Un avenir au service de la Bretagne

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Comme Lorient Kergroise a basculé dans le giron de la région, celle-ci devra déterminer une stratégie qui accentue son rôle au service de l’économie bretonne.

Outre la consolidation et le développement de nouveaux trafics, cela suppose aussi de se déterminer face à l’activisme de certains groupes, qui défendent une écologie absolue et diffusent une culture de la catastrophe, du pire. Les responsables politiques et économiques sont ainsi mis au défi.

HYDROCARBURES: UN NOUVEL APPONTEMENT

Le trafic d’hydrocarbures se situe à environ 1,1 Mt et a historiquement progressé au rythme de l’augmentation de la consommation régionale, avec notamment une hausse de plus de 2,8 % en 2006. Cette progression ne peut pas résulter de l’augmentation des parts de marché ou d’un élargissement de l’hinterland dans la mesure où la Bretagne est encore desservie par mer à Brest et par terre à Rennes à partir d’un pipeline la reliant à la raffinerie de Donges. Dans ce contexte, Lorient trouve sa place comme port de proximité et ne peut pas étendre sa zone de chalandise.

Le trafic est dominé par le gazole qui provient principalement du nord de l’Europe et par l’essence, livrée par Donges. La montée de Donges en production de gazole pourrait modifier la part des importations dans l’approvisionnement du dépôt de Kergroise.

La construction prochaine du nouveau quai agroalimentaire impose de déplacer de 40 m vers le sud l’appontement pétrolier.

Comme celui-ci est vétuste et qu’il reçoit des unités de plus de 25 000 t alors qu’il est dimensionné pour des navires de 16 000 t, cette contrainte donne l’occasion de le reconstruire en neuf. Le projet, qui s’élève à 6,7 M€, permettra d’installer quatre ducs d’Albe avec amortisseur, en partie appuyés sur l’ouvrage actuel. Il offrira un linéaire de 120 m avec une passerelle perpendiculaire dirigée vers la terre. Les travaux, menés en 2007 pour livraison en 2008, seront assurés sans mettre en cause la continuité de l’exploitation.

À Lorient, la question du pétrole se pose à l’échelle de la ville dans la mesure où le dépôt de Total se trouve proche des habitations. On pourrait aussi dire que, historiquement, c’est l’urbanisation qui a gagné vers la zone industrielle portuaire, ce qui ne change rien aux données du problème. Comme la ville s’est construite depuis plus de trois siècles au fil du développement des activités portuaires, il n’est guère étonnant de constater que l’habitat reste toujours proche de ces activités.

Compte tenu des enjeux de sécurité et d’une inévitable croissance des contraintes réglementaires, la ville étudie l’idée d’un transfert de ce dépôt hors de l’agglomération; il serait relié à l’appontement par un pipeline. Une étude a été commandée à un centre spécialisé pour un coût de 35 000 €, financés par la ville de Lorient, la CCI et Total. Il s’agit de mettre en place un plan de prévention des risques qui vise à réduire les incidences du dépôt sur la ville. Selon les risques pris en référence, les périmètres classés sensibles changeraient de surface.

Un tel déplacement présenterait l’avantage de libérer des espaces industriels sur la zone portuaire et mettrait fin (provisoirement?) à des polémiques de type environnemental. Mais, compte tenu des particularités culturelles de Lorient, la logique de polémique urbaine pourrait se rediriger sur le nouvel éventuel site avec toujours des arguments d’environnement, amendés de nouveaux éléments permettant d’exprimer un rejet.

Actuellement, les hydrocarbures sont évacués en camion par une route pénétrante qui relie le port à la voie autoroutière de Bretagne-Sud de manière indépendante du trafic urbain. Le nouveau site ne devrait pas être enclavé et devrait se trouver proche d’un échangeur de cette voie rapide. Là aussi, il faudrait éviter les polémiques qui se déplaceraient contre la circulation de camions, argument qui est déjà mis en avant à Lanester pour refuser le développement du trafic sablier du port annexe du Rohu.

