Le Haut Comité français pour la défense civile et le ministère des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer ont organisé un colloque sur ce thème à Saint-Denis (région parisienne) le 6 juillet. De son côté, l’École de la marine marchande de Nantes a édité une CD Rom de sensibilisation à ces deux disciplines (voir rubrique agenda p. 40).
ÉTAT: ACTIONS ET MOYENS
"C’est un défi pour l’État et les opérateurs", qui disposent des outils internationaux et européens face à la menace terroriste planétaire, a déclaré le commissaire de la Marine Alain Verdeaux du Secrétariat général de la mer. Les navires et les installations portuaires y sont vulnérables (exemples du Cole et du Limbourg). Le code ISPS est conçu pour les protéger. Le traité franco-britannique du Touquet (février 2003) concerne l’immigration clandestine, très forte à partir de Calais. Depuis le 2 février 2006, la politique française (plan "Vigipirate-mer") de sécurité portuaire, élaborée par les secrétariats généraux de la défense nationale et de la mer est en cohérence avec les dispositifs internationaux, afin d’éviter des distorsions sécuritaires et économiques entre les différents modes de transport. Le contexte est le suivant: continuité de la mer vers la terre; continuité du recueil de l’information; coordination de l’action de l’État en mer (préfet maritime) et à terre (préfet départemental); extension à terre (gendarmerie et Douanes). Sur le plan international, l’État du port est maître de la chaîne de sûreté et applique des mesures spécifiques. L’État du pavillon, chargé de la sûreté du navire, évalue les risques et lui porte assistance. L’État côtier s’assure que le transit du navire est inoffensif ou non. L’État met au point des plans de sûreté pour la protection des installations portuaires, entrepôts de produits chimiques et dangereux, méthaniers, transbordeurs, rouliers et navires de croisières. En France, l’organisation de la surveillance est ciblée dans le cadre des codes ISPS et PSI (contre la prolifération des armes de destruction massive). La coordination entre le code ISPS et "Vigipirate-mer" se fait par niveaux et modules d’activités. Le réseau "Spationav" connecte les moyens de la Marine nationale, des Douanes et des Affaires maritimes pour avoir une approche commune de la situation. Sa version V0 a réactivé les sémaphores et centralise les informations au centre opérationnel maritime de Toulon. Selon Fabienne Majid, "architecte capacitaire protection sauvegarde" à la Délégation générale pour l’armement (DGA), la version V1 en cours gère tous les renseignements relatifs à la surveillance de la Méditerranée et la mise en place du système automatique d’identification (AIS) sur les navires de commerce et, à terme, les bâtiments de combat. Sa version V2 (horizon 2009-2010) étendra encore la couverture avec des radars haute fréquence (jusqu’à 150 km), satellites, drones et capteurs "coopérants" (balises AIS pour Météo France). La DGA apporte son expertise en matière d’équipements, de processus et de contrôle. Elle élabore le projet SIAM (surveillance et intervention dans les approches maritimes) et effectue les études techniques des senseurs (fusion et la diffusion de l’information), l’AIS, les futurs patrouilleurs, le renouvellement des avions de surveillance maritime et un système naval d’identification optronique et radar pour les cibles "non coopératives" (aériennes surtout). Au niveau international, la France et 14 pays participent au programme de drones aériens pour la surveillance maritime dans le cadre de l’Agence européenne de défense. Dans celui de l’OTAN, sont en cours à La Spezia des essais d’équipements pour faire face aux menaces terroristes en surface et sous-marine contre les ports et navires.
