Le 10 décembre encore, la SNCM semblait avoir remporté l’offre de service public. Le père Noël s’était présenté en avance avec l’avis de l’Office des transports de la Corse (OTC) sur sa candidature. Le rapport adressé à ses élus choisissait la SNCM et rejetait les offres séparées de Corsica Ferries et de la Compagnie méridionale de navigation (CMN) ainsi que leur offre conjointe à la fois "pour des raisons juridiques, techniques ou financières".
En clair, la SNCM est non seulement la seule à proposer une réponse globale à l’ensemble du cahier des charges de la collectivité Corse. Elle est aussi la moins chère: la compagnie, récemment privatisée, chiffre à 94,75 M€ par an la subvention de continuité territoriale demandée à la collectivité corse, contre 93,8 M€ (+ 1 %) versés en 2006. Le vote des élus corses lors de l’assemblée territoriale du 22 décembre semblait acquis: la SNCM allait emporter la desserte de service public valable pour sept ans à partir du 8 janvier prochain.
UNE OFFRE DIVISIBLE
C’était sans compter avec le Conseil de la concurrence qui, le 11 décembre, douchait les ardeurs de la compagnie. Il a imposé, en effet, à cette dernière de rendre son offre divisible parce que "le dépôt par la SNCM d’une offre globale et indivisible est susceptible de produire des effets anticoncurrentiels en évinçant abusivement les offres partielles concurrentes". Bref, le Conseil a estimé que la SNCM – qui, au stade de l’instruction, peut être considérée comme étant en position dominante sur les marchés fret et passagers sur les liaisons Marseille/ Corse – a été susceptible d’abuser de sa position dominante. Conséquence, il lui a demandé d’effectuer dans les 48 heures une nouvelle proposition avec un chiffrage poste par poste. Par son ordonnance, le Conseil de la concurrence, saisi par la CMN et Corsica Ferries, a remis ainsi en cause le fond de la procédure de l’appel d’offres.
La SNCM a-t-elle senti le coup venir? Elle avait accepté lors de son audience au Conseil, le 29 novembre, de renoncer à l’indivisibilité de son offre globale. On a toujours besoin d’un plus petit que soi. De passage le 8 décembre à Marseille, Stéphane Richard, directeur général de Veolia Transport, a souligné avec insistance qu’il n’était "pas dans l’objectif de la SNCM d’absorber la CMN". Et pour cause. Quoi qu’il en soit, la SNCM ne sort pas forcément perdante de cette injonction qui doit pousser la CMN à s’allier avec elle. Mais on peut s’interroger.
Dans le cas, probable, où la SNCM venait à prendre les commandes de la CMN, peut-on considérer la manœuvre comme de la "divisibilité"?
Les observateurs ne sont pas au bout de leurs peines. Le feuilleton judiciaire va connaître d’autres épisodes, cinq au minimum, qui risquent d’embrouiller un peu plus le jeu au lieu de l’éclairer. Le 15 décembre, le Conseil d’État doit se prononcer sur la validité des offres individuelles de Corsica Ferries, rejetées par l’OTC au cours de la procédure d’examen. Le 22 décembre, la cour d’appel de Paris rendra son verdict sur le jugement du tribunal de commerce qui contraint le groupe STEF-TFE à céder le contrôle opérationnel de la CMN à la SNCM, ce qui rendrait caduque l’alliance circonstancielle CMN/Corsica Ferries.
Pas du tout impressionné devant cette avalanche procédurière, l’OTC note, dans son rapport, que les résultats de toutes ces procédures seront connus lorsque les élus corses débattront de la délégation de service public (DSP) le 22 décembre et que la décision finale appartient à ces derniers.
La guérilla s’éteindra-t-elle à cette date? La trêve des confiseurs pourrait se révéler amère. D’autant que la Commission européenne continue son enquête sur les conditions de la privatisation de la SNCM et notamment sur les aides publiques attribuées pour sauver la compagnie du naufrage. L’affaire de la desserte Corse n’est pas prête de s’éteindre.