À 15 jours du terme de l’actuelle délégation de service public sur la Corse au départ de Marseille, le Conseil d’État a décidé d’annuler la procédure de mise en concurrence. Relevant des "irrégularités" (voir encadré), il demande à la collectivité de Corse "soit de reprendre intégralement la procédure", "soit d’inviter les sociétés à produire de nouvelles offres conformes aux prescriptions du règlement d’appel d’offres". Le 22 décembre, les élus corses décideront en assemblée, celle qui devait initialement décider du candidat retenu, de la marche à suivre. En attendant, le jugement jette un discrédit sur la manière dont la collectivité de Corse, via son Office des transports (OTC), a conduit l’appel. Et par ricochet, le gouvernement qui suivait de près l’affaire à double titre, en garant de la loi dans un dossier ultrasensible et par intérêt, la SNCM devenant privée à la condition de remporter l’appel d’offres.
Comme si ce coup du sort ne suffisait pas à la SNCM pour la replonger dans l’inquiétude. Elle a perdu, devant la Cour d’appel de Paris, les commandes de la CMN qui, ôtées des mains de STEF-TFE, lui avaient été attribuées quatre semaines auparavant par le tribunal de commerce de Paris. La dénonciation du pacte d’actionnaires effectuée par la STIM d’Orbigny (holding de la CMN contrôlé par STEF-TFE) était déclarée "valable" par jugement.
Comment les coactionnaires devenus adversaires se comporteront-ils dans la future configuration d’appel d’offres? Au lendemain du jugement, chacun laissait la porte ouverte à une possible entente à la lumière de la nouvelle procédure. Avec un ton plus tranché, la Corsica Ferries demandait que l’actuelle délégation de service public soit "prolongée pour un an". Elle exigeait par la même occasion un nouveau cahier des charges qui ne soit pas "défini sur mesure pour la SNCM" comme le précédent et réponde "aux vrais besoins du service public", c’est-à-dire une subvention au passager.
"UN REVERS POUR LA SNCM"
Les salariés de l’ex-compagnie publique accusaient par contre le coup. Jean-Paul Israël, secrétaire CGT des marins, lâchait lors du vendredi noir, le 15 décembre, en apprenant les deux décisions de justice: "On se retrouve à la case départ, c’est un sale coup pour la SNCM". Le même son de glas se retrouvait du côté de la CGC, dont le secrétaire Maurice Perrin évoquait "un revers pour la SNCM et ses emplois, un revers pour la Corse". Il fallut toute la détermination du président de leur compagnie, Gérard Couturier, pour remonter le moral des salariés réunis en CE extraordinaire le 18 décembre. Il confirmait que la SNCM se pourvoirait en cassation sur le dossier de la CMN: "Nous continuons à penser que le pacte d’actionnaires ne pouvait pas être dénoncé comme il l’a été et que nous devons contrôler la CMN." Pour aussitôt corriger le tir, la SNCM est en mesure de remporter seule cet appel d’offres, "mais la meilleure formule pour nous serait une coopération avec la CMN, comme cela a été le cas jusqu’à présent". Un propos qui devait recueillir l’assentiment des syndicalistes. "Il est hors de question de voir les deux compagnies historiques naviguer l’une contre l’autre", abondait Bernard Marty, secrétaire CGT du CE.
La position du Conseil d’État
Les irrégularités relevées par le Conseil d’État concernent le fond de l’appel et les trois compagnies concourantes. La délégation de service public doit-elle être attribuée ligne par ligne (desserte de cinq ports corses) ou globalement? Le Conseil d’État fait pencher la balance sur le deuxième terme. Sur l’offre de la SNCM, cette dernière relève l’absence de comptabilité détaillée ligne par ligne et la référence à des navires non désignés (“to be nominated”). Elle juge incomplètes les offres séparées de la CMN et la Corsica Ferries et invalide leur proposition commune sur deux lignes.