DOUANES: SÉCURISER ET FACILITER LE COMMERCE
"Nous sommes concernés par la sécurisation des transports maritimes avec la préoccupation de faciliter le commerce", a déclaré Gérard Schoen, sous-directeur à la Direction générale des douanes. Les attentats par produits biologiques, chimiques et explosifs dissimulés dans des conteneurs constituent les menaces récurrentes. La Container Security Initiative américaine permet de réduire à quelques heures au lieu de dix jours le dédouanement des conteneurs à l’entrée aux États-Unis. Anvers et Rotterdam y ont immédiatement adhéré en 2002. Les Douanes françaises ont alors négocié directement avec leurs homologues américaines la même garantie pour Le Havre. Aujourd’hui, les douaniers américains en poste dans les ports français effectuent un ciblage des conteneurs à partir d’une vingtaine de données fournies par les Douanes françaises, qui peuvent proposer un contrôle. Sur 16 000 conteneurs analysés, 40 sont passés au scanner. Par ailleurs, l’accord "Partnership Against Terrorism" permet aux Douanes américaines de proposer aux chargeurs un audit, par une société privée spécialisée, en échange de l’entrée facilitée de leurs conteneurs aux États-Unis.
Pour contrer les actes d’intelligence économique et la distorsion commerciale qui en résultent, les Douanes françaises ont alors proposé de faire elles-mêmes l’audit en garantissant la confidentialité des informations. De son côté, l’Union européenne est parvenue à équilibrer la sécurisation des conteneurs et la facilitation du commerce. L’accord bilatéral du 24 avril 2004 avec les États-Unis instaure la réciprocité. Un contrôle est effectué à la sortie des États-Unis et des douaniers européens sont présents dans les ports américains.
Tous les éléments nécessaires à l’analyse des risques sont rédigés au départ de l’entreprise, deux heures avant l’expédition pour ne pas la retarder. En France, le décret du 24 juillet 2004 a réformé le code des Douanes. Pour l’analyse des risques, l’entreprise fournit 18 renseignements, utilisés aussi pour le dédouanement. En outre, le label d’"opérateur économique agréé" est accordé après un audit favorable et un agrément en matière de sûreté. Cela évite les contrôles redondants à la sortie et à l’entrée et facilite la fluidité des flux. Cet audit est opposable à l’ensemble des ports européens. Le contrôle sûreté est précédé d’un dédouanement et de vérifications sanitaire et fiscale, le tout à un seul guichet. "Le meilleur contrôle, c’est l’analyse des renseignements", conclut Gérard Schoen.
LA "FRONTIÈRE MARITIME"
La France, DOM TOM compris, compte 2 940 km de frontière terrestre et… 4 620 km de frontière maritime, selon le commandant Guy Laurent de la police aux frontières (PAF). Les missions principales de la PAF sont la protection des moyens de transports et le contrôle des flux migratoires. Les policiers et gendarmes, tous officiers de police judiciaire (OPJ), coopèrent avec les douaniers. À la suite des attentats terroristes de septembre 2001 aux États-Unis, les agents des sociétés privées de sûreté peuvent procéder aux filtrages des passagers et des marchandises, sous certaines conditions et le contrôle d’OPJ. Le traité franco-britannique du Touquet autorise le contrôle de passagers dans les transports de marchandises. Dans le port de Calais où transite 74 % du trafic transmanche, la CCI a investi massivement en moyens humains (170 agents) et matériels pour le contrôle des accès, la détection de gaz carbonique et des battements cardiaques. Le bilan du premier trimestre 2006 s’établit à 858 clandestins interpellés du côté français et 856 du côté britannique.
Sont prévus à court terme: des lecteurs de badges magnétiques dans les zones d’accès restreint, des enquêtes systématiques sur les personnes travaillant sur le site (empreintes biométriques) et un poste d’inspection pour le filtrage des véhicules légers.
LES APPROCHES MARITIMES
"La sûreté maritime se conçoit dans les ports et en haute mer. Le code réglementaire d’action existe", a déclaré le capitaine de vaisseau Emmanuel Carlier de l’état-major de la Marine nationale. Il s’agit d’aller au plus près des pays où se trouvent des bases de terroristes, à savoir leurs eaux territoriales. La Marine consacre environ 900 jours de mer et 400 heures de vol par an à la sauvegarde maritime: lutte la pollution, les trafics illicites (clandestins, stupéfiants et armes de destruction massive), le pillage halieutique et la piraterie.
La collecte d’indices d’alerte s’exerce au plus tôt, au large et à terre. Les équipages des bâtiments, avions et hélicoptères rendent compte de tout ce qu’ils voient, même en exercice. La coordination est indispensable au niveau européen, car l’UE compte 50 000 km de côtes contre 20 000 aux États-Unis. Toutefois, la constitution d’une garde côtière européenne apparaît difficile, car les différentes Marines n’ont pas les mêmes prérogatives administratives.
