Journal de la Marine Marchande: En octobre, le conseil d’administration a adopté le nouveau Schéma des infrastructures portuaires (SIP). Dans quel contexte s’inscrit ce document?
Marie-Anne Bacot: "Le SIP, tel que le conseil d’administration l’a adopté, n’est pas une nouveauté pour notre établissement. En 1989, le port avait établi un document identique pour déterminer les axes à prendre pour le développement du port jusqu’aux années 2000. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, le conseil d’administration du port a repris une étude identique pour réfléchir aux axes stratégiques du port pour les années 2015 à 2020.
Ce document possède une vertu non négligeable pour les équipes du port. Il établit une photographie à un moment donné de nos trafics et de nos installations portuaires. Partant de ce principe, il nous donne des pistes de réflexion pour anticiper les adaptations que nous devons réaliser pour demain."
JMM: Ce document a-t-il été communiqué aux collectivités locales pour avis avant d’être adopté par le conseil d’administration?
M.-A.B.: "Il est difficilement envisageable de ne pas consulter les différentes collectivités lors de l’élaboration de ce schéma. Nous avons mené pendant plusieurs mois des réunions de concertation et de consultation avec les différentes collectivités: communes, conseils généraux et conseil régional. Les réactions ont été globalement favorables, mais avec un bémol: chaque collectivité préfère voir les activités portuaires industrielles se développer chez le voisin plutôt que sur son territoire. Des réactions du type nimby (not in my back yard – pas dans ma cour) ont été fréquentes. Les relations que nous entretenons avec les collectivités sont bonnes et nous avons malgré tout réussi à bâtir un dialogue constructif. Nous avons pris le temps d’écouter et d’entendre leurs demandes; celles-ci étaient légitimes. Les collectivités souhaitent que les ports industriels cohabitent avec les activités récréatives: piétons, passagers, tourisme en laissant un accès à leur fleuve."
JMM: Passé ce cap, le schéma des infrastructures portuaires est devenu une réalité. Quel rôle va-t-il jouer dans le futur pour ces collectivités?
M.-A.B.: "L’enjeu de ce document est de le voir repris par les communes, les conseils généraux lors des négociations du SDRIF (Schéma directeur des infrastructures d’Ile de France). Nous avons voulu que le SIP soit ouvert pour qu’il appartienne à tous les acteurs impliqués dans ce projet qu’est le développement du PAP."
JMM: Vous avez expliqué que le SIP détaille, trafic par trafic, l’état actuel et élabore une série de propositions pour le développement de ces trafics pour la prochaine décennie. Prenons vos principaux trafics, comme les céréales, le BTP, et ceux considérés comme stratégiques pour votre développement à l’instar des déchets et des conteneurs pour analyser ce qu’il ressort de ce schéma. Commençons par les produits du BTP, qui représentent 70 % du trafic. Quelles propositions le SIP fait-il pour le développement de ce trafic?
M.-A.B.: "Les produits du BTP représentent en effet plus de 70 % de nos trafics actuels. Jusqu’à présent, les matériaux que nous recevions provenaient principalement des régions limitrophes. L’arrêt d’exploitation de carrières alluvionnaires oblige les professionnels à revoir leur copie. Leurs sources d’approvisionnement s’étendent. Nous avons donc un premier défi à relever. Le report des sources vers des roches massives venant de régions plus éloignées présente un risque de voir ces flux se tourner vers la route. L’enjeu est de taille: il faut maintenir une logistique fluviale de ces produits. Dans ce contexte, il est devenu primordial de créer des grandes plates-formes multimodales aux portes la capitale qui seront approvisionnées par fer si le fleuve ne le permet pas. Ces ports doivent permettre ensuite d’acheminer par des convois fluviaux les granulats au cœur de la cité. Cet enjeu signifie que nous devons créer les espaces suffisants aux abords de notre circonscription et maintenir l’existant des ports urbains. Ainsi, le confortement du maillage actuel est nécessaire, et surtout dans la partie dense de l’Ile-de-France. Ce type de démarche existe actuellement. Nous avons réalisé avec l’entreprise GSM à Gennevilliers une plate-forme de ce type pour redistribuer sur la capitale les granulats au plus près de leur lieu de consommation. La même démarche a été entreprise à Montereau avec Lafarge et GSM. Nous avons commencé à privilégier la mixité d’utilisation des ports urbains pour une meilleure rationalisation et utilisation de ces plates-formes."
JMM: Second trafic majeur, les céréales. Ce marché est plus volatile. La production de céréales en Ile-de-France est relativement faible. Comment le PAP peut-il prendre un meilleur appui sur cette filière?
M.-A.B.: "La filière céréalière doit être perçue en terme de grand bassin francilien et non pas uniquement sur l’Ile-de-France. Nous devons envisager la production locale comme s’étendant jusqu’à l’Aube, le Loiret et l’Aisne en plus des départements de notre circonscription. La consommation de céréales en Ile-de-France s’établit à environ 1,7 Mt par an. Notre région se place plutôt comme un point de transit de ces marchandises vers les ports de Haute-Normandie. Dans cette logistique céréalière, le fleuve entre pour 15 % contre 72 % pour la route et 13 % pour le fer.
Le report d’une partie de ces trafics vers le mode fluvial suppose d’abord une meilleure fiabilité du transport et un coût plus attractif. Le SIP propose de développer la capacité de stockage en bord à voie d’eau. Nous avons réussi, après une longue période de négociation, à convaincre la société In Vivo de s’installer en bordure du fleuve pour créer un silo de stockage intermédiaire. Ce premier essai transformé devrait en appeler d’autres. Nous entretenons de bonnes relations avec des coopératives et des sociétés de négoce en céréales. D’autre part, un accord signé entre VNF et l’Onic pour le développement de cette filière en France devrait amener de nouveaux trafics. Cet accord démontre son efficacité. Il faut démontrer aux acteurs de la filière la capacité de mobilisation de la cale pour les amener au fleuve.