L’étude devra aussi tenter de déterminer le coût d’un tel projet et, éventuellement, dire qui doit payer. Ce dernier élément permet de penser que la temporisation l’emportera. Le nouveau propriétaire du port, la région Bretagne, sera amené à se déterminer, avec le souci de définir où se situe l’intérêt régional dans ce débat.

ALIMENTS DU BÉTAIL: ACCUEILLIR LES PANAMAX

Le trafic d’aliments du bétail avait subi un recul de 16 % en 2005, à hauteur de 775 000 t. Cet état de fait résultait de plusieurs facteurs, des navires pas arrivés et surtout l’ampleur de la crise agricole avec l’arrêt d’une usine et la réduction des exportations de volaille. Les manutentionnaires ont dû réduire leur toile ce qui s’est traduit par des réductions d’effectif dans leur propre personnel et chez les dockers. Dans ce contexte difficile, Lorient a semble-t-il mieux résisté que d’autres en 2006 avec une reconquête de près de 4 % de ces trafics. Le port bénéficie d’un atout de son hinterland, à savoir une plus grande variété des élevages bretons en termes d’espèces, ce qui a limité l’impact de la grippe aviaire davantage que dans les autres régions. Kergroise est aussi le quai le plus proche de la plupart des usines régionales. Le prix élevé du carburant encourage la proximité. Le prix modéré du soja a comme conséquence d’augmenter la part relative du transport dans le prix final, ce qui incite à rechercher des économies de carburant.

Le port s’est aussi organisé pour fluidifier ces trafics, avec une organisation qui permet d’ouvrir les magasins en continu et tourteaux. Une autorisation administrative permet de mettre sur les routes des camions de 44 t contre 40 t précédemment, ce qui contribue à une plus grande efficacité de l’évacuation.

Simultanément, dockers et manutentionnaires ont conclu à l’automne 2006 un accord accordant plus de souplesse dans le travail, notamment pour faire face à la venue simultanée de deux navires d’aliments.

Lorient prépare déjà l’avenir avec le lancement en 2007 du chantier de l’allongement de 80 m du quai principal vers le sud. Ce quai offrira à l’été de 2008 quatre postes d’accostage au lieu de trois, dont un à la cote moins 13 m.

Simultanément, des dragages seront menés sur les chenaux et la passe. Il s’agit de rendre le port accessible aux navires de type panamax. En 2008, ils pourront rentrer à Lorient en toute saison, sauf aux mortes-eaux et en 2009, toute l’année quel que soit le coefficient de marée.

TRAFICS DIVERS: DES PNEUS BROYÉS POUR LE MAROC

Le poste des trafics divers est relativement stable à environ 80 000 t, avec de la fonte, du kaolin, des engrais, du bois, de la ferraille (pour l’Espagne). Lorient a réussi à se positionner comme porte d’exportation d’un trafic de pneus broyés issus d’une entreprise de récupération du Centre-Bretagne. Ces produits, vendus au Maroc comme combustible industriel, génèrent un trafic qui approchera progressivement les 10 000 t.

Les papeteries de Mauduit à Quimperlé, à 18 km de Lorient, continuent, malgré un plan de licenciements, à transférer sur Lorient des approvisionnements précédemment réalisés par La Rochelle. Ce trafic passe de 9 800 à 13 000.

Le port avait aussi réussi à se positionner comme étape sur une ligne de conteneurs exploitée par la compagnie Slomane Neptune entre l’Europe du Nord et l’Algérie. Le trafic généré par Lorient étant insuffisant, l’escale a été suspendue.

Cependant, fin 2006, un roulier de cette ligne a chargé des colis lourds au poste ro-ro de Kergroise, toujours à destination de l’Algérie.

SABLES ET CIMENTS: AU SERVICE DU BÂTIMENT

Le développement de l’industrie du bâtiment et le renchérissement structurel du prix du pétrole donnent à des ports de proximité comme Lorient tous les atouts pour développer les trafics qui y sont liés.

