L’imbroglio se corse. On pouvait penser que la décision du tribunal de commerce de Paris de confier la barre de la CMN, actuellement entre les mains du groupe Stef-TFE, à son autre actionnaire, la SNCM, c’est-à-dire au groupe Veolia et de Butler Capital, avait scellé le sort de la bataille navale en cours. Il n’en est rien. Une semaine plus tard, le 23 octobre, le tribunal administratif de Bastia ordonnait la "suspension" de la procédure de délégation de la desserte maritime entre Marseille et la Corse jusqu’à un nouvel examen par la Collectivité territoriale de Corse d’une offre groupée présentée par la CMN et la Corsica Ferries. Par cette ordonnance, le tribunal reconnaît, explicitement, que le traitement des dossiers de candidature à la DSP souffrait d’une anomalie. En particulier dans l’examen de l’offre groupée des deux concurrents de la SNCM. Ces derniers qui dénoncent depuis des semaines la partialité de la procédure et les pressions de l’État, se sont empressés de le souligner.
Du côté de l’Office des transports de la Corse (OTC) qui a instruit le dossier, on se veut rassurant. L’offre du groupement Corsica Ferries/CMN sera bien examiné et leurs représentants reçus, a indiqué Antoine Sindali, le président de l’OTC. "Cela retardera simplement de quelques jours le rapport définitif qui sera soumis à l’Assemblée de Corse et qui devrait être présenté fin novembre." Ce retard d’un mois ne devrait rien changer à l’affaire. On voit mal, en effet, comment la CMN dont le contrôle appartient désormais à la SNCM, peut maintenir une alliance avec son ennemi juré la Corsica Ferries.
Si les deux premières manches semblent perdues d’avance pour l’alliance Stef-TFE et Corsica Ferries, la troisième qui se jouera du côté de Bruxelles, risque d’envenimer les choses. Déjà, la Commission européenne ouvrant une enquête avait adressé de sérieux avertissements sur les conditions de la privatisation de la SNCM.
Elle sera également appelée à se prononcer sur la régularité de l’attribution de la DSP. La CMN, façon Stef-TFE, a adressé une lettre le 19 octobre au vice-président de la Commission européenne en charge des transports, Jacques Barrot, sur "l’illégalité de la procédure d’attribution du contrat de service public" et "le favoritisme avéré à l’égard de la SNCM". La compagnie de Robert de Lambilly a en même temps déposé une plainte pour "violation claire et manifeste" des obligations liées à l’appel d’offres communautaire pour l’attribution de la délégation de service public sur les liaisons maritimes entre Marseille et la Corse. Il n’est pas sûr que Bruxelles apprécie les différentes combinaisons déployées par l’État français dans ce qui prend l’allure d’une autre affaire corse.