La CMN renverse son alliance et bouleverse le jeu de la continuité

Sur le bureau de l'Office des transports de la Corse, les trois plis représentant les réponses à l'appel d'offres de la collectivité territoriale corse pour la desserte de la Corse consomment le divorce entre la SNCM et la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN). L'alliance vieille de 30 ans a été renversée par cette dernière. En effet, la CMN présente une "offre groupée non solidaire" avec Corsica Ferries sur trois lignes (Bastia, Ajaccio et Propriano) et se positionne seule sur d'autres lignes secondaires. La configuration possède plusieurs conséquences: elle prive de moyens, notamment dans le transport de fret, la SNCM dans la desserte de six ports corses au départ de Marseille, elle rend possible l'abordage de la Corsica Ferries sur le port phocéen, mais surtout elle dynamite la notion d'offre globale, pivot du dispositif actuel de subvention.

Les relations triangulaires sont les plus perverses. Pour être de très loin la plus petite des trois compagnies en lice (une flotte de trois cargos mixtes), la CMN a mis à profit sa position charnière dans l'affrontement SNCM-Corsica Ferries. Car loin de calmer les esprits, la privatisation de la SNCM a, au contraire, jeté de l'huile sur le feu. La Corsica Ferries, malgré ses 57 % de parts de marché et son poste de leader de la desserte, ne cesse de répéter que le monopole privé est pire que le monopole public. Quant à la CMN, la STEF-TFE qui en contrôle la gestion à travers sa filiale maritime STM d'Orbigny, a décidé d'en être seul maître à bord (voir ci-après).

L'enveloppe de 90 M€ attachée à la desserte de l'île de Beauté au départ de Marseille est bien sûr un puissant ressort de la "foire d'empoigne" actuelle. Mais la compétition entre les trois compagnies relève surtout d'une lutte pour la survie et le développement économique sur un marché très particulier. Les six ans à venir du contrat de continuité seront décisifs. Ils pourraient ne pas être de tout repos pour l'État. Ce dernier a d'ores et déjà rendez-vous en octobre prochain quand l'appel d'offre sera attribué. Dans presque tous les cas de figure, il sera appelé à intervenir. Si l'offre de la SNCM n'était pas retenue en totalité ou en partie conséquente, les actionnaires majoritaires qu'il a trouvé pour diriger l'ex-compagnie publique, Veolia et Butler, ne manqueraient pas de se désengager en faisant jouer la clause de retrait. Un séisme qui plongerait les 2 400 salariés de la compagnie marseillaise (dont 800 en Corse) dans la pire des situations. Autre cas de figure, la CMN, c'est-à-dire le groupe STEF-TFE, serait certainement contrainte de faire amende honorable et de céder les commandes à la SNCM, c'est-à-dire à Veolia Transports, au cas où ses propositions ne passeraient pas.

Les forces en présence

La SNCM et la CMN forment un contingent important de la marine française. Archaïsme dans un monde dominé par la concurrence? Leurs navires comme leurs équipages sont français contrairement à la Corsica Ferries qui bat pavillon italien et dont les équipages sont essentiellement transalpins.