Sur ces produits de vrac, non manufacturés et donc de faible valeur au kilogramme, le coût du transport représente une très forte proportion du prix final. À Lorient, l’argument qui vaut pour les tourteaux vaut aussi pour les sables et graviers destinés au bâtiment. Un autre facteur favorise le l’intensification de la voie marine: l’épuisement et la fermeture progressive des carrières terrestres où l’on trouvait du sable érodé d’origine marine, celui qui convient pour obtenir un béton de bonne qualité.

L’alternative de se trouve dans les bancs de sables du golfe de Gascogne. Le Morbihan et une partie de la Bretagne sont desservis en sables par Le Rohu, port annexe de Lorient situé à Lanester, mais englobé dans la concession de Kergroise. Deux opérateurs disposent d’un poste de débarquement commun et chacun d’un centre d’expédition, Sablimaris (précédemment appelé DTMB), du groupe Libaud, qui exploite le Moniflor, et SVA (filiale de Souzares à Montoir) qui exploite le André-L. Ensemble, ils génèrent un trafic en augmentation régulière, qui atteint actuellement 600 000 t.

Sablimaris va concrétiser un projet de poste neuf par transfert à l’intérieur de la même zone portuaire. Un troisième intervenant cherche à obtenir les autorisations nécessaires, avec difficulté. Il s’agit du groupe Lafarge et de sa filiale Société rennaise de dragages qui ont déposé une demande de permis de construire pour un poste d’expédition à terre qui à terme générait un trafic de 600 000 t. Le maire de Lanester, qui défend un projet de port de plaisance à sec sur le même port, oppose des refus sous la pression de riverains. Ses arguments officiels portent sur des détails d’ordre urbanistiques et sur la gêne qu’aurait générée l’augmentation du trafic de camions. Au passage, on remarque que sur la même zone, le groupe Casino vient de fermer un entrepôt qui mettait sur la route plus de camions que ne le ferait Lafarge.

Un premier refus de permis a été opposé et le tribunal a retenu l’argument urbanistique et pas celui des camions. Lafarge a ensuite présenté une deuxième demande qui a été refusée sur l’argument des camions, ce qui a provoqué un nouveau recours. Le port et la voie express sont reliés par une route de 6 km qui sert déjà à évacuer les sables des deux autres opérateurs.

Lafarge a aussi obtenu une autorisation d’État pour une prospection au large de Groix et d’Étel. L’idée serait d’approvisionner Le Rohu par un sable dragué à seulement quelques kilomètres du port. Si le groupe veut obtenir un titre minier de longue durée, il peut aussi rechercher des approvisionnements à partir des gisements déjà exploités et situés plus au large.

Dans un registre parallèle, Lorient se veut un port cimentier. La société Cemeroc a obtenu l’autorisation d’ouvrir une usine de conditionnement et de livraison du ciment, expédié en sacs, soit en vrac. Le produit arriverait tout prêt d’usines méditerranéennes à raison d’un navire par mois, soit 20 000 t par cargaison. Pour éviter l’émission de poussières, le transit portuaire sera totalement confiné, au niveau de la trémie, des bandes transporteuses et de l’usine. Cette unité de 8 M€ est actuellement en construction et pourrait entrer en service en mai de 2007. La CCI investit 1,7 M€ dans les bandes transporteuses et la trémie.