Sur le plan local, au Havre par exemple, le commandant de la gendarmerie maritime chargé de la mission assure la coordination avec l’agent de sûreté du port. La zone d’action du dispositif s’étend jusqu’à Tancarville, soit deux fois la surface de Paris, deux fois celle de la rade de Toulon et 400 km de quai à surveiller. Sur le plan d’eau, une trentaine de gendarmes maritimes disposent de deux grands canots pneumatiques rapides (3 t et 40 nœuds) et peuvent intervenir dans les 15 minutes!
FRET: L’EXEMPLE DE CMA CGM…
"Un porte-conteneurs est un enjeu financier et commercial considérable", explique Frédéric Fave, officier de sûreté de l’armement CMA CGM. En outre, "c’est 15 000 t de soutes à bord, comme un pétrolier moyen". Les escales dangereuses sont Aden et Socartra (Somalie) à cause de la contrebande d’armes et des risques de terrorisme. Les collisions se produisent surtout à Singapour, dans le détroit de Malacca et en Manche.
Un navire échoué avec une brèche peut causer une pollution. Un incendie à bord constitue toujours une mauvaise publicité pour l’entreprise. Il faut respecter la règle de chargements séparés des produits dangereux… à placer en pontée et non en cale au départ de Chine. Les systèmes de sécurité sont communs à la flotte et particuliers à chaque navire.
Le département sécurité/sûreté de chaque agence connaît les procédures pour intervenir à bord, où se trouve un manuel de situation d’urgence. Une matrice d’évaluation de la sûreté au voyage décline les risques professionnels pour les navigants et de maintenance dans les divers ports du monde, sans oublier l’environnement. Une trentaine d’agents de CMA CGM et des sociétés de classification procèdent régulièrement à des audits de 2-3 jours. Enfin, des exercices de contrôle naval (signalement de positions des navires à heures fixes) ont régulièrement lieu avec la Marine nationale. Pourtant, "plus l’activité du groupe se développe, plus on aura du mal à développer la culture de sécurité/sûreté", conclut Frédéric Fave.
…PASSAGERS: CELUI DE BRITTANY FERRIES
"Un transbordeur, c’est aussi un hôtel, un garage et un restaurant, souligne Lilian Le Touze, directeur de la sûreté chez Brittany Ferries, c’est aussi 6 heures de traversée pour 90 minutes d’escale." Les équipages sont français à 100 % et, en haute saison, leurs effectifs dépassent 2 000 navigants. Les officiers disposent de 2 h pour sensibiliser le personnel d’exécution aux questions de sécurité/sécurité. En cas de conflit entre les impératifs de l’une ou de l’autre, seul le commandant tranche. En juin 2006, l’armement a associé les deux et en confié la responsabilité au second capitaine. Brittany Ferries a acquis l’expérience des alertes à la bombe dès 1994, quand ses navires faisaient escale au Pays basque espagnol et en Irlande. Les fouilles ISPS sont faites à terre mais la recherche des clandestins se poursuit à bord. Une recrudescence a été constatée récemment à Cherbourg: 15-20 clandestins par semaine contre 6-7 à Saint-Malo et très peu à Roscoff.
Portsmouth et Plysmouth, ports militaires, jouissent d’une sûreté renforcée: caméras, embarcations rapides et détecteurs en tous genres. Les déclencheurs de sécurité des navires sont mis à jour tous les six mois. Des exercices réguliers ont lieu dans les ports desservis. À l’entrée d’un chenal, le commandant et le second capitaine doivent décliner leur identité (numéros). La vérification de celles des passagers s’effectue à l’embarquement. En cas d’attaque terroriste, des phrases codées sont échangées entre le bord et la terre. Toute anomalie est signalée aux autorités françaises et britanniques. Pourtant, "On peut mieux faire en termes de sûreté, concède Lilian Le Touze, mais le point fort est une forte motivation du personnel pour la sécurité et la sûreté."