dès le 24 août 2001, initié une procédure d’expertise judiciaire qui s’imposait et attendu jusqu’au 8 novembre pour dénoncer la charte-partie, n’avait pas agi de manière anormale.
Pour ce qui est des préjudices allégués par l’armateur, les arbitres ont ensuite:
• rejeté sa demande portant sur certaines conséquences pécuniaires de l’échouement de son navire, celles-ci étant justement appréciées dans le règlement d’avarie commune;
• constaté qu’alors que les parties avaient été expressément invitées par le Tribunal à produire tout document à l’appui de leurs demandes, aucune des pièces prévues dans la charte-partie n’avait été produite par ledit armateur au cours des débats pour permettre de soumettre au contradictoire des parties et d’apprécier le mode de calcul et le quantum
– de sa réclamation portant sur les surestaries,
– d’un règlement transactionnel qui serait intervenu avec l’armateur d’un pétrolier endommagé lors de l’incident, sa demande sur ces points étant donc également rejetée.
Quant aux réclamations présentées par l’affréteur, les arbitres ont estimé que:
• dès lors que la preuve de l’état d’innavigabilité du navire n’était pas rapportée, il devait supporter les conséquences de la déclaration d’avarie commune, sauf à être indemnisé des sommes payées par lui aux lieux et places de l’armateur pour le stockage de la cargaison à Halifax;
• que la gestion anormale du litige par l’armateur justifiait le remboursement, au besoin à titre de dommages-intérêts, d’une partie de ses frais d’avocat au Canada et en France;
• que l’attitude fautive de l’armateur dans la gestion du litige après la fin des réparations justifiait l’attribution de dommages intérêts complémentaire;
• le tout avec intérêts capitalisés du jour d’introduction de sa demande reconventionnelle.