Un deuxième projet émanant de Cimarmor-Holcim vise à fabriquer du ciment sur la zone portuaire à partir de clinker et de laitier importé par mer. Le trafic porterait sur 450 000 t de clinker et 50 000 t de laitier et entraînerait la création de 30 emplois. Au niveau du quai, cela représenterait près de 35 000 t déchargées toutes les trois semaines, avec à chaque escale trois à quatre jours de travail pour les dockers. Le maire de Lorient, Norbert Métairie, était initialement favorable au projet qu’il avait loué en ces termes à la mi-2005: "Ce projet a fait l’objet d’attention particulière au niveau architectural, l’ouvrage, situé en entrée de ville devant être un symbole d’une image portuaire moderne. Le traitement des bruits et des poussières a été étudié selon les normes de haute qualité environnementale d’aujourd’hui." Ce plaidoyer s’achevait par un hommage à "l’intégration harmonieuse du port modernisé dans la ville". Trois mois plus tard, des associations écologistes et de riverains ont convaincu le maire de changer d’avis. Son refus de signer le permis de construire s’est appuyé sur les attendus suivant: atteinte aux paysages portuaires, nuisances sonores et poussières, empiétement de la construction sur une rue, donc sur l’espace public, absence d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public, insuffisance du plan de stationnement.

Le projet n’est pas abandonné, des demandes d’autorisation d’exploiter étant encore à l’instruction en fin de 2006 auprès des services de l’État. Cet angle du dossier est indépendant de la demande de permis de construire.

LORIENT ET LA BRETAGNE: LE LOCAL CONTRE L’HINTERLAND?

Souvent très fière de montrer ses atouts, son énergie, Lorient cherche à surmonter une série de crises, le départ d’une partie de la Marine, la restructuration de l’arsenal, le fort recul de l’économie du poisson. La place se cherche un avenir dans les technologies fines et le nautisme, avec plusieurs succès. Le port de commerce, longtemps atone, retrouve de la vigueur avec des trafics nouveaux et d’autres qui se développent ou vont le faire. Comme le disent les dirigeants de la CCI du Morbihan, Jean-François Le Tallec, président, et Fabrice Scerri, vice-président chargé du port, "si ces trafics veulent s’installer ici, c’est en fait le marché qui choisit Lorient". Dans un port qui est passé sous les 3 Mt il y a quelques années, la réussite de ces développements est essentielle pour qu’il joue au maximum la logique du développement régional.

Mais Lorient devient une place difficile pour tout projet industriel. Un certain nombre de mouvances ont réussi à se coordonner et à utiliser efficacement la machine médiatique sous l’angle de l’écologie. Si la maîtrise de l’environnement apparaît comme une exigence aujourd’hui banale, la recherche obsédante d’une certaine pureté, d’un absolu, permet de se demander si ce n’est pas l’industrie en tant que telle qui est rejetée.

La CGT des dockers Lorient a d’ailleurs dénoncé le climat catastrophique et anti-industriel entretenu par des opposants qui sont souvent des "intégristes de l’environnement qui volontairement entretiennent la confusion". Ils ont interpellé les élus locaux, devenus très "timides" face aux campagnes de presse. La CFDT de Lorient raisonne de même et se demande si le rejet des industries n’est pas une stratégie de fait pour donner le maximum de place à la plaisance et aux retraités. En décembre de 2006, ce syndicat a d’ailleurs tenté de relancer le maire de Lorient sur cette affaire de cimenterie. Norbert Métairie a déclaré que le débat était clos.

La région Bretagne bénéficie en début de 2007 du transfert du port. La CCI, actuellement concessionnaire sous régime transitoire, devrait se voir à nouveau confier sa gestion. Si l’idée d’un appel d’offres européen a circulé, la région a par ailleurs déclaré qu’elle respecterait les équilibres locaux aussi bien à Lorient qu’à Brest.

Une fois qu’elle aura bien "calé" tous les dossiers, la région elle se lancera une réflexion sur une stratégie de développement au service de l’ensemble de la Bretagne. Le conseil régional entend défendre l’avenir de ses trois ports (Brest, Lorient, Saint-Malo) et non pas sous-traiter à d’autres places. Jean-Yves Le Drian, président de la région et encore député de Lorient, veut évidemment faire de ce port de commerce un outil régional. Il devrait chercher à faire valoir l’intérêt régional à des élus qui lui sont très proches, mais qui se sentent contraints de se situer dans une logique purement locale.

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