D’aucuns pensaient qu’elle allait faire table rase, tout au moins reformater son texte à la suite de la décision du Conseil d’État. Il n’en a rien été. En fait, et contrairement au contresens partagé par beaucoup, le Conseil d’État n’a jamais annulé le cahier des charges, mais la procédure de passation.
Deux points étaient inscrits à l’ordre du jour de la Collectivité corse: les règles de la délégation de service public (DSP) et la prolongation de l’actuelle délégation. Sur le premier point, c’est à l’unanimité que les élus corses ont décidé de ne pas revenir sur le cahier des charges initial qu’elle avait adopté en mars dernier. Pour remettre en cause les règles édictées par l’Assemblée de Corse, il aurait fallu les attaquer en justice dans les deux mois suivant la décision des élus corses. La CMN (Compagnie méridionale de navigation) et Corsica Ferries ne se sont jamais risquées à effectuer cette remise en cause; leurs attaques judiciaires se sont concentrées sur le déroulement de la procédure et notamment l’accusation de favoritisme donné à la SNCM par la Collectivité corse.
L’assemblée corse a ainsi rejeté la demande de la Corsica Ferries de tout remettre à zéro et de rédiger de nouvelles règles plus proches de la subvention par passager social. En suivant à la lettre son comité exécutif, l’Office des transports de la Corse (OTC) oppose plus qu’une simple fin de non-recevoir à la compagnie dirigée par Pascal Lota et Pierre Mattéi. À la veille du vote, le président de l’OTC avait déclaré, quelque peu agacé: "Ce n’est pas une compagnie qui va dicter aux responsables politiques la marche à suivre. La décision revient naturellement à l’assemblée délibérante, qui devra s’exprimer en accord avec le conseil exécutif" et "sans céder à la pression médiatique opérée en parallèle de la procédure."
NOUVEAU VOTE EN AVRIL
Seule modification apparente, l’appel d’offres s’affirme clairement comme ouverte à l’ensemble des compagnies européennes. Le second tour comptera-t-il plus que les trois candidats initiaux? Connaîtra-t-il un nouveau renversement d’alliance comme le laisse supposer l’évident changement de ton entre les directions de la SNCM et de la CMN? Les syndicats CGT et STC (Syndicat des travailleurs corses) de la CMN viennent publiquement de réclamer la poursuite de l’alliance "historique" entre les deux compagnies marseillaises. Ils affirment qu’il n’y a pas d’autre issue pour un bon fonctionnement des liaisons maritimes entre la Corse et le continent et le maintien de la protection sociale des personnels que ce renouvellement de partenariat.
Première réponse d’ici deux mois, en février, date de dépôt des nouveaux dossiers avant proclamation du résultat qui fera l’objet d’un vote de l’Assemblée corse fin avril. En attendant, et simple conséquence du premier point, l’assemblée corse a prolongé de quatre mois, jusqu’à fin avril l’actuelle délégation assurée de Marseille par la SNCM et la CMN qui expirait le 31 décembre.
Qui contrôle la CMN?
Après le revirement de la Méridionale qui a préféré s’allier à la Corsica Ferries, le contrôle du conseil d’administration de la CMN est devenu l’objet d’une bataille juridique. Car la CMN est une entreprise à deux étages. La SNCM en possède 69 % (dont 45 % directement), mais, au niveau dit “inférieu”, le véritable patron est le groupe frigoriste STEF TFE dirigé par Francis Lemor. Malgré sa majorité, la SNCM n’a jamais voulu jusqu’à présent la direction opérationnelle de la CMN, estimant que le pacte de partenariat lui suffisait.
Marseille/Corse, une concession DSP
L’actuelle concession a débuté en janvier 2002 (sous la même procédure) et s’achève en décembre 2006.
Pour l’année 2005, les compagnies ont perçu les sommes suivantes au titre de la desserte de la Corse:
• au départ de Marseille:
– SNCM, un peu plus de 63 M€;
– CMN, près de 26 M€.
• au départ de Toulon et de Nice à partir du système “passager social”:
– SNCM: 1, 8 M€;
– Corsica Ferries France: 12,8 M€.
Le fil des affaires
L’historique fait apparaître une soudaine montée en tension procédurière au lendemain du dépôt des dossiers de candidatures. En apparence, la CMN et la Corsica Ferries se bornent à attaquer l’instruction de la procédure, mais la contestation du fond du cahier des charges (offre globale ou offre ligne par ligne, voir par “passager social”) s’inscrit clairement en filigrane. “Dans quelle compétition destinée à attribuer une DSP a-t-on vu les soumissionnaires communiquer avec cette violence au premier jour du dépôt des offres?”, s’interroge le syndicat CFE-CGC de la SNCM.
– 31 décembre: Fin de l’actuelle concession de service public maritime entre Marseille et la Corse: elle est prolongée de quatre mois.
– 15 décembre: La Cour d’appel de Paris infirme le précédent jugement du tribunal de commerce en qualifiant la dénonciation unilatérale du pacte de partenariat par les représentants de STEF TFE de “valable”. La SNCM ne peut plus prendre les commandes.
– 13 décembre: Constatant des irrégularités dans les dossiers, le Conseil d’État décide d’annuler la procédure de mise en concurrence.
– 10 décembre: L’OTC recommande aux élus corses de retenir la candidature de la SNCM.
– 30 octobre: La Cour d’appel de Paris suspend l’exécution immédiate du jugement du tribunal de commerce de Paris.
– 23 octobre: Le tribunal administratif de Bastia ordonne la “suspension” de la procédure de délégation de la desserte maritime entre Marseille et la Corse jusqu’à un nouvel examen par l’Assemblée corse d’une offre groupée présentée par la CMN et la Corsica Ferries.
– 20 octobre: le tribunal administratif rejette les deux référés de la CMN et de Corsica Ferries France (CFF) contre l’OTC et l’accusation de “collusion avec la SNCM”.
– 19 octobre: La CMN dépose plainte “pour manquement aux règles de la concurrenc” contre la France, devant la Commission européenne.
– 17 octobre: Le tribunal de commerce de Paris juge que la direction de la CMN (STEF TFE) a rompu le pacte d’actionnaires de manière unilatérale. Il ordonne que la barre de la CMN soit confiée à la SNCM.
– 5 octobre: La CMN et CFF introduisent une requête en référé pré contractuel, auprès du tribunal administratif de Bastia, contre la Collectivité territoriale corse et l’OTC.
– 2 octobre: On apprend que la CMN a saisi la Commission européenne pour “de graves distorsions de concurrence”.
– 19 septembre: La CMN saisit le Conseil de la Concurrence et demande que “la procédure d’attribution de la délégation de service public soit suspendue”.
– 13 septembre: La Commission européenne lance une enquête approfondie sur les conditions du plan de sauvetage et de privatisation de la SNCM.
– 7 août: La SNCM introduit une action auprès du tribunal de commerce de Paris pour “rupture du pacte d’actionnaires” qui la lie à la CMN.
– 4 août: Date limite du dépôt des candidatures à la DSP. Trois compagnies se sont présentées, mais elles ont déposé… quatre offres. La SNCM fait une offre globale, la CMN fait une offre partielle sur Ajaccio, Bastia et CFF fait une offre “à options alternatives” vers les ports de Corse. Un groupement “momentané” CMN/CFF fait une offre alternative sur les lignes Bastia, Propriano et Ajaccio.
– 24 mars: L’appel d’offres est lancé par la Collectivité territoriale corse après avoir adopté le cahier des charges.
– 15 mars: Dénonciation du pacte d’actionnaires par la direction (STEF-TFE) de la CMN