Ces développements ne doivent pas non plus nous faire oublier nos trafics existants de céréales, notamment pour la filière de la minoterie. Nous ne voulons pas lâcher la proie pour l’ombre et nous souhaitons aussi conforter ces différents trafics."
JMM: Les céréales et les granulats représentent des trafics traditionnels du port. D’autres se font jour depuis plusieurs années: les conteneurs et les déchets. Les premiers enregistrent une croissance exponentielle au cours des dernières années. Les propositions faites par le SIP prennent-elles en compte les prévisions de Port 2000 au Havre et de Seine Nord?
M.-A.B.: "Lors de la réalisation du SIP, les études économiques sur Seine Nord n’étaient pas disponibles. Ce qui paraît, au final, de cette étude c’est que nous allons vers une évolution importante des conteneurs sur ce lien. Port 2000 au Havre devrait nous apporter un trafic supplémentaire non négligeable. Le trafic havrais destiné à la région francilienne devrait passer de 600 000 EVP aujourd’hui à 1,4 MEVP à l’horizon 2020. Si nous captons 20 % de ce trafic, cela signifie que la voie d’eau pourrait disposer d’un trafic d’environ 280 000 EVP à 300 000 EVP.
Trois enjeux majeurs se posent pour ce marché. Le premier concerne les grands centres de massification des conteneurs. Les grands centres, à l’image de Gennevilliers, se préparent. Nous avons prévu le doublement de la surface du terminal. À Achères, Bruyères-sur-Oise et Limay, nous réfléchissons à créer de nouveaux terminaux. À l’amont, la ligne Gennevilliers/Bonneuil a repris depuis quelques semaines.
Le second enjeu se place au niveau des centres intermédiaires. Nous regardons actuellement si nous pouvons aller vers des centres intermédiaires comme Saint-Ouen. Nous étudions les capacités locales de marché. Enfin, un troisième enjeu se place sur la logistique urbaine. Nous avions par le passé un projet avec la société Chronopost pour une distribution fine par voie fluviale des colis. Nous sommes ici dans le cadre de l’expérimentation. Nous devons arriver à créer les conditions de rentabilité économique d’une telle logistique."
JMM: Seconde filière en plein développement, les déchets. Ce marché est vaste puisqu’il s’étend du BTP aux ordures ménagères en passant par les vieux papiers et les mâchefers. Abordez-vous la logistique de ces produits uniformément?
M.-A.B.: "Nous faisons déjà des déchets et nous en faisons beaucoup. Je souhaiterais plus faire savoir nos réalisations en la matière. L’an passé, nous avons traité environ 4 Mt de déchets divers sur nos ports. Il est juste de rappeler que cette filière est vaste, surtout dans nos installations. Nous traitons des déchets du BTP, à savoir les produits issus de la démolition de bâtiments, mais aussi des ordures ménagères, des vieux papiers, des DIB (Déchets industriels banals) et des mâchefers. Ce dernier produit se développe à un rythme intéressant depuis 1994, date des premiers chargements en sortie de l’usine d’incinération d’Evry. À cette liste, il faut ajouter les ferrailles. Ce secteur d’activité, l’acier, est en pleine mutation et en empreint d’incertitudes économiques. Nous voulons aider les entreprises franciliennes à conforter leurs positions en leur offrant nos services de plates-formes. Sur ces dossiers, comme sur les autres, notre point fort est de s’adapter aux demandes des chargeurs.
L’enjeu pour les déchets est de s’appuyer sur les ports urbains et notre réseau dense. Ces espaces serviraient, notamment pour les déchets conteneurisés, à la collecte des boîtes avant leur expédition vers les centres de traitement. Autre aspect sur lequel nous voulons travailler, la mise en bordure de fleuve. Dans un premier temps, notre action est d’utiliser au maximum de leur capacité les centres de traitement et d’enfouissement des déchets. Dans un second temps, nous devrons favoriser l’implantation de nouveaux centres sur les espaces bord à quai. La mise en bordure du fleuve des déchetteries incitera les opérateurs à un changement de logistique. Il faut que cette idée soit reprise par les collectivités lors de la négociation du SDRIF. Des projets existent comme à Bobigny où les déchets emprunteraient le canal de l’Ourcq. Sur les vieux papiers, nous avons fait notre part du travail. La balle est désormais dans le camp des opérateurs pour passer des paroles aux actes.
Enfin, sur les déchets du BTP, la question est plus de résister à l’évasion de ces trafics vers la route. Le réseau des ports parisiens doit être utilisé pour pouvoir apporter des solutions aux acteurs de cette filière. Ce marché doit être perçu comme un complément des granulats."
JMM: Vous avez expliqué les principales filières détaillées dans le SIP bien qu’il en manque. Nous pensons notamment aux véhicules dont les enjeux sont aussi de taille, mais aussi les produits sidérurgiques et bien entendu, comme l’ont réclamé les collectivités locales, les passagers. Avez-vous prévu de tirer un premier bilan de ce document?
M.-A.B.: "Le bilan de ce document se fera de lui-même au travers du SDRIF. Si les propositions que nous avons formulées sont reprises dans ce schéma général et régional, il aura franchi son premier passage. Ensuite, nous dresserons un bilan des réussites et nous corrigerons le tir en fonction des données économiques nouvelles."
Propos recueillis par Hervé Deiss